La garde à vue « à la française » encore remise en cause : après la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), c’est le tour de la Cour de cassation.

Confirmant que la France était en infraction avec les règles européennes, (cf ; Nea say N°95)la Cour de cassation a ouvert  une nouvelle brèche dans le régime de la garde à vue, procédure policière coercitive très critiquée. Cette détention policière concerne chaque année, infractions routières et outre-mer compris, près de 900.000 personnes.

Dans trois arrêts, la Cour de cassation, plus haute juridiction du pays, a estimé qu’on ne pouvait maintenir en l’état, comme c’est envisagé, des régimes dérogatoires pour les affaires de terrorisme, de trafic de drogue et de crime organisé, avec accès tardif et limité à un avocat. Cet arrêt a aussitôt contraint le gouvernement à revoir le projet de réforme présenté la semaine dernière, qui prévoit le maintien de ces régimes dérogatoires, tout en modifiant le régime de la garde à vue pour les autres affaires.

« Le garde des Sceaux tiendra compte de ces décisions. Les aménagements nécessaires seront introduits par voie d’amendements », a dit à Reuters le cabinet de la ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie. Comme le Conseil constitutionnel le 30 juillet dernier, et la Cour européenne des droits de l’homme dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a par ailleurs confirmé que la France devait permettre l’accès des avocats à leurs clients aux interrogatoires de garde à vue et obliger les policiers à notifier aux suspects leur droit au silence.

Pour les affaires de droit commun, ces dispositions figurent déjà, avec certaines dérogations possibles, dans le projet de loi. Cet arrêt signifie en théorie que toutes les gardes à vue actuelles et celles qui interviendraient avant l’entrée en vigueur de la réforme sont frappées de nullité. La Cour de cassation, démarche très rare, a résolu ce problème en décidant que l’application de son arrêt sera différée jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi, ou « au plus tard le 1er juillet 2011 ».

La garde à vue, dont la durée peut aller jusqu’à 48 heures en droit commun, peut être de quatre jours en matière de terrorisme, de trafic de drogue, et de criminalité organisée, avec accès possible à l’avocat seulement à la 72e heure.

C’est ce dernier point que la Cour de cassation oblige à modifier. « La restriction du droit pour une personne gardée à vue d’être assistée dès le début de la mesure par un avocat (…) doit répondre à l’exigence d’une raison impérieuse, laquelle ne peut découler de la seule nature de l’infraction », explique-t-elle dans un communiqué. La Cour ne ferme donc pas totalement la porte à d’éventuelles dérogations. Le ministère estime que les magistrats pourront toujours différer l’arrivée d’un avocat en garde à vue, mais devront le justifier au cas par cas.

Le projet Alliot-Marie est déjà critiqué sur d’autres points. Le régime d’audition dite « libre », sans avocat, qu’il créé pour remplacer les interrogatoires coercitifs est vu par les avocats comme une possibilité de garder les règles anciennes de manière hypocrite.  (CF. Nea say) Pour des raisons inverses, le syndicat de police Alliance a déjà protesté contre la réforme, qu’il voit comme une faveur faite aux avocats et un handicap pour le travail des enquêteurs.

Dans son communiqué la Cour de cassation fait valoir :

 « Par trois arrêts du 19 octobre 2010, la chambre criminelle de la Cour de cassation, statuant en formation plénière, a jugé que certaines règles actuelles de la garde à vue ne satisfaisaient pas aux exigences de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme telles qu’interprétées par la Cour européenne. Il en résulte que, pour être conformes à ces exigences, les gardes à vue doivent être menées dans le respect des principes suivants:

– la restriction au droit, pour une personne gardée à vue, d’être assistée dès le début de la mesure par un avocat, en application de l’article 706-88 du code de procédure pénale instituant un régime spécial à certaines infractions, doit répondre à l’exigence d’une raison impérieuse, laquelle ne peut découler de la seule nature de l’infraction;

– la personne gardée à vue doit être informée de son droit de garder le silence;

– la personne gardée à vue doit bénéficier de l’assistance d’un avocat dans des conditions lui permettant d’organiser sa défense et de préparer avec lui ses interrogatoires, auxquels l’avocat doit pouvoir participer.

La chambre criminelle s’est trouvée face à une situation juridique inédite: une non-conformité à la Convention européenne des droits de l’homme de textes de procédure pénale fréquemment mis en oeuvre et par ailleurs en grande partie déclarés inconstitutionnels, dans le cadre du contrôle a posteriori du Conseil constitutionnel, cette déclaration ayant un effet différé dans le temps.

Des adaptations pratiques importantes qui ne peuvent être immédiatement mises en oeuvre s’imposent à l’évidence à l’autorité judiciaire, aux services de police judiciaire et aux avocats. La chambre criminelle a donc décidé de différer l’application des règles nouvelles en prévoyant qu’elles prendront effet lors de l’entrée en vigueur de la loi devant modifier le régime de la garde à vue ou, au plus tard, le 1er juillet 2011.

Les règles nouvelles ne s’appliquent donc pas aux gardes à vue antérieures à cette échéance.

La chambre criminelle considère que ces arrêts ont aussi pour but de sauvegarder la sécurité juridique, principe nécessairement inhérent au droit de la Convention européenne des droits de l’homme. Ils assurent enfin la mise en oeuvre de l’objectif de valeur constitutionnelle qu’est la bonne administration de la justice, laquelle exige que soit évitée une application erratique, due à l’impréparation, de règles nouvelles de procédure. »

•Arrêt n° 5699 du 19 octobre 2010 (10-82.902) – Chambre criminelle http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/5699_19_17828.html

•Arrêt n° 5700 du 19 octobre 2010 (10-82.306) – Chambre criminelle http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/5700_19_17829.html

•Arrêt n° 5701 du 19 octobre 2010 (10-82.051) –  Chambre criminelle http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/5701_19_17830.html

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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