L’Europe peut restaurer sa crédibilité en faisant preuve de cohérence : inlassablement elle critique le système des colonies en Cisjordanie, mais en même temps elle est le principal soutien de ces colonies. Il faut donc mettre fin à cette incohérence majeure et ce à quoi nous appellent Martti Ahtisaari Ancien président finlandais, prix Nobel de la paix en 2008 et Mary Robinson Ancienne présidente irlandaise, ex-Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, tous deux membres des « Elders », un groupe indépendant de personnalités mondiales œuvrant pour la paix et les droits de l’homme. L’UE se déclare « consternée » : est-ce la bonne réponse ? Comme lors du vote aux Nations Unies sur le statut de la Palestine, la lumière va-t-elle venir du Parlement européen ?
Le vote à l’ONU, le mois dernier, (cf. autre article paru dans Nea say) accordant à la Palestine le statut d’Etat observateur, a éveillé une lueur d’espoir dans une région où les bonnes nouvelles se font rares. Il est cependant regrettable que l’Europe ait échoué à parler d’une seule voix en faveur de la demande palestinienne. En tant qu’anciens chefs d’Etat européens, ce manque de cohérence leur semble difficilement conciliable avec le soutien de l’Union européenne (UE) à la solution à deux Etats, font-ils remarquer. Ils observent le même écart entre les principes et les actes dans la politique de l’UE à l’égard des colonies israéliennes en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est. « Elles empiètent sur le territoire d’un futur Etat palestinien et rendent sa réalisation chaque jour plus compliquée. » La semaine dernière, rappellent-ils le gouvernement israélien a autorisé la construction de 3 000 nouveaux logements dans une zone stratégique qui relie Jérusalem-Est au reste de la Cisjordanie.
Dans un rapport d’une vingtaine de pages , bien documenté, 22 associations européennes, « la Paix au rabais, » révèlent que l’UE importe quinze fois plus de produits en provenance des colonies israéliennes que des Territoires palestiniens. Le phénomène est connu de longue date, dénoncé , mais rien n’y fait. L’UE a pressé Israël à maintes reprises de « mettre un terme immédiat aux activités de colonisation ». Et pourtant, en entretenant des liens commerciaux avec les colonies, « l’UE contribue, comme par inadvertance, à leur viabilité économique et à leur permanence. Dans le même temps, elle étouffe toute chance de décollage économique en Cisjordanie et dilapide les milliards d’euros d’aide qu’elle a elle-même investis pour l’instauration d’un Etat palestinien. »
Une délégation des Elders a constaté lors d’une récente visite en Israël et en Cisjordanie, un sentiment de désenchantement, voire de découragement, tant chez les Israéliens que chez les Palestiniens, qui voient s’éloigner la solution à deux Etats. Contrairement à l’idée largement répandue d’une impasse, la situation sur le terrain évolue à grands pas : plus de 40 % du territoire de la Cisjordanie a déjà été confisqué au profit des colonies, d’infrastructures routières ou pour un usage militaire, ainsi que la majorité des ressources hydriques et naturelles. « Le moment est donc venu pour l’UE de montrer la voie » concluent Martti Ahtisaari et Mary Robinson.
Que faire ?
En tant que principal partenaire commercial d’Israël, l’UE pourrait dans un premier temps distinguer les produits israéliens des biens produits dans les colonies illégales. Dans la plupart des supermarchés européens, il est impossible pour le consommateur de savoir si les dattes ou les avocats marqués « Israël » proviennent de l’Etat hébreu ou de terres confisquées aux Palestiniens. Un large éventail de produits manufacturés dans les zones industrielles israéliennes établies en Cisjordanie en violation du droit international, qu’il s’agisse de boissons gazeuses ou de cosmétiques, sont vendus sur les marchés européens sous l’étiquette trompeuse « Made in Israël ». Les gouvernements britannique et danois ont pris les devants en adoptant des recommandations simples relatives à l’étiquetage, qui permettent aux consommateurs de distinguer les produits venant des colonies, ceux fabriqués en Israël, et les biens produits par les Palestiniens. Ces gouvernements n’ont rien fait d’autre qu’appliquer la législation européenne en vigueur sur la protection des consommateurs. Cette politique a eu pour effet d’inciter les principales chaînes de supermarchés en Grande-Bretagne et au Danemark à ne plus vendre les produits issus des colonies israéliennes illégales.
Promouvoir un étiquetage correct des produits venant des colonies n’est pas un acte d’hostilité envers Israël. C’est une politique en faveur des consommateurs, pour la paix et pour le respect du droit international. C’est une logique qui soutient la vision de deux Etats, Israël et la Palestine, existant côte à côte en paix et en sécurité. S’ils en ont le choix, les consommateurs européens auraient la possibilité de rallumer l’espoir chez les Palestiniens, dont les perspectives économiques, tout comme leurs perspectives d’obtenir un Etat, sont compromises dans le climat actuel. Ils pourraient aussi faire preuve de solidarité avec nombre d’Israéliens qui, déjà, refusent d’acheter des produits issus des colonies, dans l’espoir de protéger le caractère démocratique de leur pays.
Le terme de la démonstration s’impose de lui-même : « En établissant une distinction claire entre les produits importés des colonies et les produits israéliens, l’UE a une occasion unique de réconcilier ses principes et ses actes sur la question des colonies en Cisjordanie – et de restaurer sa crédibilité dans le processus de paix au Proche-Orient. Il s’agirait d’un geste modeste mais responsable, de la part du prix Nobel de la paix 2012, pour préserver la solution à deux Etats, et donc la possibilité d’une paix durable. »
Réactions des Ministres des affaires étrangères
Réunis au sein du Conseil, le 10 décembre, les ministres européens des Affaires étrangères ont souligné que l’UE « était profondément consterné » et s’opposait « fermement « aux plans israéliens d’extension des colonies, y compris à Jérusalem est, et notamment les plans de développement de la région E1. Les ministres ont précisé que si le plan E1 était appliqué, il « compromettrait sérieusement les perspectives d’un règlement négocié du conflit en mettant en péril la possibilité d’un Etat palestinien contigu et viable avec Jérusalem comme future capitale de deux Etats » et comprenant des transferts de population. Les ministres ont promis de suivre de près la situation « et ses implications plus larges » pour le Proche-Orient et « d’agir en conséquences ». Exprimer sa consternation ce n’est pas condamner. Cependant transparait une certaine exaspération accompagnée d’une menace voilée et imprécise. Seul l’avenir dira quelle efficacité aura eu une telle attitude comme la convocation de l’ambassadeur israélien non pas par Catherine Ashton mais par Pierre Vimont secrétaire général du Service extérieur. Tout cela s’est fait dans la discrétion…
Le Conseil a également souligné que l’UE veillerait à ce que, en conformité avec le droit international, tous les accords conclus avec Israël indiquent, clairement et explicitement, leur inapplicabilité aux territoire occupés par Israël, selon une tradition aussi longuement affirmée qu’elle reste sans effet, qui couvre le plateau du Golan, la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et la bande de Gaza. L’UE a aussi réaffirmé son engagement à « assurer « la mise en œuvre continue, complète et efficace de la législation de l’UE et des accords bilatéraux applicables aux produits des colonies ».Les Ministres ont appelé Israël à éviter toute atteinte à la situation financière de l’Autorité palestinienne, alors que Israël vient de bloquer le transfert des taxes et des droits de douane dus à l’Autorité palestinienne, conformément au Protocole de Paris conclu avec Israël , il ya plusieurs années.
Sans émettre d’avis ou de commentaires sur la récente reconnaissance de la Palestine par l’Assemblée générale des Nations Unies, les ministres ont appelé « les dirigeants palestiniens « à utiliser de manière constructive ce nouveau statut » et à ne pas prendre des mesures qui pourraient saper encore la confiance et compromettre une solution politique négociée. L’UE a aussi réitéré son appel à la réconciliation intra palestinienne.
Le Conseil est par ailleurs convaincu que « le moment est venu de prendre des mesures audacieuses et concrètes pour la paix ». L’urgence est « aux efforts de paix, renouvelés, structurés et substantiels en 2013 ».Et d’appeler une nouvelle fois les parties à s’abstenir de tout acte qui mine la confiance et la viabilité d’une solution à deux Etats.
Une déclaration assez banale avec beaucoup de redites du passé, parfois lointain, mais s’en était trop pour Israël et la réplique est venue immédiatement par la voix du ministre des affaires étrangères Avigdor Lieberman dont les outrances répétitives sont bien connues. Le ministre des affaires étrangères à accusé l’UE avec violence de suivre une politique hostile aux juifs : « une fois de plus l’Europe n’a pas tenu compte des appels à la destruction d’Israël (…) on a déjà connu cela à la fin des années des années 30 et au début des années 40 lorsque l’Europe savait ce qui se passait dans les camps de concentration et n’a pas agi » a souligné le ministre à la radio et répercuté par l’Agence AFP. « l’Europe s’est donnée une gifle à elle-même. Lorsqu’on sacrifie les juifs, il faut se demander qui sera le suivant. A Toulouse, le terroriste qui a assassiné des enfants juifs avait auparavant assassiné des soldats français (…) Israël n’est qu’un hors d’œuvre ». Des propos guère surprenant venant de la bouche du ministre des affaires étrangères Israélien, mais qui sont littéralement offensant pour l’ensemble des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE.
Attendons le vote du texte du Parlement européen prévu à la mi-journée du 13 décembre en plénière du Parlement européen à Strasbourg.
-. La Paix au rabais : l’Europe renforce les colonies israéliennes http://www.cetri.be/IMG/pdf/La_Paix_au_Rabais_Rapport_sur_les_produits_des_colonies_Octobre_2012.pdf
-. The Elders mot anglais signifiant les anciens, les sages universels http://www.theelders.org/article/europes-big-chance-help-two-state-solution-become-reality
-. Texte intégral de la déclaration des ministres des affaires étrangères (EN) http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/EN/foraff/134152.pdf