Processus démocratique en Méditerranée : un bilan. L’Europe s’est-elle mobilisée avec retard ? Il ne le semble pas

Le Parlement européen a voulu par l’intermédiaire de sa commission LIBE (Libertés civiles, Justice et sécurité) faire le point à chaud. D’où sa réunion extraordinaire du 1er mars au matin à laquelle ont participé outre les députés, la présidence hongroise (le représentant permanent Peter Györkös), la Commission européenne ( Cecilia Malmström), le Service d’action extérieure (Pierre Vimont) et l’agence Frontex (son directeur, Ilkka Laitinen)

L’ordre du jour, étant donné les circonstances, était ambitieux, prétentieux même, jugeons en :  « Processus démocratique dans la zone méditerranéenne centrale, conséquences sur les flux migratoires et politique d’immigration et d’asile ». Comment en moins de deux heures et sans grande préparation au moins du côté des parlementaires, traiter sérieusement du sujet ? Du moins a-t-on pu faire le point utilement sur la situation du moment, personne n’osant faire des prévisions sensées sur le moyen terme. Une conclusion provisoire s’impose : soulagement sur le court terme, fut-il provisoire, inquiétudes et perplexité sur le moyen et long terme même s’il s’agit de thèmes débattus chaque mois au sein du Parlement européen et cela depuis six ans.

L’Europe a été surprise (comme tout le monde Etats-Unis compris) par la chute, l’écroulement de dictatures. Elle a été frappée de stupéfaction, tétanisée puis peu à peu s’est mise en route,  à son rythme et elle a fini par trouver son allure et à engranger des résultats tangibles. La catastrophe annoncée, le chaos n’ont pas été au rendez-vous. Peut-être n’est-ce que provisoire. Des moyens sont rassemblés, des citoyens européens évacués, des sanctions prises, les agences humanitaires reviennent peu à pu et se déploient etc… Catherine Ashton dûment mandaté par l’ensemble des chefs d’Etat et de gouvernement réunis en Conseil européen lequel est désormais mobilisable à tout instant pour de grandes décisions politique éventuelles de première urgence, les divisions surmontées, les inhibitions ou hésitation des uns contournées par l’ardeur ou la détermination des autres, tant bien que mal et vaille que vaille. Un bilan honorable sommes toute. L’attentisme prudent a été  abandonné en chemin.

Pourtant l’Union européenne devait et doit encore largement faire face à plusieurs  grands défis :

      -. L’évacuation des étrangers : il est réalisé pour l’essentiel en ce qui concerne les européens. Pour les autres, on n’en parle pas assez a regretté Pierre Vimont : chinois, turcs etc. Ils ont plusieurs dizaines de milliers. Une inconnue les africain d’origine subsaharienne, « on n’en voit pas beaucoup » a dit Pierre Vimont, un constat nettement insuffisant. Ils seraient en train de rentrer chez eux (Mali, Niger, Tchad). Ils resteraient encore des européens, éparpillés, mais on s’interroge : tous veulent-ils rentrer chez eux. Un  point noir à la frontière tunisienne plus qu’à la frontière égyptienne où l’armée égyptienne  donne l’impression de mieux contrôler la situation. Problème sérieux mais momentané lié à l’intensité des flux qui se sont brutalement intensifiés. Le niveau de crise est atteint mais n’est pas appelé à grandir et à s’installer durablement, peut-on espérer.

L’évacuation outre de mettre à l’abri les personnes possède une autre vertu, celle de faire disparaitre la tentation de la retenue par crainte des représailles.

      -. La création d’une zone d’exclusion aérienne : on en parle sérieusement, décision techniquement et politiquement délicate. Mais est-elle absolument nécessaire ? Interventions militaires peu probable mais pas exclues, les gesticulations américaines au large des côtes suffiront-t-elles ? en tout cas comme vient de le rappeler le nouveau ministre des affaires étrangères français, Alain Juppé, le feu vert du Conseil de sécurité de l’ONU est un préalable indispensable. L’essentiel est que l’ombre d’une intervention militaire plane désormais et que son effet dissuasif jouera. L’embargo sur les armes de toute sorte est désormais un fait acquis.

      -. Des sanctions contre les pouvoirs : elles s’abattent inexorablement et de partout et sous différentes formes. Il est encore prématuré d’en mesurer les effets. Il ne faut pas perdre de vue que ces sanctions ont un pouvoir dissuasif pour mettre fin aux violences, le précédent yougoslave est là pour rappeler que les crimes ne restent jamais impunis aussi tardif que soit le moment où la sanction est finalement exécutée.

      -. La saisine de la Cour pénale internationale : le procureur de la CPI est saisie et dans certains Etats membres des procureurs sont saisis et commence à diligenter des instructions, sans délai. Des mandats d’arrêt seront lancés sous peu.

      -. Saisie et gel des comptes à l’étranger et d’autres avoirs ou ressources économiques et cela avec effets immédiats. Des milliards seraient en jeu.

      – . Limitation et restriction aux déplacements de la famille, des proches et des entourages des dictateurs déchus. L’octroi de visas est gelé.

      -. Suspension de la Libye du Conseil des droits de l’homme dont la nomination en son temps avait fait scandale. Une commission d’enquête indépendante et internationale est décidée.

      -. Accueil des réfugiés : la situation sur la frontière gréco-turque a diminué de plus de 75% depuis novembre dernier. A Lampedusa plus d’arrivée de boat people depuis presque trois semaines. Les difficultés de navigation liées à la météorologie n’expliquent  pas tout et il n’est pas acquis que les arrivées vont reprendre avec la fin des tempêtes. Les autorités européennes assurent que l’UE est prête à faire face à un afflux massif de réfugiés, un fonds d’urgence de 25 millions est disponible à court terme et en cas de crise humanitaire  majeure les fonds supplémentaires seront trouvés. Les réfugiés fugitifs ne seront pas refoulés, repoussés ainsi que l’exige la loi internationale. Cependant Cecilia Malmström a dû reconnaitre que le partage de la charge est loin de rencontrer un accord spontané. Seront-ils tous des réfugiés ? C’est peu probable : sur les 5000 premiers arrivés à Lampedusa, beaucoup de jeunes, formés et diplômés qui cherchaient à profiter de l’aubaine créée par la confusion, la chute de l’autorité, un départ hasardeux  pour trouver un travail en Europe. Ce sont des réfugiés économiques qui ne peuvent revendiquer le droit d’asile, a-t-on fait remarquer .

Arrivé à ce stade du bilan, on ne peut qu’estimer qu’il est positif et comme l’a dit Cecilia Malmstrôm : « tout ce qui pouvait être fait a été fait ». Les concertations et coordination ont fonctionné, mettant en jeu différentes familles d’institutions, les outils disponibles ont été identifiés,rassemblés et mis en œuvre. Les valeurs n’ont pas été trop fortement sacrifiées aux intérêts, le goût fort prononcé pour la stabilité a dû céder le pas aux exigences de la démocratie. Plus ou moins conscient d’un bilan sans trop flatteur et immérité  les députés ont changé de registre et parlé des solutions de fond : la démocratie, le développement les politiques d’immigration et d’asile. Le ton a changé et est devenu plus aigre. Les impatiences sont réapparues. Ces bouleversements vont peut-être donner une seconde chance à l’Union pour la Méditerranée, appelée à repartir sur de nouvelles base. En avril la Commission fera des propositions concernant la «politique de voisinage » : il y a quelques jours elle a tenu un premier débat d’orientation et produit une note de cadrage. La Tunisie ne pourrait-elle, avec son futur statut « avancé », constituer ce laboratoire  de recherches et de réussites : les ingrédients divers y sont déjà rassemblés ? La lancinante question de l’immigration et de l’aile, en chantier depuis 5-6 ans quand va-t-elle sortir de son épure. Pour l’asile doit-on, peut-on attendre 2012 comme on le répète jusqu’à la satiété ? C’est en 2005 que le Parlement européen a initié sa toute première mission d’enquête sur un centre de rétention, c’était à Lampedusa….Les situations sont diverses : il n’y a pas des solutions toutes faites sur mesure et  pour tout le monde. Bien des questions ressassées au cours de ces dernières années et restées à ce jour sans réponse concrète. Par moment on a senti une certaine colère monter chez certains députés lassés par la répétition des mêmes débats depuis quelques années .

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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