Immigration Etats-Unis : va-t-on vers un délit de facies ? Obama en retrait.

Le débat s’enflamme. Il s’invite aux élections de l’automne prochain, mais les Etats-Unis ont besoin des immigrés. Pour beaucoup, cette loi encourage les contrôles au faciès, menace la sûreté publique et trahit les valeurs américaines. Le Parti républicain juge quant à lui le dispositif essentiel à la lutte contre l’insécurité. L’Arizona, état désertique qui compte 460.000 clandestins, est l’une des premières destinations des trafiquants de drogue et des passeurs mexicains. Décriée par les « Latinos » et les défenseurs des droits civiques, la nouvelle législation est toutefois largement approuvée dans les sondages .Mais donnent aussi lieu à d’importantes manifestations. Sa constitutionnalité est contestée.

En vertu de la loi SB1070, adoptée le 19 avril par le parlement de l’Etat de l’Arizona, la police pourra contrôler les résidents dès lors qu’elle a un «soupçon raisonnable» sur leur statut. Mais l’immobilisme du Congrès et des administrations successives ont créé une situation intenable, devenue explosives à  six mois des élections à mi-mandat. Le texte -qui inscrit tout simplement le délit de faciès dans la loi- a suscité une mobilisation de la population latino-américaine à l’échelle nationale. Car si les immigrés ou descendants d’immigrés hispaniques représentent la première minorité du pays, ils sont également les premiers concernés par cette loi, l’Arizona étant un Etat voisin du Mexique.

Comme le rappelle The Daily Beast, les votes latinos ont compté lors des élections législatives de 2006 et pour l’arrivée des démocrates à la présidence en 2008. La «minorité» en appelle donc à Barack Obama alors que des rassemblements massifs sont convoqués à Washington et dans tout le pays . Si du côté des démocrates, certains réclament une réforme au niveau national, le journaliste Benjamin Sarlin, rappelle que l’agenda de la Maison Blanche est déjà bien encombré de dossiers difficiles pour y ajouter une telle mesure polémique. A Washington, où le calendrier des démocrates est déjà chargé avec la régulation financière, le changement climatique et les efforts en cours pour doper l’emploi, l’idée d’aborder la question de l’immigration juste avant une élection difficile divise les progressistes au Congrès comme les commentateurs politiques. Nous verrons plus loin que cette hypothèse vient de recevoir un renfort avec les confidences faites par le président dans Air Force One au retour de son déplacement en Illinois.

En attendant une décision venue de Washington, le texte proposé par la gouverneure républicaine Jan Brewer est sévèrement condamné par les chefs d’Etat latino-américains. Le président du Mexique, Felipe Calderón, a dénoncé lundi une loi «inhumaine, inacceptable, discriminatoire et injuste». Aux Etats-Unis, la grogne de la communauté hispanique est notamment relayée par La Opinion, premier quotidien hispanophone du pays qui, a publié lundi un éditorial intitulé «Dites NON à l’Arizona». Nous en appelons à ceux qui croient en la Constitution pour boycotter l’Etat de l’Arizona. La loi anti-immigrant promulguée en Arizona violent les droits de l’individu en l’exposant au harcèlement policier pour le seul fait de son apparence aux yeux de la loi. Pour le quotidien, il faut donc désormais agir:

Il y a deux moyens d’action contre cette loi: par les avocats et leurs plaintes, le second est le boycott de l’Arizona. Nous exprimons notre indignation face à cette atteinte et lançons un appel à boycotter les produits et services en provenance d’Arizona ainsi qu’à ne plus pratiquer de tourisme (…) dans un Etat qui s’attribue des pouvoirs qu’il n’a pas pour persécuter une minorité.Un tel boycott ne serait pas sans conséquence économique, indique Andrés Oppenheimer dans les pages de El Nuevo Herald puisqu’ils seraient près de 16,5 millions de touristes issus d’Amérique centrale et du sud à venir aux Etats-Unis chaque année. «Et qui pourraient y réfléchir à deux fois avant de se rendre dans des endroits où ils risquent d’être interpellés en raison de la couleur de leur peau ou de la langue qu’ils parlent.» Oppenheimer appelle en outre à se préparer au «grand exode hispanique». Non pas vers «le Mexique ou l’Amérique centrale comme l’espèrent ceux qui soutiennent ces mesures» mais vers Miami, Los Angeles ou d’autres grandes villes où la population hispanique est importante et où ils ne risqueront pas un contrôle au faciès.  Alors que l’Arizonza, Etat voisin du Mexique, vient de légiférer sur le délit de faciès, deux hommes politiques américains de premier plan (Bill Clinton et Mike Bloomberg) déclarent que les Etats-Unis doivent ouvrir leurs frontières.

The Atlantic rapporte les propos de l’ancien Président Bill Clinton qui pense que le Congrès devrait «voter quelque chose». http://www.theatlantic.com/business/archive/2010/04/president-clinton-immigration-key-to-deficit-reduction/39652/ La valeur de ce pays, ce que n’ont pas la Chine ou l’Inde, c’est que nous avons des personnes de partout dans le monde ici, et qu’ils font du bon travail. Chez les républicains aussi, certains demandent plus d’immigrés. Mike Bloomberg, le maire de New York réprouve la loi votée en Arizona, une «invitation au harcèlement», selon lui. Il y a environ 12 millions d’immigrés illégaux ici. Nous n’allons pas les expulser. Donnons-leur un statut. Il ne faut pas leur donner la citoyenneté, à moins qu’ils ne réussissent les tests, mais donnons-leur un statut permanent et tout ira bien. Pour certains Américains, la présence d’immigrés illégaux est une bonne chose pour les Etats-Unis: ils acceptent les jobs dont personne ne veut et à un salaire défiant toute concurrence.

Le maire de New York a ainsi annoncé qu’il soutiendrait  «à 100%» Obama, si le Président décidait de revoir les lois sur l’immigration. http://www.nydailynews.com/news/politics/2010/04/29/2010-04-29_its_national_suicide_mikes_grim_view_if_immig_reform_mess_isnt_fixed.html . Un projet de l’administration Obama devrait être présenté à l’été. Il prévoit de permettre aux immigrés illégaux d’obtenir des papiers après un certain délai sur le sol américain. Selon le New York Times, http://www.nytimes.com/2009/04/09/us/politics/09immig.html.Barack Obama devrait prendre la parole sur le sujet courant mai. L’émotion complique et aide à la fois l’action de Barack Obama. Elle l’aide à se souvenir de sa promesse électorale de faire de la réforme de l’immigration « une priorité absolue durant ma première année à la présidence ». En mars une marche pour l’Amérique a réuni plus de 100 000 manifestants à Washington exhortant Obama à ne pas reporter sa réforme. Il a demandé au Congrès de procéder à une réforme complète de l’immigration pour empêcher des Etats comme l’Arizona de se fourvoyer en l’absence de cadre fédérale approprié. Le projet envisagé à la Maison Blanche mais encore largement inconnu permettrait de légaliser les clandestins mais renforcerait les contrôles aux frontières. Le sujet est périlleux, les partis divisés. L’enjeu ce sont aussi les électeurs d’origine latinos qui anciens électeurs majoritairement républicains ont basculé avec Obama dans le camp démocrate, des électeurs qu’il convient de fidéliser. Ils seront la clé des élections : ils représentent 14% de la population, la plus importante minorité en rapide augmentation, participant de plus en plus aux élections : 10 millions ont voté aux dernières présidentielles, soit 2,5 millions de plus qu’en 2004 et 67% ont choisi Obama. Au Texas en Californie, en Floride, au Nouveau Mexique dans 79 circonscriptions ils représentent le quart des électeurs. Le Pew Research Center, incontestablement l’un des meilleur connaisseur du phénomène hispanique, vient de réaliser une étude assez complète sur le cas de l’Arizona http://pewresearch.org/pubs/1579/arizona-immigration-law-fact-sheet-hispanic-population-opinion-discrimination. L’an passé il avait réalisé un dossier sur le problème de l’immigration des « Hispanics » http://pewhispanic.org/topics/?TopicID=16

Le projet de la maison Blanche est donc une promesse de campagne du candidat Obama aux Hispaniques. En ouvrant le débat, le Président tiendrait simplement parole comme il l’a fait pour la santé. Mais dans son camp, beaucoup craignent que le moment soit mal choisi. L’argument selon lequel les immigrés «prennent le travail des Américains» est agité par certains républicains en cette période de crise. George W. Bush s’était déjà cassé sur les dents sur un projet similaire en 2007. Obama veut donc mettre en avant deux éléments: les clandestins qui pourraient être régularisés ont déjà un emploi. Et, contrairement aux prévisions, la crise n’a pas provoqué de reflux des clandestins vers les pays d’origine. Mais comme le rapporte le Washington Post le président n’a pas d’appétit pour engager une nouvelle réforme et livrer une nouvelle bataille épuisante : il compte s’en remettre au Congrès  (?) d’où il ne sortira rien de bon avancent plusieurs observateurs .http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2010/04/30/AR2010043001389.html?wpisrc=nl_pmpolitics

En attendant la mobilisation des opposants  est forte : des dizaines de milliers de manifestants ont protesté samedi en Arizona et ailleurs aux Etats-Unis contre le durcissement de la répression de l’immigration clandestine, et demandent au président Barack Obama de tuer le texte controversé. « Je veux remercier le gouverneur de l’Arizona qui a réveillé un géant endormi » a résumé le dirigeant syndical John Delgado, qui conduisait à New York un rassemblement de 6.500 personnes environ. De Los-Angeles à Washington D.C., des militants, des familles, des étudiants et même des hommes politiques ont pris part à ces manifestations, pratiquant la désobéissance civile et révélant leur statut de citoyen au nom du droit des immigrants, qui seraient 12 millions à vivre clandestinement aux Etats-Unis. Selon la police, 50.000 personnes ont défilé contre la loi de l’Arizona à Los Angeles, où la chanteuse Gloria Estefan a lancé le cortège. « Nous sommes des gens bien » a affirmé l’immigrée cubaine depuis la plate-forme d’un camion. « Nous avons donné beaucoup à ce pays, et ce pays nous a beaucoup donné ». D’autres célébrités « latinos » comme Shakira et Ricky Martin ont dénoncé la nouvelle loi, que la gouverneure de l’Etat a modifiée vendredi dans l’espoir d’apaiser les critiques. « La loi est injuste et inhumaine et viole les droits humains et civils de la communauté latina », a considéré pour sa part la chanteuse colombienne Shakira.

Le texte de loi adopté  au Congrès régional, contrôlé par les républicains, permet d’interroger et d’arrêter quiconque suspecté de résider illégalement dans l’Etat. En outre, les journaliers en situation irrégulière peuvent être arrêtés pour avoir sollicité du travail, et les forces de l’ordre faire l’objet de poursuites si elles n’appliquent pas la loi.Devant le tollé général qu’a déclenché l’initiative jusqu’à Washington, (plusieurs étudiants ont fait une longue marche de 1500 miles pour porter un message à Barack Obama http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2010/04/30/AR2010043001384.html?wpisrc=nl_pmpolitics  la gouverneure de l’Arizona, Jan Brewer, a apporté quelques changements à la loi initiale. « Avec ces nouvelles dispositions, il est clair comme du cristal et indéniable que les contrôles au faciès sont illégaux et ne seront pas tolérés en Arizona », affirme-t-elle dans un communiqué. L’avocat d’un policier à l’origine de l’une des trois plaintes déposées contre la nouvelle législation, Me Stephen Montoya, a déclaré que cette légère révision ne suffisait pas. Pour lui, cette loi reste inconstitutionnelle car l’Arizona se mêle de contrôle de l’immigration, ce qui relève de la responsabilité de l’Etat fédéral. La loi et ses amendements doivent entrer en vigueur au 29 juillet s’ils ne sont pas bloqués d’ici là, notamment par la justice ou un référendum sur son abrogation.

L’Immigration Policy Center multiplie jour après jour analyses et commentaires « Digging Immigration Out of Midterm  Election Politics» http://immigrationimpact.com/2010/04/29/digging-immigration-out-of-midterm-election-politics/ «  Arizona’s Punishing New immigration Law doesn’t Fight Crime » http://immigrationimpact.com/2010/04/28/arizona%e2%80%99s-punishing-new-immigration-law-doesn%e2%80%99t-fight-crime/ « New Arizona Enforcement Law Sparks Calls for Economic Boycott » http://immigrationimpact.com/2010/04/28/arizona%e2%80%99s-punishing-new-immigration-law-doesn%e2%80%99t-fight-crime/

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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