Réforme de la Cour européenne des droits de l’homme : les Etats membres se décideront-ils à jouer ?

 L’appel du secrétaire général du Conseil de l’Europe, Thornbjorn Jagland, a été entendu (cf. autre article dans Nea say) et le pronostic esquissé dans le dernier éditorial (cf. N° 120) a été confirmé. Le Royaume-Uni s’est montré moins exigeant et plus réaliste face à une opposition déterminée d’un assez grand nombre d’Etats membres (notamment  Autriche, Allemagne, Andorre, Finlande, Pologne, Roumanie, Croatie, Chypre, Slovénie, Danemark, la France faisant profil bas). Le Royaume-Uni n’a donc pas obtenu satisfaction sur ses propositions de changements radicaux dans le fonctionnement de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, à Strasbourg. Organisée à Brighton, au sud de Londres, jeudi 19 et vendredi 20 avril 2012, la Conférence du Conseil de l’Europe, dont la CEDH est un bras juridique, a opté pour des modifications plutôt modérées. La marge d’appréciation considérable que le Royaume-Uni entendait laisser aux Etats membres, singulièrement en matière de recevabilité des recours, n’a pas été retenue comme n’a pas été retenu son souhait qu’une requête devant la Cour soit irrecevable si elle est en substance identique à une question déjà examinée par une juridiction nationale, autant dire la mort programmée de la CEDH. Les audaces ont été abandonnées ou diluées.

La Grande-Bretagne, qui assure jusqu’au 23 mai prochain la présidence tournante du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, avait  fait de la profonde réforme de la Cour européenne des droits de l’homme sa priorité (cf. Nea say). Toutefois, à la conférence de Brighton, elle n’a finalement pas obtenu grand-chose. Le Royaume-Uni avait pointé un certains nombre de difficultés de fonctionnement qui entravaient le bon fonctionnement de l’Institution, difficultés qui reste à surmonter pour certaines d’entre elles, chacun en est bien convaincu. Au premier rang  se trouvent les 150 000 affaires en attente. Les demandes britanniques de réformes révolutionnaires n’ont pas été entendues. La conférence de Brighton a décidé de réaffirmer les principes de base de la Cour. Ce qui ne veut pas dire que Londres n’a obtenu aucune concession. Parmi les plus significatives, la décision d’amender les critères d’admissibilité des requêtes déposées à la CEDH.

Dès l’entrée en vigueur de modifications convenues à Brighton, en 2013, la Cour pourra rejeter une requête si le plaignant n’a pas été victime d’« inégalité significative ». Autrement dit, elle se penchera seulement sur les plus sérieuses violations de la Convention européenne des droits de l’homme. Avec une autre nouvelle règle  de réduction du délai de saisine de six à quatre mois ? les changements décidés à Brighton devraient améliorer l’efficacité de la Cour, particulièrement au bénéfice de ceux qui ont vraiment besoin de son aide, espère-t-on.

Beaucoup ont fait observer que  les vraies raisons des dysfonctionnements de la CEDH ne sont pas à chercher nécessairement au sein de la Cour, mais plutôt dans les Etats signataires de la Convention européenne des droits de l’homme qui ne l’appliquent pas correctement sur leurs territoires. Ils provoquent ainsi un énorme afflux de plaintes à la CEDH, alors que leurs auteurs auraient dû obtenir satisfaction sur place, chez eux. Dans ce contexte, le secrétaire général du Conseil de l’Europe, Thorbjorn Jagland, a fait notamment référence à la Russie, l’Ukraine, la Turquie et l’Italie.

Une meilleure exécution des engagements conventionnels par les Etats signataires pourrait non seulement contribuer à résoudre le problème de l’engorgement de la CEDH, mais surtout à rendre plus facile la vie de leurs propres citoyens. En tout cas, de ceux qui se sentent d’abord injustement traités chez eux, et ensuite mal compris et rejetés à Strasbourg, où ils cherchent justice après avoir épuisé tous les recours dans leurs propres pays. Or, de leur point de vue particulier, ils y trouvent souvent des interminables files d’attente qui mènent dans de nombreux cas seulement à une énorme perte de temps, accompagnée souvent de significatives pertes d’argent.

La conférence de Brighton a essayé d’y remédier. Elle est parvenue à un compromis entre le radicalisme et la prudence, à concilier des objectifs antagonistes. Aux Etats signataires de montrer maintenant leur engagement à assumer leur part de responsabilité La Cour reste l’ultime recours juridique pour  les citoyens de 47 pays, ce qui reste l’essentiel, même si certains juges ressentent un certain malaise à l’idée que des gouvernements puissent infléchir la Cour dans sa manière de travailler.

A l’issue de la conférence, la déclaration du secrétaire général, Thornbjorn Jagland, exprimant  toute sa satisfaction,  est à la mesure de l’échec de la tentative audacieuse mais vaine du Royaume-Uni.

« Thorbjørn Jagland, s’est félicité  des initiatives prises pour réformer le système européen des droits de l’homme et a exhorté les 47 Etats membres de l’Organisation à venir à bout des derniers problèmes. La réforme « a renforcé le rôle et l’autorité de la Cour européenne des droits de l’homme » a déclaré M. Jagland . Les Etats doivent désormais s’efforcer d’améliorer l’application de la Convention européenne des droits de l’homme au niveau national et réagir rapidement et efficacement aux arrêts de la Cour à la fois pour s’acquitter de leurs obligations et pour réduire le nombre d’affaires en suspens en mettant un terme aux requêtes répétitives.

« L’efficacité de la protection des droits de l’homme commence au niveau national. La Cour n’a jamais eu pour vocation de se substituer aux juridictions nationales », a-t-il précisé. « Les Etats membres ont choisi librement de se soumettre à un mécanisme de contrôle judiciaire international, car ils sont fermement convaincus que ce mécanisme est une garantie essentielle de la démocratie, de la liberté et de la paix sur tout le continent. Les droits fondamentaux de l’homme ne sauraient être dictés par une quelconque majorité ou autorité. Ils s’imposent parce que nous sommes tous des êtres humains et que toutes les nations sont dans l’obligation de les défendre par la loi », a-t-il ajouté.

Pour en savoir plus :

      -.Texte complet de la Déclaration de Brighton (FR) http://www.coe.int/fr/20120419-brighton-declaration/ (EN) http://www.coe.int/en/20120419-brighton-declaration/

      -.Discours de Thornbjorn Jagland http://www.coe.int/20120419-brighton

      -.Discours de sir Nicolas Bratza président de la CDHE http://www.coe.int/20120419-nicolas-bratza

      -.Discours de Jean-Claude Mignon président de l’Assemblée parlementaire (APCE) http://assembly.coe.int//Mainf.asp?link=http://assembly.coe.int/President/Mignon/Discours/2012/19042012_BrightonConferenceF.htm

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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