Les enfants d’immigrés et l’échec scolaire : sont-ils , oui ou non, prédisposés à l’échec ? Une polémique, riche d’enseignements.

Les résultats de cette polémique seront riches d’enseignements pour tous et pour tous les pays. L’Institut national de la statistique (Insee) français a officiellement corrigé  les chiffres du ministre de l’Intérieur Claude Guéant concernant l’échec scolaire des enfants d’immigrés. D’autres chercheurs vont plus loin et estiment que les enfants d’immigrés sous certaines conditions réussissent mieux. Claude Guéant avait d’abord affirmé que les deux tiers des personnes sortant de l’école sans qualification étaient des enfants d’immigrés. Puis, à l’Assemblée, le 25 mai, il a déclaré : « C’est vrai qu’il y a deux tiers des enfants d’immigrés qui se trouvent sortir de l’appareil scolaire sans diplôme ».

      -. Premier volet : dans une communication rare de la part de cet organisme (l’INSEE) rattaché au ministère de l’Economie, qui fait suite à une passe d’armes entre les syndicats et la direction, l’Insee a tenu à corriger le tir, se référant aux « différents échanges qui ont eu lieu (…) à ce sujet ». « La proportion d’enfants d’immigrés parmi les élèves sortis sans qualification de l’enseignement secondaire peut être estimée à environ 16 % pour les enfants de familles immigrées. Si on y ajoute les enfants de familles ‘mixtes’, cette proportion passe à environ 22 % », lit-on dans un communiqué. Les syndicats avaient sommé la direction de l’Insee de corriger les propos successifs de Claude Guéant.

La direction avait d’abord répondu vendredi qu’elle n’avait pas à répondre à des commentaires politiques et qu’elle devait se limiter à diffuser ses documents. Le ministre, accusé par l’opposition de stigmatiser les immigrés pour séduire les électeurs d’extrême droite, avait affirmé s’appuyer sur des études de l’Insee et a envoyé plusieurs droits de réponse à des médias qui écrivaient que ses chiffres étaient faux. L’Insee précise dans sa communication de lundi que le dossier s’appuie sur une étude de 2005 intitulée « Les immigrés en France » portant sur la scolarité dans l’enseignement secondaire des élèves entrés en sixième en 1995. Dans cette étude, les proportions d’élèves sortis sans qualification de l’enseignement secondaire sont ainsi de 10,7 % parmi les enfants de familles immigrées, 6,6 % parmi les enfants de familles « mixtes », 6,1 % parmi les enfants de familles non immigrées. A la rentrée 1995, près d’un entrant en sixième sur 10 appartenait à une famille immigrée et 6 % des élèves vivaient dans une famille « mixte ».

Deuxième volet : pourquoi les enfants d’immigrés réussissent mieux à l’école que les autres ! Affirmation en apparence paradoxale par rapport aux conceptions généralement (et trop vite) admises. En apparence, les jeunes d’origine immigrée réussissent moins bien que les autres à l’école. Mais si l’on tient compte de leur milieu social, c’est tout l’inverse… L’analyse de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Entre 50 et 55 % des enfants dont la famille est originaire du Maghreb, d’Afrique sub-saharienne ou du Portugal obtiennent le bac, contre 64,2 % pour les enfants de famille non-immigrée, selon les données du ministère de l’éducation [1]. Le taux est de 33 % pour les enfants originaires de Turquie, mais de 66,8 % pour ceux dont la famille vient d’Asie du Sud-Est.

Ces données sont trompeuses car les enfants d’origine immigrée sont, en moyenne, issus de milieux beaucoup moins qualifiés. Or, pour l’ensemble de la population, le taux de bacheliers parmi les enfants dont la mère n’a aucun diplôme est de 40 %, contre 90 % pour celles dont la mère est diplômée de l’enseignement supérieur. Bref : on compare des populations qui ne peuvent pas l’être.

Si on ne considère que les enfants dont aucun des parents n’a le bac, les écarts sont quasiment nuls entre immigrés et non-immigrés pour l’obtention du bac général ou technologique. Sauf pour deux types de populations : les enfants dont la famille est d’origine turque, qui réussissent moins bien que la moyenne, et ceux d’origine d’Asie du Sud-Est, qui réussissent mieux.

Pour aller encore plus loin dans l’analyse, il faut construire des « modèles » plus complexes. L’exercice consiste à déterminer la probabilité de réussite pour des populations comparables : à catégorie sociale, niveau de diplôme des parents ou composition familiale équivalents. « Toutes choses égales par ailleurs », comme disent les statisticiens. On prend comme référence les enfants dont la famille est d’origine non-immigrée, et on observe ce qui se passe pour les autres enfants. Si le coefficient est supérieur à 0, alors, les enfants d’une catégorie donnée ont tendance à mieux réussir « toutes choses égales par ailleurs » que les enfants de parents non-immigrés. C’est justement le cas : hormis pour les enfants d’origine turque où les résultats ne sont pas significatifs (l’écart est trop faible), les enfants d’origine immigrée réussissent toujours mieux ! Les enfants d’origine maghrébine ou asiatique ont la probabilité la plus forte de réussite.

Au total, les enfants d’immigrés ont de moins bons résultats scolaires, non parce qu’ils sont immigrés, mais parce que leurs parents appartiennent à des milieux sociaux défavorisés. A milieu équivalent, ils sont même plutôt meilleurs. Comment expliquer ce phénomène ? Selon une étude du ministère de l’Education, les aspirations scolaires des enfants d’immigrés et de leurs parents sont plus fortes. Pour deux grands types de raisons : ceux qui émigrent ont souvent un projet d’ascension sociale, pour eux comme pour leurs enfants ; ils n’ont pas ou peu été scolarisés et ils n’ont donc pas été mis en échec par le système éducatif, contrairement aux parents peu qualifiés qui ne sont pas d’origine immigrée. « Ils se positionnent donc de manière plus positive par rapport au système éducatif français », concluent les chercheurs.

L’une des raisons mise en avant pour refuser d’entrouvrir les frontières aux personnes venues de l’étranger est leur difficulté à s’intégrer en France. Les difficultés rencontrées par les immigrés à l’école et par la suite dans le monde du travail sont réelles. Sauf qu’elles n’ont pas grand chose à voir avec une question d’intégration, d’apprentissage de la langue ou autre. Les immigrés rencontrent les mêmes difficultés que les catégories modestes en général, en particulier une école taillée sur mesure pour les milieux favorisés. Renvoyer la responsabilité de l’échec scolaire ou du chômage sur les migrants n’est pas récent et, dans l’histoire de notre pays, se répète à chaque crise [2]. C’est une façon de déterminer des boucs-émissaires, mais aussi d’éviter de s’attaquer aux causes profondes des difficultés de ces couches sociales, de l’école au marché du travail. L’Insee était déjà parvenu à des résultats voisins dans une étude publiée en 2005.

Une conclusion s’impose : de la prudence avant de s’embarquer dans des affirmations catégoriques supposées conforter une frange de l’opinion dans ses convictions bien ancrées et fermement défendues par les tenants d’une idéologie bien marquée.

      -.Texte de l’étude de l’Observatoire des inégalités http://www.inegalites.fr/spip.php?article1458

      -. Les immigrés en France, une situation qui évolue : INSEE septembre 2005 http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ip1042.pdf

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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