Garde à vue : les avocats pourront être présents dès le début de la garde à vue. Parallèlement : retour du droit au silence. Une menace de dérive : l’audition libre. Vers la fin de la banalisation de la garde à vue ?

Après des mois de pourparlers avec les barreaux, le ministre de la justice Michèle Alliot-Marie consent à ce que les avocats soit présents aux côtés des gardés à vue. Nea say qui a entretenu ses lecteurs régulièrement sur ce grave problème présente ici un tournant majeur. L’épilogue du très épineux débat autour de la garde à vue se profile peut-être. L’avant-projet de loi définitif de Michèle Alliot-Marie sur le sujet prévoit en effet la présence des avocats durant toute la durée de la garde à vue. Une demande qui avait été portée avec fougue ces derniers mois par les barreaux, de même que par nombre de professionnels de droit.

« C’est une très grande victoire pour les libertés individuelles et pour les droits de la défense », se félicite Me Fabrice Orlandi, président de l’association « Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat ». Que prévoit le texte ? L’article 73-19 est limpide, et en cela conforme aux souhaits de Michèle Alliot- Marie de rendre les textes juridiques le plus lisibles possible : « La personne gardée à vue peut demander que l’avocat assiste aux auditions dont elle fait l’objet au cours de la mesure, dès le début de celle-ci. » En fin de garde à vue, l’avocat pourra par ailleurs « présenter des observations écrites ».

L’avant-projet encadre strictement la présence des avocats .Voilà qui tranche donc avec le code de procédure pénale actuel, qui ne permet une rencontre entre l’avocat et son client qu’après la première heure de garde à vue, et ce pour 30 minutes seulement. Dans ce contexte, les avocats – qui n’avaient jusqu’ici pas accès aux procès-verbaux – ne faisaient que notifier leurs droits les plus élémentaires à leurs clients. L’avant-projet de loi encadre strictement la présence des avocats lors des gardes à vue. La réforme ne concernera, en effet, que les personnes soupçonnées de crimes ou de délits de droit commun – ce qui exclut les affaires de terrorisme, les trafics de stupéfiants, la criminalité organisée. Une limitation que déplore le président du Conseil national des barreaux, Me Thierry Wickers : « Cet avant-projet de loi constitue certes un pas considérable, mais l’on s’étonne quand même qu’il ne prévoie pas la présence continue d’un avocat en faveur des personnes auxquelles on reproche les faits les plus graves ! »

La police pourra refuser la présence d’un avocat. Une nuance supplémentaire :  le texte permet aux officiers de police judiciaire de refuser la présence d’un avocat « en raison des nécessités de l’enquête ». Ils devront, dans ce cas, en référer sans délai au procureur de la République. Ce dernier pourra alors « décider, en considération des circonstances particulières tenant à la nécessité de rassembler ou conserver les preuves, de différer la présence de l’avocat lors des auditions, pendant une durée ne pouvant excéder douze heures ».

Par ailleurs, et alors que le nombre de placements en garde à vue n’a cessé d’augmenter ces dernières années (jusqu’à concerner 800 000 personnes l’an dernier), l’avant-projet de loi prévoit d’encadrer très strictement le recours à un tel procédé.

Ainsi, la garde à vue ne pourra concerner que les seules personnes soupçonnées d’avoir commis un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement. Un tel placement ne pourra, par ailleurs, être justifié que s’il existe un risque avéré que la personne soupçonnée se dérobe à la justice, qu’elle modifie les preuves matérielles, qu’elle fasse pression sur des témoins ou qu’elle se concerte avec ses complices. C’est un refus de la banalisation de la garde à vue.Autant d’avancées qui attestent la volonté de Michèle Alliot-Marie d’aller sensiblement plus loin que son premier avant-projet daté de mars dernier. À l’époque, elle n’envisageait la présence continue des avocats qu’à compter de la 24e heure de garde à vue.

Le contexte a changé : aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme s’est ajoutée, le 30 juillet dernier, la décision du Conseil constitutionnel. Celui-ci a estimé que le déroulement actuel de la garde à vue ne permettait plus de concilier, « d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties ». L’avant-projet de loi doit dorénavant passer devant le Conseil d’État avant d’être présenté en conseil des ministres.  

Conformément aux exigences posées par le Conseil constitutionnel, la notification du droit au silence de la personne gardée à vue est rétablie. Ce droit avait été introduit avec la loi sur la présomption d’innocence (2000), avant d’être supprimé en 2003. Depuis, il reste possible de garder le silence, mais la majorité des personnes gardées à vue l’ignorent. L’avant-projet de loi de Michèle Alliot-Marie prévoit donc que « tout individu devra être informé qu’il a le choix, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire » (article 73-5).

La présence des avocats va bouleverser le déroulement de la garde à vue  et déjà,  les acteurs judiciaires planchent déjà sur les contours futurs de cette procédure. Avocats et policiers ont chacun leur manière d’appréhender la réforme. C’est au législateur qu’il reviendra, au final, de trancher les points encore en débat. Selon la garde des sceaux, le Parlement examinera, cet automne, le projet de loi .

Comment se dérouleront les auditions ?

Une fois placé en garde à vue, le justiciable se verra proposer la possibilité d’être immédiatement assisté d’un avocat. Il pourra décider de s’en passer, ou demander à user de ce nouveau droit. Si tel est le cas, il bénéficiera de l’assistance d’un avocat commis d’office par le bâtonnier ou recourra – s’il le souhaite – aux services du professionnel de son choix. L’audition ne débutera qu’une fois celui-ci arrivé sur les lieux. Il sera présent aux côtés de son client durant toute la durée des auditions. On ignore encore si l’avocat restera ou non dans les locaux du commissariat durant les plages de repos prévues entre les auditions.  Il reste surtout à savoir quelle sera sa marge de manœuvre lors des interrogatoires. « Il pourra éventuellement demander au policier de poser telle ou telle question à son client, un peu à l’instar de ce qui se pratique déjà dans les cabinets de juge d’instruction, précise le porte-parole de la chancellerie, Guillaume Didier. Mais soyons clair, ce n’est pas l’avocat qui posera les questions et encore moins lui qui y répondra ! »

Que redoutent les policiers ? À les entendre, cette réforme aura pour conséquence d’allonger la durée des gardes à vue. « Entre le moment où l’on contactera l’avocat et le moment de son arrivée au commissariat, il risque de s’écouler un bon moment, redoute Jean-Marc Bailleul, le secrétaire général adjoint du Syndicat national des officiers de police (Snop, syndicat majoritaire). A fortiori si on l’appelle en pleine nuit d’un petit commissariat rural… » Les barreaux sont, certes, d’ores et déjà dotés d’une permanence pénale (elle regroupe les avocats d’astreinte de nuit ou durant le week-end), mais il faudra probablement renforcer leurs effectifs. Ce qui ne suffit pas à rassurer le responsable policier : « Avec cette réforme, il est évident que la durée des gardes à vue augmentera. Nous irons sans doute au-delà des 24 heures de garde à vue réglementaires ».

Que réclament les avocats ? Voyant dans le projet de loi porté par Michèle Alliot-Marie une avancée décisive pour les droits de la défense, les avocats comptent batailler pour donner la plus grande portée possible à la réforme. « On ne va pas se contenter de rédiger des conclusions écrites en fin d’audition, prévient d’emblée Me Jean-Louis Borie, le président du syndicat des avocats de France (SAF). Nous voulons avoir accès aux procès-verbaux de nos clients et à tous ceux des individus interpellés dans la même affaire. Nous réclamons, par ailleurs, d’assister aux confrontations et aux perquisitions ». Les avocats exigent, par ailleurs, une augmentation substantielle de leurs honoraires dans le cadre l’aide juridictionnelle (AJ), laquelle permet aux personnes démunies de voir leurs honoraires pris en charge par l’État. Consciente que la réforme de la garde à vue nécessitera de nouveaux financements, Michèle Alliot-Marie envisage, notamment, une participation forfaitaire de tous les justiciables éligibles à l’AJ à hauteur de 8,84 €.  

L’avant-projet de loi introduit, en parallèle du régime de la garde à vue, « l’audition libre ». Elle doit permettre d’interroger un suspect « pendant le temps strictement nécessaire à son audition », et ce, « sous réserve de son consentement ». L’intéressé ne bénéficiera pas, dans ce cas, des conseils d’un avocat. Cette innovation juridique fait plutôt l’unanimité contre elle. Pour le président de l’Union syndicale des magistrats, Christophe Régnard, « il va se passer la chose suivante : les mis en cause vont être incités à choisir l’audition libre car ils préféreront éviter la cellule de garde à vue, sans forcément réaliser qu’ils abandonnent leurs droits ». Reste sous-jacent une méfiance à l’égard de l’avocat, toujours inconsciemment soupçonné d’être le « complice » du délinquant ou du criminel, c’est ce qu’a dénoncé à Antenne2 l’avocat Me Leborgne qui voit dans l’audition libre des risques de dérives préoccupantes car, notamment, cette procédure n’est pas limitée dans le temps.

Texte du Projet de loi http://www.la-croix.com/illustrations/Multimedia/Actu/2010/9/7/gav.pdf

Texte de la décision du Conseil constitutionnel http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2010/2010-14/22-qpc/decision-n-2010-14-22-qpc-du-30-juillet-2010.48931.html

Entretien de la Ministre de la justice, Michèle Alliot-Marie au journal le monde http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/09/08/reforme-de-la-garde-a-vue-l-avocat-pourrait-etre-present-toute-la-procedure_1408134_3224.html

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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