Un cours accéléré de rattrapage en droit européen à l’attention du Ministre Pierre Lellouche. En Europe il n’y a que des petits pays !

La non discrimination était un des premiers gènes constitutifs de la construction européenne : article 7 du Traité de Rome , non discrimination fondée sur la nationalité. Depuis ce principe s’est étendu à plus d’une douzaine de cas. Dès lors toucher à ce principe fondateur,  c’est toucher à une zone vitale et sensible du corps humain. De ce fait le droit ignore grands et petits pays : tous sont traités sur un pied d’égalité, de façon  équitable, impartial. Dans sa conférence de presse Viviane Reding a rappelé qu’elle traitera tous les pays de la même façon, qu’il s’agisse de la France ou d’autres pays, qu’ils soient petits ou grands. A cet égard Pierre Lellouche ne peut se prévaloir, comme il l’a fait, d’être un grand pays. Sur le plan de la géopolitique, domaine de prédilection du ministre, et non du droit européen dont il ignore tout, il convient de lui rappeler qu’en Europe il n’y a que des petits pays comme le signalait récemment l’éditorialiste de l’Agence Europe.

 «On est en train de dresser le procès européen de la France pour la façon dont une circulaire est rédigée», a lancé Pierre Lellouche à destination de ses homologues des 27 en marge d’une réunion à Bruxelles, le lundi 13 septembre. Cela n’est pas sans raison : il existe en effet le droit européen.La construction européen fruit d’une vision politique et d’une volonté politique a pour fondation le droit qui garantit la liberté et le traitement équitable de tous, grands et petits, riches et pauvre, anciens et récents. L’Europe est une construction juridique qu’il faut garantir, préserver.

Dés lors que faut-il penser de «Le gardien des traités, c’est le peuple français». Lisons l’article 17«La Commission promeut l’intérêt général de l’Union et prend les initiatives appropriées à cette fin. Elle veille à l’application des traités ainsi que des mesures adoptées par les institutions en vertu de ceux-ci. Elle surveille l’application du droit de l’Union sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne.» Aucune mention du peuple français. Non pas que la Commission n’a que faire de l’opinion des citoyens de la République, mais cela n’est pas son rôle. Les citoyens élisent leurs représentants au sein du Conseil (les ministres) et les députés du Parlement européen. Demain le citoyen pourra saisir la Cour européenne des droits de l’homme si l’UE venait à violer ses propres  lois et règlements  lorsque l’UE aura adhéré à la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui est pour bientôt. Le citoyen a un rôle considérable mais pas celui que lui prête Pierre Lellouche.

Le  travail de la Commission doit être marqué par l’indépendance, se plaçant au-dessus des intérêts nationaux dans un objectif clair: garantir le bon fonctionnement de l’ensemble. Il n’y a donc pas de commissaire français au sens de représentants de son pays et défendant les intérêts et ceux-ci sont défendus dans la mesure où ils coïncident avec l’intérêt général des membres de l’Union européenne et eux seuls. «La Commission exerce ses responsabilités en pleine indépendance.»Le peuple  français n’est gardien de rien du tout, il élit ses représentants au Parlement européen, et envoie son chef d’État ou de gouvernement  au Conseil européen.

«La France est un grand pays souverain» Il n’est pas question ici de remettre en cause la taille du pays, même si, aux yeux du droit, la taille a peu d’importance. Quant au terme «souverain», s’il est indéniable que la France reste compétente dans de nombreux domaines,  Pierre Lellouche doit comprendre et apprendre que les traités signés par son pays et parfois ratifiés par ses citoyens  organise des  «transfert» de compétences,  variable suivant les domaines : la compétence peut être partagée ou exclusive. Peu de chose reste en dehors de la compétence communautaire .Un exemple, pas pris au hasard, l article 4 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)  attribue une compétence partagée entre l’Union européenne les États membres concernant le domaine de «l’espace de liberté, de sécurité et de justice», ce qui correspond justement au débat autour des expulsions des Roms. Les décisions prise à l’unanimité y sont de plus en plus rares et la co-décision avec le Parlement européen y est quasi générale.

Donc la France n’est pas tant souveraine que ça, là comme ailleurs. Grande ou pas. Mais dans le monde d’aujourd’hui qui l’est ? Les Etats-Unis ne le seraient plus, comme le soulignent bien des analystes.

«Nous appliquons notre loi» Bien sûr. Mais dans les limites du droit… européen et ce, depuis 1965 et l’arrêt Costa de la Cour de Justice des Communautés européennes. Autrement dit: le droit communautaire prime sur le droit national. Ce dernier se doit donc d’être en accord avec les décisions prises à Bruxelles et les Traités en vigueur. Cela explique pourquoi la France avait dû modifier sa Constitution juste avant le référendum de 2005 (en vertu de l’arrêt Simmenthal de 1978).

En plus d’avoir un droit national «euro-compatible», la France se doit d’appliquer l’ensemble des législations européennes en transposant les directives européennes. La loi française, c’est donc et aussi un peu  et beaucoup la loi européenne. Combien de loi dite française sont d’origine européenne ?

«Je ne suis pas d’accord avec son interprétation».Cette phrase fait référence au Traité  et le ministre s’attribue une tâche qui n’est pas la sienne. Toujours selon les textes, ce travail d’interprétation est confié à la Cour de Justice de l’Union européenne. Article 19 du Traité sur l’Union européenne: «Elle assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités.» Si le secrétaire d’État continue à douter quant à la mise en pratique de la liberté de circulation (conditionnée à quelques limitations selon un protocole de 2004), il peut toujours faire appel aux juges de la Cour de Justice (CJUE) et leur demander leur avis. D’ailleurs, il est possible que la Commission européenne fasse de même si par malchance pour le ministre,  la procédure , une fois engagée (ce qui n’est pas la certitude car la Commission préfère toujours voir l’Etat membre se ranger que le traîner devant la Cour) va jusqu’à son terme : la saisine de la Cour.

 «A la Commission, on ne peut pas dire que l’on croulait sous les initiatives» Qui connait le détail des dossiers (Pierre Lellouche  peut toujours consulter avec profit les articles de Nea Say) sait que sur le plan des faits, ce n’est pas correcte : la  Commission européenne et le Parlement européen et l’UE en général sont les références dans la recherche de solutions pour l’intégration des Roms. la Commission a d’ailleurs démenti les accusations de secrétaire d’État français. «La Commission a fait beaucoup pour les Roms, et nous continuons à jouer notre rôle, qui est de rappeler aux États membres que leur compétence dans cette matière est de fournir des actions concrètes pour intégrer les Roms.» Parmi les fonds européens, 17,5 milliards d’euros sont actuellement dédiés à cette question.  «Nous avons organisé un sommet sur les Roms début avril. A l’époque, moins de cinq ministres avaient répondu à l’appel.» Parmi ceux présents, Pierre Lellouche qui avait déclaré à cette occasion que: «La France considère inacceptable les discriminations envers les populations roms (?) L’action du gouvernement français en faveur des citoyens européens roms repose sur le principe clair de non discrimination: les Roms doivent être traités avec le même respect que les autres citoyens de l’Union européenne. Une conduite inverse irait contre nos valeurs et nos principes constitutionnels.» Une très faible partie de cette somme a été engagée, mais là comme ailleurs ce sont les Etats membres qui sont responsables (à 85%)  de la dépense et des fraudes le cas échéant en assurant pas le contrôle approprié. Pour les semaines et les mois à venir, l’élément structurant des actions concernant les ROM reste à ce jour la Communication dela Commision d’avril dernier qui précédait de quelques jours le deuxième sommet ministériel sur les Roms, à Cordoue .

Guy Verhofstadt devrait «se calmer». «Il n’a pas raison sur les Roms et il devrait s’occuper de la Belgique» Repousser  d’un revers de la main les critiques de Guy Verhofstadt au nom de sa nationalité est totalement  déplacé dans un contexte européen. Signalons pour son information que l’ancien Premier ministre belge n’exerce plus aucun mandat national dans son pays. Il a été élu député européen en juin 2009 et il se consacre totalement à sa tâche, avec brio, il est inconfortable, mais les français auront besoin de lui. Bien plus, il est président d’un des sept groupes politiques et en tant que président du groupe politique des Libéraux (Alde, le troisième le plus important au Parlement en nombre d’élus), il représente également six eurodéputés français. Prendre position sur un dossier comme celui-ci correspond donc tout à fait à son champ d’action. Les études de Votewatch nous apprennent que les membres de son parti (UMP) votent le plus souvent de la même façon que les socialistes !!!! et que ce qui détermine la position du député ce n’est pas sa nationalité, mais la position de son groupe. Ce sont les groupes qui font les majorités, plus rarement les nationalités, uniquement à la marge et à la condition d’une bonne discipline et d’une très bonne organisation, qualité naturelle qui n’est pas la marque du député français. A lui donc de bien faire son métier pour l’influencer dans le sens qu’il souhaite. Il est temps que les « élites » françaises apprennent  que l’Europe ce n’est pas la France mais en plus grand…,  que le Parlement européen ne fonctionne pas comme l’Assemblée nationale française et qu’on ne manie pas un député européen comme un député français qui reste numériquement en nombre limité et encore peu influent jusqu’à maintenant malgré quelques progrès récents. « Ils sont encore mal dégourdis » s’est risqué à dire  en petit comité le Représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne. Mais çà c’est de leur faute….

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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