Le traité de Lisbonne et la Cour de Justice de l’UE

Le Traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007, par les 27 chefs d’État ou de gouvernement des États membres de l’Union, entre en vigueur le 1 er décembre 2009. Il modifie les deux traités fondamentaux que sont le traité sur l’Union européenne (TUE) et le traité instituant la Communauté européenne, ce dernier dénommé dorénavant « Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne »(TFUE) (1) .

Le Traité de Lisbonne apporte des modifications quant à l’organisation et aux compétences de la Cour de justice de l’Union européenne.

A. Les modifications apportées à l’organisation de l’institution et à la nomination de ses Membres

L’Union européenne, désormais dotée de la personnalité juridique, se substitue à la Communauté européenne. Ainsi, par le Traité de Lisbonne, la structure en piliers disparaît et l’Union dispose d’un nouveau cadre institutionnel. Par voie de conséquence, à l’instar des institutions qui changent de dénomination, l’ensemble du système juridictionnel de l’Union prend le nom de Cour de justice de l’Union européenne (2) composée de trois juridictions : la Cour de justice, le Tribunal et le Tribunal de la fonction publique. En ce qui concerne la création de tribunaux spécialisés, si le Traité de Lisbonne reprend des dispositions existantes, il prévoit néanmoins certaines modifications quant aux modalités de leur création, à savoir que désormais, ils sont créés selon la procédure législative ordinaire (c’est-à-dire en codécision à la majorité qualifiée) et non plus à l’unanimité comme auparavant.

Il découle du Traité de Lisbonne qu’une demande de modification du statut de la Cour de justice de l’Union européenne (3) est entendue comme « projet d’acte législatif » (4) et doit, être soumise à la procédure législative ordinaire. En revanche, le statut des juges et des avocats généraux ainsi que le régime linguistique de la Cour reste soumis à la règle de l’unanimité.

En ce qui concerne les modalités de nomination des Membres de l’institution, le Traité de Lisbonne reprend les dispositions existantes en ce que les juges sont nommés d’un commun accord par les gouvernements des États membres pour six ans mais désormais après consultation d’un comité chargé de donner un avis sur l’adéquation des candidats à l’exercice des fonctions de juge et d’avocat général à la Cour de justice et au Tribunal. Ce comité est composé de sept personnes choisies parmi d’anciens membres des deux juridictions, des membres des juridictions nationales suprêmes et de juristes possédant des compétences notoires, dont l’un est proposé par le Parlement européen. Statuant sur initiative du Président de la Cour de justice, le Conseil adopte les décisions sur les règles de fonctionnement de ce comité ainsi que sur la désignation des membres de celui-ci.

-. 1 Ne subsiste que la Communauté européenne de l’énergie atomique ou « Euratom » (protocole n°1 modifiant les protocoles annexés au Traité sur l’Union européenne, au Traité instituant la Communauté et/ou au Traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique.

-. 2 Article 19 TUE.

-. 3 Le statut de la Cour de justice de l’Union européenne figure au protocole n° 3.

-. 4 Protocole n° 2 sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité.

S’agissant des avocats généraux, une déclaration prévoit qu’il est possible d’augmenter leur nombre de 8 à 11 à la demande de la Cour de la justice (5) .

B. Les modifications relatives aux compétences de la Cour de justice de l’Union européenne

Les domaines

La structure en piliers introduite par le Traité de Maastricht disparaît. Dès lors, la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne s’étend au droit de l’Union européenne à moins que les Traités n’en disposent autrement (6) .

Ainsi, la Cour de justice acquiert une compétence préjudicielle générale dans le domaine de l’espace de liberté, de sécurité et de justice en raison de la disparition des piliers et de la suppression, par le Traité de Lisbonne, des articles 35 UE et 68 CE qui prévoyaient des restrictions à la compétence de la Cour de justice. Premièrement, en ce qui concerne la coopération policière et judiciaire en matière pénale(7) , la compétence de la Cour de justice pour statuer à titre préjudiciel devient obligatoire et n’est plus subordonnée à une déclaration de chaque État membre reconnaissant cette compétence et indiquant les juridictions nationales pouvant la saisir. Par le Traité de Lisbonne, le domaine de la police et de la justice pénale entre dans le droit commun et toutes les juridictions peuvent saisir la Cour de justice. Des dispositions transitoires prévoient cependant que cette pleine compétence ne sera applicable que cinq ans après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne (8) . Deuxièmement, en ce qui concerne les visas, l’asile, l’immigration et les autres politiques liées à la circulation des personnes (9 )notamment la coopération judiciaire en matière civile, la reconnaissance et l’exécution des jugements) la Cour peut être maintenant saisie par toutes les juridictions nationales – et non plus par les seules juridictions supérieures – et elle est désormais compétente pour se prononcer sur des mesures d’ordre public dans le cadre de contrôles transfrontaliers. Par conséquent, la Cour de justice dispose d’une compétence de droit commun dans ce domaine et dès l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. En outre, la Charte des Droits fondamentaux (10) de l’Union européenne acquiert la même valeur juridique que les Traités 11 . Elle intègre « le bloc de constitutionnalité » sur lequel la Cour de justice peut se prononcer. Cependant, la Charte n’est pas opposable au Royaume-Uni et à la Pologne qui bénéficient d’une dérogation 12 dont il découle que la Charte n’étend pas la faculté pour la Cour de justice ou pour toute juridiction de ces deux États membres, d’estimer que les lois, règlements ou dispositions, pratiques ou actions administratives sont incompatibles avec les droits ou les principes fondamentaux qu’elle réaffirme. Par ailleurs, les chefs d’États et de gouvernement sont convenus d’étendre dans l’avenir cette dérogation à la République tchèque 13 .

(5)  Déclaration n° 38 ad article 252 TFUE du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relative au nombre d’avocats généraux à la Cour de justice.

(6)  Article 19 TUE.

(7)  Ancien titre VI du Traité UE.

(8)  Protocole n° 36, article 10 sur les dispositions transitoires. Il est prévu qu’à titre de mesure transitoire, les attributions de la Cour de justice restent inchangées pour les actes adoptés dans le domaine de la coopération policière et judiciaire, adoptés avant l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Cette mesure transitoire cesse de produire ses effets après cinq après la date d’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne.

(9)  Ancien titre IV du Traité CE.

(1 0) Par ailleurs, l’article 6, paragraphe 2 TUE précise que « l’Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l’Union telles qu’elles sont définies dans les Traités ». Le protocole n° 8 indique que l’accord d’adhésion doit préciser notamment « les modalités particulières de l’éventuelle participation de l’Union aux instances de contrôle de la Convention européenne [et] les mécanismes nécessaires pour garantir que les recours formés par des États non membres et les recours individuels soient dirigés correctement contre les États membres et/ou l’Union selon les cas ». Cette adhésion « n’affecte ni les compétences de l’Union ni les attributions de ses institutions ».

(11) Article 6, paragraphe 1 TUE.

(12)  Protocole n° 30 annexé au TFUE sur l’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à la Pologne et au Royaume-Uni.

Si la notion de pilier disparaît avec le Traité de Lisbonne, la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), en vertu du titre V du Traité UE (14) , reste soumise à des règles particulières et à des procédures spécifiques. Dès lors, la Cour de justice n’est pas compétente (15) pour contrôler ces dispositions ainsi que les actes pris sur leur base, sous réserve de deux exceptions, à savoir : 1) qu’elle est compétente pour contrôler la délimitation entre les compétences de l’Union et la PESC dont la mise en œuvre ne doit pas affecter l’exercice des compétences de l’Union et les attributions des institutions pour l’exercice des compétences exclusives et partagées de l’Union (16) ; 2) qu’elle est compétente pour connaître les recours en annulation dirigés contre les décisions prévoyant des mesures restrictives à l’encontre des personnes physiques ou morales adoptées par le Conseil, dans le cadre par exemple de la lutte contre le terrorisme (gel des avoirs) (17)- .

Les procédures

La procédure préjudicielle est étendue aux actes pris par les organes et organismes de l’Union (18) qui sont ainsi incorporés au droit de l’Union que la Cour de justice peut interpréter et contrôler leur validité à la demande des juges nationaux afin de leur permettre, par exemple, de vérifier la conformité de leur législation nationale avec ce droit.

Est introduite par le Traité de Lisbonne une disposition selon laquelle la Cour de justice statue dans les plus brefs délais si une question préjudicielle est soulevée dans une affaire pendante devant toute juridiction nationale concernant une personne détenue (19) . Il est ainsi fait référence dans le texte même du Traité à la procédure préjudicielle d’urgence (PPU), entrée en vigueur le 1er mars 2008, qui s’applique à l’espace de liberté de sécurité et de justice. ( CP 12/08 )

Le Traité de Lisbonne étend le contrôle de la Cour de justice aux actes du Conseil européen, celui-ci ayant été reconnu par le Traité de Lisbonne comme une institution à part entière. En vertu de nouvelles dispositions (20) , elle peut, sur demande de l’État membre concerné, se prononcer sur la légalité d’un acte adopté par le Conseil européen ou le Conseil lorsqu’il a identifié un risque clair de violation grave par cet État membre de certaines valeurs (21) respect de la dignité humaine, respect des droits de l’homme, etc. (22) .

De même, l’institution est compétente, dans les mêmes conditions, pour se prononcer sur les recours formés par la Cour des comptes, la Banque centrale européenne et, désormais, par le Comité des Régions qui tendent à la sauvegarde des prérogatives de ceux-ci.

Le Traité de Lisbonne assouplit les conditions de recevabilité des recours introduits par les particuliers (personnes physiques ou morales) contre les décisions des institutions, organes et organismes de l’Union. Les particuliers peuvent introduire un recours contre un acte réglementaire s’il affecte directement ceux-ci et s’il est dépourvu de mesures d’exécution. Dès lors, les particuliers n’ont plus à démontrer qu’ils sont individuellement concernés par cet acte(23) . Dans le cadre du contrôle du respect du principe de subsidiarité, la Cour de justice peut être saisie par un État membre d’un recours en annulation d’un acte législatif pour violation du principe de subsidiarité émanant d’un parlement national ou d’une des chambres de celui-ci. Le recours doit être formellement présenté par le gouvernement d’un État mais il peut être également simplement « transmis » par ce gouvernement, l’auteur véritable du recours étant le parlement national ou une chambre de celui-ci (24) . De même, le Comité des Régions peut invoquer la violation de tel principe, et ce, dans la limite des actes sur lesquels sa consultation est obligatoire.

(13)  Conclusions du Conseil européen des 29 et 30 octobre 2009 indiquent que le protocole n° 30 s’applique à la République tchèque (Doc 15265/09 CONCL 3).

(14)  Article 24 TUE.

(15)  Article 275 TFUE.

(16)  Article 40 TUE.

(17)  Article 275 TFUE.

(18)  Article 267 TFUE.

(19)  idem.

(20)  Article 269 TFUE.

(21)  Article 2 TUE.

(22)  Ce recours doit être formé dans un délai d’un mois à compter de cette constatation et la Cour de justice doit statuer dans un délai d’un mois à compter de la date de la demande.

(23) Article 263 TFUE

Le Traité de Lisbonne accélère par ailleurs le mécanisme des sanctions pécuniaires (somme forfaitaire et/ou astreinte) en cas de non exécution d’un arrêt en manquement 25 . Il permet également à la Cour de justice d’infliger, dès le stade du premier arrêt en manquement, des sanctions pécuniaires en cas de non communication à la Commission des mesures nationales de transposition d’une directive. 26

Enfin, la Commission, à l’issue d’une période de cinq ans, peut introduire des recours en manquement concernant des mesures relatives à la coopération policière et judiciaire en matière pénale prises avant l’entrée du Traité de Lisbonne 27 .

(24)  Le traité de Maastricht a inscrit le principe de subsidiarité. L’article 5 du Traité CE le définit en ces termes : « dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n’intervient, conformément au principe de subsidiarité que si et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante pour les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire ». Un autre principe lui est étroitement associé, le principe de proportionnalité, selon lequel, « l’action de la Communauté n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du présent Traité ».

(25)  Article 260 TFUE.

(26)  Idem.

(27)  Il découle du protocole n° 36, article 10, paragraphe 1que de tels recours sont possibles à partir de l’expiration du délai de cinq ans après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne.

TEXTE (EN)

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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