Fin brutale de la garde à vue à la française : application immédiate de la garde à vue, décide la Cour de cassation …

…Malgré l’absence de préparation, la réforme est entrée en vigueur de façon plutôt satisfaisante.

L’élément déclencheur a été la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), mais le coup de grâce a été porté par un cour souveraine française, la Cour de Cassation. La plus haute juridiction judiciaire a décidé vendredi 15 avril l’application immédiate de la réforme de la garde à vue. Une décision qui pose le problème de la mise en oeuvre de la réforme. Résumé des épisodes précédents dont Nea say a rendu compte régulièrement http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?q=garde+vue&Submit=%3E . Le système n’avait que trop duré : il a succombé sous la jurisprudence impitoyable de la Cour européenne des droits de l’homme, mais aussi sous celles des cours souveraines françaises : Cour de cassation et Conseil constitutionnel. Une longue agonie de la garde à vue : deux ans. L’avocat est entré dans le cabinet du juge d’instruction en 1897, c’est en 20011 qu’il est entré dans l’instruction.

Comment en est-on arrivé là

La Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt du  27 novembre 2008 a été le premier élément déclencheur. L’Affaire concernait la Turquie mais  contenait un principe d’application générale et d’un intérêt général. Il disait »il faut en règle générale, que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire ». Ce n’est pas le cas en France. La CEDH réaffirme la règle dans deux arrêts de septembre et octobre 2009.

Puis elle s’attaque au procureur : il ne peut être considéré comme un magistrat indépendant est me la CEDH qui dan l’arrêt Medvedev condamne la France le 29 mars 2010.C’est un argument qu’il est difficile de repousser : le parquet est dépendant du pouvoir politique pour sa nomination, et il reçoit certaines consignes sur les affaires et dossiers dits sensibles. C’est un nouveau coup porté à la garde à vue, puisque le procureur est chargé de contrôler la procédure en vérifiant sa légalité. Sa situation s’aggrave le 30 juillet 2010 : C’est le droit français qui prend le relais avec le Conseil constitutionnel : pour lui la garde à vue n’est pas conforme avec la Constitution. Toujours les mêmes raisons sont invoquées : l’exercice des droits de la défense n’est pas garanti à cause de l’absence de l’avocat. Seuls les régimes dérogatoires applicables au terrorisme et à la criminalité organisée sont jugés légaux. Le système français de la garde à vue ne respecte ni le droit européen, ni le droit français, pis encore ce sont les droits constitutionnels du citoyen qui ne sont pas respectés. Néanmoins le Conseil constitutionnel français accorde au gouvernement français un sursis de onze mois pour se mettre en conformité. Il a jusqu’au 1er juillet 2011 pour modifier le régime. Mais bien des esprits  s’interrogent : on va continuer pendant onze mois d’appliquer une législation jugée anticonstitutionnelle ? Curieux, étrange, c’est risquer de fragiliser bien des procédures.

Le mouvement déjà irrésistible s’accélère/ avec l’arrêt Brusco du 14 octobre 2010, la CEDH condamne la France pour n’avoir pas respecté le « droit au silence »., c’est-à-dire le droit de « ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence ». Ce sont des normes internationalement reconnues qui sont au cœur de la notion de « procès équitable » souligne la CEDH. Enfin c’est la Cour de cassation qui, le 19 octobre 2010 ajoute sa propre contribution à la mise à mort de la garde à vue « à la française » : elle confirme l’illégalité de la garde à vue au regard du droit européen. Elle gardait alors la date du 1er juillet pour l’entrée en vigueur de la réforme pour tenir compte des adaptations pratiques importantes tant du côté de la justice, de la police que du côté des avocats. L’histoire n’était pas encore totalement terminée : visé, le procureur, magistrat trop dépendant du pouvoir.. C’est l’arrêt Moulin de la Cour européenne des droits de l’homme, complété par un arrêt de  la Cour de Cassation du 15 décembre 2010. Les magistrats français temporisent : le procureur peut tout de même contrôler valablement la garde à vue. Mais pour combien de temps encore ?

La décision de la Cour de Cassation

C’est la fin du système : la présence de l’avocat et le droit au silence doivent immédiatement s’appliquer alors que la réforme venait d’être adoptée quelque jours auparavant par le Parlement et le Journal Officiel s’était empressé de la promulguer. La Cour de cassation a décidé vendredi 15 avril que les nouveaux droits de la défense pendant les gardes à vue, notamment la présence de l’avocat, devaient immédiatement s’appliquer, accélérant l’entrée en vigueur de la réforme de la garde à vue qui était prévue au 1er juin. Il faut désormais anticiper dans l’urgence et la précipitation. L’assemblée plénière de la plus haute juridiction judiciaire devait dire si les nouvelles règles de la garde à vue – en particulier le renforcement de la présence de l’avocat – s’appliquaient également aux étrangers en garde à vue avant d’être placés en rétention administrative. La question qui lui était posée était la suivante : ces étrangers doivent-ils, eux aussi, bénéficier de la présence d’un avocat durant leurs interrogatoires ? La Cour a répondu positivement sur le fond. Surtout, sur la forme, elle a estimé que la France devait « immédiatement » se conformer aux exigences européennes. Et donc assurer une application immédiate de la réforme.

La Cour de cassation a répondu « oui » dans quatre dossiers qui lui étaient soumis et décidé qu’il n’y avait pas de raison de différer la mise en vigueur de ce nouveau dispositif. Légalement, la réforme de la garde à vue adoptée mardi 12 avril par le Parlement et promulguée vendredi 15 avril au Journal officiel (JO), ne devait entrer en vigueur que le 1er juin.

Dans un communiqué, le ministère de la justice a demandé aux parquets d’appliquer « sans délai » la réforme de la garde à vue. Le ministère de l’intérieur a fait la même demande à la police et à la gendarmerie.

Sur le terrain, dans les commissariats et les gendarmeries, cela signifie que les gardés à vue peuvent dès maintenant demander à être assistés d’un avocat lors de tous leurs interrogatoires et mettre en oeuvre leur droit au silence. Il y a eu 800 000 mesures de gardes à vue en 2009 et l’objectif est de revenir à 500 000 par an.

Les avocats vont devoir « faire face » : la situation sera sans doute difficile à organiser pour les barreaux » mais « pour les avocats, c’est un combat important et ils s’engagent  à faire tout pour que ça marche. Mais depuis plusieurs semaines, des craintes se font entendre sur les conditions de mise en oeuvre de la réforme. Les avocats vont devoir s’organiser pour être présents dans la durée, dans tous les lieux de garde à vue de France, y compris les plus éloignés, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. « Nous allons faire face, nous aurons les équipes de volontaires nécessaires pour assister désormais les gardés à vue non seulement trente minutes au cours du premier entretien (comme c’est le cas actuellement), mais pendant les interrogatoires qui suivront », a déclaré à l’AFP Me Jean-Yves Le Borgne, vice-bâtonnier du barreau de Paris. Au sein même de la majorité, certains s’inquiètent du « coût considérable », selon les mots du député UMP Jean-Luc Warsmann, de cette réforme, notamment en matière d’aide juridictionnelle (AJ) déboursée par l’Etat pour financer l’accès à la justice des plus pauvres. La chancellerie estime à 100 millions d’euros, contre 15 millions jusqu’ici, l’enveloppe qui sera nécessaire pour financer l’AJ en garde à vue. Elle compte accroître ses ressources en faisant adopter lors du projet de loi de finance rectificatif la création d’un timbre fiscal d’une trentaine d’euros dont s’acquitteront les justiciables qui entameront une procédure judiciaire. Les bénéficiaires de l’AJ en seront exonérés.

Mais ce sont les syndicats de police « affligés » : en revanche, les syndicats de police se sont déclarés « affligés » par cette décision. Les policiers voient d’un mauvais oeil l’alourdissement de la charge de travail et de la procédure que va impliquer cette nouvelle organisation. Ils craignent également que la présence de l’avocat aux interrogatoires, principe en vigueur dans de nombreux pays de l’Union européenne, ne nuise à l’efficacité de leurs enquêtes. Le ministre de l’intérieur Claude Guéant s’en était lui-même inquiété dans une lettre au premier ministre François Fillon. Celui-ci avait promis la mise en place d' »une mission d’audit et de suivi » sur la réforme.

Cependant il faut bien constater que mise en place dès vendredi 15 avril , la réforme de la garde à vue n’a pas provoqué de dysfonctionnements majeurs mais soulève la question des moyens. « Au vu des informations remontées du terrain, les choses semblent s’être bien passées ce week-end. Les policiers ont fait preuve d’un grand sens des responsabilités pour assurer la mise en œuvre, pourtant largement précipitée, de cette réforme. » Le secrétaire général adjoint du Syndicat national des officiers de police (Snop), Jean-Marc Bailleul, dressait dimanche 17 avril un bilan plutôt positif de l’entrée en vigueur, vendredi 15 avril, de la réforme de la garde à vue. Le constat était le même du côté de Me Alain Pouchelon, président de la Conférence des bâtonniers de France et d’outre-mer. « Les bâtonniers se sont tout de suite organisés pour que les avocats, sur la base du volontariat, puissent répondre à toutes les demandes d’assistance en garde à vue », assure-t-il.

Dès vendredi 15 avril, le ministère de l’intérieur a donné instruction à la police et à la gendarmerie de mettre en oeuvre les nouvelles règles de la garde à vue. Le ministère de la justice a donné des consignes identiques aux parquets. Dans la foulée, de nombreuses voix se sont fait entendre chez les avocats, les magistrats et les policiers pour dénoncer le manque de moyens et de préparation des pouvoirs publics. Des problèmes de logistique se posent incontestablement pour le court terme :

aujourd’hui, dans une grande majorité des cas, les gardes à vue se déroulent dans le bureau du fonctionnaire de police. Désormais, la présence de l’avocat va oblige à assurer ces auditions dans un local dédié. Des aménagements devront donc être faits dans les commissariats. Le seul fait notable est venu des Deux-Sèvres, où le bâtonnier, Me Laurent Di Raimondo, a demandé aux avocats de permanence de ne pas appliquer les nouvelles règles en vigueur. « Il est hors de question d’accepter de faire dans l’urgence n’importe quoi », a-t-il expliqué, s’attirant des critiques de plusieurs avocats de son propre barreau, mécontents de cette position prise, selon eux, sans la moindre concertation.

 L’initiative de ce bâtonnier est un cas isolé. La position des barreaux est de demander à tous les avocats d’appliquer cette réforme qui constitue un progrès pour les droits de la défense .  Cependant , les avocats s’inquiètent de la rétribution qui sera allouée lors d’une désignation d’office pour une assistance en garde à vue. Selon le ministère de la justice, une enveloppe de 100 millions d’euros devrait être dégagée. « C’est insuffisant et nous comptons bien le faire savoir lors d’une manifestation qui aura lieu le 4 mai », annonce Me Thierry Wickers, président du Conseil national des barreaux. Ce dernier réclame aussi que la réforme aille plus loin et permette un accès complet de l’avocat à toutes les pièces du dossier dès la garde à vue. « C’est le seul moyen d’assurer véritablement la défense de la personne mise en cause », assure Me Jean-Louis Borie, secrétaire national du Syndicat des avocats de France.  

Cependant une grogne subsiste un peu partout, liée essentiellement à une absence de préparation également dénoncée par Laurent Le Roux, secrétaire dans l’ouest du pays du syndicat Unité SGP-Police, premier syndicat chez les forces de l’ordre. Selon lui, le ministère de l’Intérieur a traité comme un « secret d’Etat » la décision attendue de la Cour de cassation alors que le gouvernement savait, depuis le 27 novembre 2008, qu’il devrait se mettre en conformité avec un arrêt de la cour européenne des droits de l’homme. « Comment expliquer dans ces conditions que le ministère de l’Intérieur n’ait pas préparé l’ensemble de ses officiers de police judiciaire (OPJ) à l’application de ces nouvelles règles ? », demande le syndicat dans un communiqué. Autre motif de morosité: les OPJ, qui vont subir le gel des salaires de la fonction publique, constatent le décalage entre leur prime de spécialité, qui est de 50 euros par mois, et les 300 euros proposés aux avocats commis d’office pour chaque personne assistée. Laurent Le Roux rappelle que les policiers ont été « montrés du doigt pour pratiquer » trop de gardes à vue alors qu’ils ne faisaient que « répondre aux instructions reçues. » Il dit également s’attendre à une affluence des demandes d’annulation de procédures à la suite de la décision de la cour de Cassation. Avec pour conséquence « la remise en liberté de nombreux auteurs de délits et crimes. »

Inversement, une majorité des avocats, tout en se réjouissant de la réforme, ne se satisfont pas des modalités financières prévues par le ministère de la Justice. Les avocats commis d’office, qui ne passaient avant la réforme que 30 minutes avec leur client, pourront désormais l’assister pendant des heures, voire 24 heures ou plus en cas de reconduction de la garde à vue. Or, ils se sont vu proposer un forfait de 300 euros pour les premières 24 heures et 150 euros pour les suivantes, le ministère de la Justice estimant qu’en moyenne la présence de l’avocat durera trois heures. Alain Mikowski, membre du Conseil national des Barreaux (CNB), explique au site JDD.fr que sur la base de la rémunération antérieure de 61 euros pour 30 minutes, le forfait pour trois heures devrait être au minimum de 366 euros. Pour autant, Alain Mikowski désapprouve les appels à la grève. « Si l’avocat refuse de se déplacer ou s’il n’y a pas d’avocats désignés pour être de permanence, la procédure reste légale. Cet appel à la grève pénalisera surtout les personnes gardées à vue qui ne pourront pas être épaulées par un avocat », dit-il.

Or, il faut bien constater qu’à ce stade les « gardés à vue » utilisent peu leurs nouveaux droits. Entrée en vigueur de façon précipitée vendredi 15 avril, la réforme crée plus de remous chez les avocats que chez les policiers. L’annonce de la décision de la Cour de cassation, vendredi 15 avril, a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Et pour cause, en l’espace de quelques heures, toutes les personnes en garde à vue se sont vu notifier le droit de garder le silence et, surtout, celui d’être assistées par un avocat pour chacune de leurs auditions.

Une semaine plus tard, les « dysfonctionnements » tant redoutés ne se sont pas produits. Il faut dire que les gardés à vue ont surpris par leur comportement. Ainsi, près de la moitié d’entre eux ont choisi de se passer de l’assistance d’un avocat. Les chiffres du nombre de gardes à vue recensées sur Paris, les seuls dont on dispose, sont éloquents : entre vendredi 15 avril dans l’après-midi et lundi 18 avril au matin, 755 gardes à vue ont été enregistrées et seuls 437 personnes ont demandé à être assistées d’un avocat. « Dans nombre d’affaires, la personne interrogée ne nie pas les faits qui lui sont reprochés, c’est le cas notamment pour un certain nombre de flagrant délit anodins ou de problèmes minimes de circulation, précise Me Thierry Wickers, président du Conseil national des barreaux (CNB). Dans ce cas, l’intéressé se passe souvent d’un avocat. » Cependant il faut signaler que près de 50 % des gardés à vue réclament un avocat

Me Wickers estime qu’il faudra du temps pour que les atouts de la réforme finissent par être connus du grand public. Et d’ajouter : « Jusqu’à présent les gardés à vue pouvaient s’entretenir trente minutes avec leur avocat, afin qu’il leur explique leurs droits, mais seulement 20 % d’entre eux usaient de ce droit. Dans le cadre de la nouvelle réforme, près de 50 % réclament un avocat à leurs côtés, c’est une belle avancée ! » Le bilan est tout aussi étonnant sur le droit au silence. Ce dernier est désormais systématiquement notifié aux gardés à vue en début d’interrogatoire. Et, là encore, les premiers concernés y ont peu recouru. « Les choses changeront à l’avenir, prédit Michel-Antoine Thiers, du Syndicat national des officiers de police (Snop). Aujourd’hui, dans la culture française, se taire signifie que l’on a quelque chose à cacher. Mais, aux États-Unis, on ne voit pas du tout les choses ainsi. Petit à petit, les Français finiront probablement par s’aligner sur eux. »

Côté policier, on semble donc plus serein que prévu. Après avoir mis en garde contre les « incidents » censés survenir lors des gardes à vue, le ministre de l’intérieur, Claude Guéant, a reconnu mercredi  20 avril que tout s’était « bien passé ». Du côté des avocats, la grogne monte : c’est, paradoxalement, du côté des avocats que la grogne monte, eux qui ont bataillé pendant des mois en faveur de la réforme. En effet, une dizaine de barreaux refusent d’appliquer les nouvelles règles, invoquant des raisons de rémunération. Ils réclament d’être payés 366 € par garde à vue (trois heures d’assistance en moyenne), là où la chancellerie s’est engagée à une indemnité forfaitaire de 300 €. La profession compte manifester le 4 mai prochain place Vendôme pour réclamer davantage. Par ailleurs, face au flou de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – qui doit être appliquée jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi sur la garde à vue le 1er juin prochain –, certains avocats réclament d’assister aux perquisitions et d’avoir accès à l’ensemble du dossier de leurs clients. Ce que les policiers leur refusent. Voilà qui pourrait prochainement déboucher sur de nouveaux contentieux.  

Nea say : 257 articles http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?q=garde+vue&Submit=%3E

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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