Lors de la dernière réunion de la commission LIBE le 29 mai 2013, la Présidente d’Eurojust, Michèle Coninsx, a exposé le rapport annuel de l’agence européenne pour l’année 2012. Par une présentation plutôt passionnée, elle a tracé le bilan de son activité et a lancé son appel contre un manque de ressources qui risquerait de défaire l’intégralité de la coopération judiciaire. Malgré les inquiétudes, pour l’agence européenne l’année passée a été très intense de plusieurs points de vue.
Premièrement, Eurojust a été confronté à une amplification remarquable de ses interventions, ce qui signale l’importance croissante de la coopération judiciaire pénale dans l’UE. D’abord quelques données statistiques. Avec 1533 cas transmis en 2012, Eurojust a enregistré une hausse des dossiers traités de l’ordre de 6% par rapport à l’année précédente. Pas moins de 194 réunions de coordination ont porté notamment sur le trafic d’êtres humains et de drogue et sur les fraudes. L’aide à l’exécution du Mandat d’Arrêt Européen, quant à elle, a concerné quelques 250 cas.
L’augmentation des dossiers s’accompagne d’ailleurs d’une diversification des défis détectés, qui ont à faire notamment avec la piraterie maritime et la cybercriminalité. Afin de mieux contrer cette dernière menace, Eurojust a contribué à mettre sur pied un Centre de Lutte contre la Cybercriminalité, dont le siège se trouve actuellement auprès d’Europol ; un représentant de liaison a été désigné pour assurer une plus stricte coopération entre les deux agences.
Eurojust se présente aussi comme un acteur important de la coopération judiciaire au niveau international. Sous présidence chypriote, une réunion a été organisée entre l’UE et une dizaine de pays méditerranéens (du Maroc au Liban) afin d’améliorer l’entraide judiciaire surtout pour ce qui concerne les procédures d’extradition et le transfert des personnes condamnées en matière de terrorisme et de trafic de drogue.
La coopération avec les Etats-Unis se focalise plutôt sur la lutte contre la cybercriminalité, qui a fait l’objet d’une réunion en octobre 2012. D’ailleurs, d’après les estimations d’Eurojust, plus de 40% des dossiers pourraient être traités dans le cadre de la coopération transatlantique. Quelque ce soit le degré d’entraide, il est indéniable que la dimension externe de la coopération judiciaire pénale est un volet en expansion, eu égard à l’expansion des réseaux criminels transnationaux.
Dans le cadre de l’Union européenne, Mme Coninsx a évoqué plusieurs cas de succès à titre exemplaire. Premièrement, celui des attentats commis par le terroriste d’extrême droite Anders Breivik, en Norvège en 2011 : bien que menés par un individu isolé, le background international de ces actes criminels a entraîné une collaboration entre autorités judiciaires de plusieurs pays. Grâce à la présidence du magistrat norvégien, Eurojust a ainsi pu obtenir des informations sur des comptes bancaires en Lettonie et Antigua. De même, l’intervention d’Eurojust a été nécessaire afin de convoquer un témoin américain devant le tribunal compétent. Encore, l’agence européenne a contribué à diffuser et à permettre l’échange d’informations concernant les attentats de Toulouse en mars 2012.
Parmis les succès majeurs , Mme Coninsx a rappelé le rôle crucial joué par les équipes d’enquête conjointes (JITs), qui permettent le bon déroulement de l’entraide judiciaire, tout en économisant les ressources partagées. En 2012, environ 62 JITs ont été financées dans le cadre de projets afférant notamment au trafic de drogue et des êtres humains. Parmi les pays les plus actifs à cet égard, on retrouve l’Allemagne, la Belgique, l’Estonie, la France, les Pays-Bas, ainsi que le Royaume Uni. Un manuel opérationnel sur les JITs a été rédigé en vue de centraliser l’information sur la coopération judiciaire.
Pourtant, ses tâches ne cessant d’augmenter, Eurojust se voit étrangler par les effets bien connus de la crise économique. Ainsi, Michèle Coninsx dénonce-t-elle, les financements pour les JITs établis en 2009, ils arriveront à échéance en octobre 2013 sans qu’une couverture ultérieure ait encore été prévue par la Commission. D’ailleurs, la Présidente a exprimé ses préoccupations quant aux « doublons » opérationnels, qui menaceraient la cohérence et la bonne réussite de l’activité menée par Eurojust : Mme Coninsx s’est dite frappée par la possibilité envisagée par un règlement Europol de lui attribuer des fonds spécifiques pour l’entretien d’un JIT, alors que les équipes d’enquête conjointes relèvent essentiellement de la coopération judiciaire et donc de la compétence d’Eurojust. Plus généralement, le risque serait de mettre en péril la confiance mutuelle, sur laquelle repose au fond toute la coopération judiciaire. Selon les mots de Mme Coninsx, on perdrait ainsi une occasion cruciale pour contrer le crime en Europe.
En dernier lieu, la Présidente d’Eurojust a rappelé le défi juridique et institutionnel posé par l’établissement d’un Procureur Européen : au terme de l’article 86 TFUE, en effet, ceci devrait surgir précisément de la structure d’Eurojust. L’agence est donc en train de repenser son architecture organisationnelle et son rôle au sein du microcosme européen, sans pour autant avoir de véritables lignes directrices à suivre. Bien que la mise sur pied d’un tel parquet européen ait fait l’objet des intérêts de la Commission depuis 2001 (1), les négociations se font en sourdine et aucune volonté politique claire semble avoir surgi à cet égard. L’impasse au Conseil pourrait être dépassé par une coopération renforcée, le mécanisme institutionnel introduit à Amsterdam permettant d’approfondir certains projets d’intégration entre un nombre plus restreint d’Etats Membres (2).
Vues les difficultés pour progresser vers ce projet d’importance vitale pour Eurojust, Mme Coninsx a clairement indiqué le soutien de l’agence à cette formule. Il reste à voir si, en l’absence d’une participation globale, les Etats Membres les plus favorables souhaiteraient toujours en faire partie. De toute façon, la septième législature touchant à son terme, la possibilité d’atteindre un compromis avant 2014 continue à s’éloigner.
Gianluca Cesaro
(1) La Commission avait publié en 2001 un Livre Vert sur l’institution du Procureur Européen.
(2) Actuellement, le seuil minimal est fixé à neuf Etats.
Pour en savoir plus :
· Rapport Eurojust 2012 – (N.a ;à mettre en ligne)
· Memorandum of Understanding between the European Commission and Eurojust – Juillet 2012 – (EN) http://www.eurojust.europa.eu/doclibrary/Eurojust-framework/agreements/Memorandum%20of%20Understanding%20between%20the%20European%20Commission%20and%20Eurojust%20(2012)/Eurojust-Commission-2012-07-20_EN.PDF
· Joint Investigation Teams Manual – 2011 – (EN) –
· Livre Vert de la Commission sur la création d’un Procureur Européen – 2001 – (FR) – http://ec.europa.eu/anti_fraud/documents/fwk-green-paper-document/green_paper_fr.pdf
(EN) http://ec.europa.eu/anti_fraud/documents/fwk-green-paper-document/green_paper_en.pdf