MISE à jour—Hongrie : l’Union européenne prendra-t-elle au sérieux ses propres principes ? La Commission européenne gravement préoccupée par la réforme de la justice en Hongrie et d’autres projets. Le statut de la Banque centrale, un nouveau sujet de confrontation : Commission européenne et FMI durcissent leur position, leur mission en Hongrie interrompue. Barroso demande sèchement à la Hongrie de retirer ses projets.

Après plusieurs mois de silence Bruxelles se réveille. Budapest a été mis sous pression il y a plusieurs mois, qu’il s’agisse des Roms, des lois sur les médias, la réforme de sa Constitution, le travail forcé etc. Puis un silence qui se révèle inapproprié. A nouveau Bruxelles se manifeste comme il n’aurait pas dû cesser de le faire. L’Autriche de Jorg Haïder a été malmenée, menacée même pour des faits qui après coup  se révèlent être d’une moins grande gravité. La Commission européenne vient d’exprimer  sa préoccupation au sujet de plusieurs réformes constitutionnelles en Hongrie, en particulier pour leur impact sur l’indépendance de la justice, dans un courrier récent. Quand les droits fondamentaux (les valeurs définies à l’article 1bis) sont malmenés gravement et de façon persistante, l’article7 est d’application qui prévoit la suspension de certains droits, y compris les droits de vote.  Le statut de la Banque centrale constitue une nouvelle source de difficultés, considérables cette fois, de difficultés car dépassant le cadre national d’un seul pays.

Certains aspects de ces réformes soulèvent de graves préoccupations du point de vue du droit de l’Union européenne, indique le courrier envoyé le 12 décembre par la commissaire européenne aux droits fondamentaux et du citoyen, Viviane Reding, au ministre hongrois de la Justice, Tibor Navracsics. Ce dernier doit envoyer des réponses dans l’immédiat.

La nouvelle constitution, (fortement critiquée par le club de Venise du Conseil de l’Europe) changée à l’initiative du gouvernement du Premier ministre Viktor Orban, (cf. Nea say) ainsi qu’une législation sur l’organisation des tribunaux qui doit entrer en vigueur le 1er janvier, vont avoir pour effet de refonder le système de supervision de l’appareil judiciaire national. Depuis mai 2010 c’est  pas moins de 200 textes qui ont été votés au pas de charge.

La Commission s’inquiète en particulier d’une concentration de pouvoirs trop importante dans les mains d’un seul homme, le futur président de l’Office national de la justice (OBH), appelé à être doté de compétences quasi-exclusives en matière de gestion de l’administration judiciaire, y compris la nomination des juges. L’exécutif européen, chargé de veiller au respect par les Etats du traité de l’Union européenne et de sa Charte des droits fondamentaux, est aussi préoccupé par la transformation de la Cour suprême hongroise. Elle va avoir pour effet, entre autres choses, un départ de son poste plus tôt que prévu du président actuel de la juridiction suprême, à la fin de cette année.

C’est un point que Mme Reding relève : le président de la Cour suprême, Andras Baka, nommé en 2008, après une longue carrière au sein de la Cour européenne des droits de l’homme, a été écarté avant la fin de son mandat. Il désapprouvait le projet de mettre à la retraite les juges de 62 ans, au lieu de 70 jusqu’alors bien que le gouvernement ait annoncé un relèvement progressif de l’âge du départ à la retraite pour toutes les autres professions comme c’est généralement le cas en Europe. Selon l’opposition, cette mesure à contre-courant votée par le Parlement le 13 décembre, permettra de remplacer quelque 300 magistrats et d’en nommer de plus dociles. A la Commission européenne et ailleurs on est curieux de savoir avec quels arguments juridiques on va justifier une telle mesure alors qu’il n’y a pas si longtemps l’Allemagne a été condamnée pour discrimination fondée sur l’âge à cause d’une réglementation similaire concernant les pilotes de ligne (cf. Nea say).

Le contexte dans ce domaine en Hongrie est politiquement très chargé, particulièrement chargé. Le parlement hongrois a justement élu mardi deux nouvelles personnalités au sommet du système judiciaire du pays, dont l’une est une proche de Viktor Orban,  la femme d’un eurodéputé membre du parti au pouvoir  Fidesz, Tünde Hando, de surcroît grande amie de la femme de Viktor Orban, une décision très critiquée par les défenseurs de la démocratie dans le pays. Son mari n’est autre que Jozsef Szajer rédacteur de la Constitution hongroise particulièrement réactionnaire (cf. Nea say). Dans la même ligne le Parlement a élu Peter Darak comme nouveau chef de la Cour Suprême, qui devra être appelée Kuria à partir du 1er janvier (appellation historique signifiant manoir) à l’image d’une nouvelle terminologie en usage  dans la constitution où les références à la Sainte Couronne hongroise  et à la nation millénaire sont nombreuses.

Autre sujet de grave préoccupation soulevée par Mme Reding qui demande à Budapest de s’expliquer également sur ce point : le départ imminent, sans un intérim de prévu, du chef de l’autorité de la protection des données à caractère personnel dont l’indépendance et protégée par le droit européen. Ces autorités se retrouvent avec le contrôleur européen des données (CEPD) se retrouvent au sein du Comité de l’article 29 installé au prés de la Commission européenne.

La semaine dernière, l’ambassadrice américaine à Budapest, Eleni Tsakopoulos Kounalakis, s’est dit inquiète pour la démocratie hongroise. Le climat est donc en train de s’envenimer à nouveau entre la Commission européenne et le Premier ministre hongrois, régulièrement accusé par ses détracteurs de dérives autoritaires et de vouloir limiter les libertés publiques pour asseoir son pouvoir. La présidence hongroise de l’Union européenne, au premier semestre 2011, avait été déjà marquée dès le début par une polémique sur une loi controversée sur les médias, que Budapest a dû revoir( en partie et de façon insuffisante à bien des égards) sur la pression de Bruxelles.

La Commission suit un autre dossier de près en Hongrie, lié au statut de la banque centrale nationale. Le gouvernement hongrois a déposé le 14 décembre un projet de loi au parlement en vue d’accroître son influence sur cette banque centrale, dont le président, Andras Simor, déplait notoirement au Premier ministre. Les premières critiques sont venues du porte-parole, Amadeu Altafaj, du vice-président de la Commission en charge des affaires économique et financières. Le 13 décembre le gouvernement hongrois a déposé un texte appelé à être soumis (comme d’habitude) à un vote express dans les jours qui suivent. Ce texte a choqué à Washington comme à Bruxelles et il va bouleverser la structure de la Banque centrale de Hongrie, la fusionnant avec le Conseil monétaire. Six des neuf membres du nouvel organisme seront nommés par le Parlement où le parti de Viktor Orban a une majorité supérieure aux deux-tiers. Viktor Orban reproche à Andra Simor de maintenir des taux d’intérêt élevés pour juguler l’inflation. Il sera ainsi neutralisé et sera bafoué  le principe sacré de l’indépendance des banques centrales européennes et partant aussi celle de la Banque centrale européenne même si dans une mesure infiniment moindre. Andras Simor est littéralement la « bête noire » de Viktor Orban : il avait déjà dû accepter, en 2010, que son salaire soit réduit de 75%. Ce coup de force est mené au moment où la Hongrie ouvre des négociations délicates avec le Fonds monétaire internationale (FMI) ce qui bien évidemment a suscité les réactions négatives de la Banque centrale européenne (BCE) de la Commission européenne et du FMI et accentué les craintes des investisseurs.

Regardons d’un peu plus prés ce qu’il en est : le projet de réforme de la banque centrale hongroise (MNB) s’apparente à une « prise de pouvoir totale » de l’institution par le gouvernement conservateur de Viktor Orban, a dénoncé jeudi 15 décembre son gouverneur, Andras Simor, dans un entretien au site d’information hongrois Index. « La nouvelle loi se rapproche dangereusement d’une élimination de l’indépendance de la banque centrale », a fustigé M. Simor, en conflit avec le premier ministre depuis son arrivée au pouvoir en 2010. Ce projet, qui a été soumis à la BCE pour évaluation, prévoit de retirer au gouverneur de la MNB la prérogative de choisir ses deux adjoints, au profit du chef du gouvernement. Par ailleurs, il préconise l’élargissement du conseil monétaire, qui décide tous les mois de la politique de taux d’intérêt, de sept à neuf personnes, augmentant ainsi de quatre à six le nombre des membres extérieurs nommés par le Parlement, où le parti Fidesz de Viktor Orban détient une majorité des deux-tiers. L’UE, le Fonds monétaire international (FMI) et la BCE ont également exprimé de fortes critiques alors que le pays, non membre de la zone euro, a demandé l’aide financière du FMI et de l’UE pour faire face à une grave crise de refinancement. Des discussions préliminaires sur ce prêt demandé en novembre ont commencé mardi à Budapest. Pour la BCE, la réforme « pourrait servir à influencer le processus de décision au détriment de l’indépendance de la banque centrale », selon un avis diffusé sur son site Internet.

La Commission européenne n’a également pas tardé à réagir dès le jeudi 15 décembre : « la Commission européenne est préoccupée par les intentions du gouvernement hongrois de faire passer des lois qui pourraient potentiellement diminuer l’indépendance de la banque centrale, a affirmé Amadeu Altafaj, son porte-parole pour les questions économiques. Nous regrettons en outre que cette question n’ait pas été soumise à une consultation avec la Banque centrale européenne. »Le Fonds monétaire international (FMI) s’est dit également inquiet de ces projets, alors que l’institution de Washington envisage un prêt à la Hongrie. « Nous examinons attentivement les propositions législatives récentes concernant la banque centrale, et une érosion de son indépendance serait un grand motif d’inquiétude », a affirmé un porte-parole du fonds, David Hawley. A force de tendre la ficelle, la corde se rompt. Le 16 décembre, le FMI et la Commission européenne ont décidé d’interrompre leur mission pour discuter de l’aide financière en raison de « leurs préoccupation concernant l’indépendance future de la banque centrale hongroise . « La Commission européenne est préoccupée par l’intention des autorités hongroises de pousser à l’adoption de lois qui peuvent potentiellement saper l’indépendance de la banque centrale » a explique le porte-parole du commissaire responsable Olli Rehn. La Commission et le FMI avaient manifesté leur intention, a rappelé Amadeu  Altafaj de discuter de l’indépendance de la banque centrale hongroise au cours des négociations formelles prévues début 2012 sur une possible aide financière de précaution à la Hongrie, « car l’indépendance des banques centrales est l’une des pierres angulaires du traité de Maastricht. » Or «  de manière surprenante, les autorités ont soumis le projet de loi au parlement et demandé une procédure d’urgence juste au moment où les deux institutions arrivaient en Hongrie pour des discussions préparatoires » a fait remarqué le porte-parole. Ajoutons que la Hongrie est coutumière du fait. Cette mission qui vient d’être suspendue constituait une première prise de contact en vue d’un accord espéré en février prochain. Le montant de la demande d’aide est évaluée entre 15 et 20 milliard d’euros .

Mais on ne pouvait en rester là au risque de perdre la face, une escalade s’imposait. Le président de la Commission, José Manuel Barroso, a demandé au Premier Ministre Viktor Orban, de retirer ses projets controversés de réforma de la banque nationale jugés préjudiciables à son indépendance. Le ton est sec : « Je vous recommande instamment de retirer les deux projets de loi fondamentales du Parlement » afin de pouvoir engager des discussions visant à s’assurer que les textes sont compatibles avec le droit européen.

En effet les deux textes de loi « contiennent des éléments qui pourraient être en contradiction avec le traité » «  la Commission a des doutes sérieux quant à la compatibilité de la version actuelle » des deus projets avec la législation de l’UE.. L’indépendance de la banque centrale nationale est l’un des critères à respecter pour pouvoir entrer dans la zone euro et constitue une obligation incontournable. Or d’ores et déjà la Hongrie participe à des mécanismes de consultation avec les différentes banques centrales de l’Union monétaire. « Si les lois adoptées sont incompatibles avec le droit européen elles devront être modifiées » a prévenu avec fermeté José Manuel Barroso.

Le statut de la Banque centrale n’est pas la seule pomme de discorde, déjà inquiète au sujet de l’indépendance de la justice, elle est fortement préoccupée par une modification de la constitution  qui prévoir que tout changement en matière de fiscalité, notamment des taux d’imposition, devra être approuvé à la majorité des deux tiers. Pour la Commission cela risque de limiter la capacité de réactions des futurs gouvernements hongrois en cas dérapage du déficit et de la dette.

Les autorités européennes ont le dos au muret ne peuvent plus continuer à multiplier avertissements et remontrances, mais sans agir sur le fond. Le Parlement européen ne peut rester plus longtemps silencieux : des éléments fondamentaux sont en jeu. Les Verts l’ont bien compris : leurs présidents viennent d’adresser une lettre à José Manuel Barroso dans laquelle ils font part de leurs plus vives préoccupations en ce qui concerne les lois sur les procédures législatives. Selon eux les réformes souhaitées « ne respectent pas les valeurs sur lesquelles l’UE est fondée ». Ils rappellent dans leur lettre que le Parlement européen a, à plusieurs reprises, condamné les méthodes antidémocratiques du gouvernement. Ils craignent cependant que les citoyens hongrois commencent à douter du fait que l’UE prenne au sérieux ses propres principes. Ils demandent par conséquent à la Commission européenne de faire tout ce qui est en son pouvoir afin de s’assurer que la Hongrie respecte bien les principes de base de l’Union européenne.

Dossier de la Hongrie de Nea say http://www.eu-logos.org/eu-logos-nea-recherche.php?q=hongrie&Submit=%3E

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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