ACTA vit-il ses derniers jours ? A quand le coup de grâce après la prise de position du rapporteur au Parlement européen et le deuxième avis du Protecteur européen des données (CEPD) Peter Hustinx ? Le bilan !

Un nouveau coup dur pour ACTA : le député en charge du dossier au sein de la commission Commerce international du Parlement, David Martin, après avoir recommandé un débat factuel, dépassionné, a appelé ses collègues à rejeter le traité international anti-contrefaçon négocié par l’UE. L’eurodéputé travailliste britannique David Martin a pesé le pour et le contre. Après réflexion, il estime que ce texte « génère plus de peurs que d’espoirs ». Il a ainsi recommandé aux eurodéputés de voter contre. Le contrôleur européen des données a rendu pour la deuxième fois son avis, plutôt cinglant : il va influencer beaucoup de députés hésitant et il permet d’attendre l’avis de la Cour de justice.

Rappel succinct des évènements (Cf. Nea say)

Depuis la signature le 26 janvier, par 22 Etats membres et par  la Commission du traité à Tokyo, une vague de protestations et de manifestations de rue  s’est répandue dans la société civile européenne. Plusieurs pays, comme la Pologne ou la République tchèque ont même annoncé la suspension de la procédure de ratification menaçant rapidement  sa mise en place au sein de l’UE. L’attitude des Etats-Unis n’était pas totalement claire etc. La fronde parlementaire n’a fait que grandir. Pour tenter de faire taire les critiques, la Commission européenne a décidé en mars de soumettre ACTA au jugement de la Cour de justice de l’Union européenne, sans pour autant convaincre le Parlement de se joindre à la saisine de la Cour. Le Parlement européen  y renonce après bien des hésitations. Un vote est attendu avant l’été (probablement lors de la dernière session de juillet) dans un climat de scepticisme grandissant qui gagne progressivement tous les groupes du Parlement y compris au sein du groupe PPE surtout après la prise position, cinglante,  du CEPD. Ce dernier a fait valoir :« Bon nombre des mesures volontaires de coopération en matière de mise en application entraîneraient un traitement des données à caractère personnel  par les fournisseurs d’ accès à Internet allant au-delà de ce que la législation européenne autorise(…)  ACTA ne contient pas de limitations et de garanties suffisantes, comme une protection juridictionnelle effective, une procédure régulière, le principe de présomption d’innocence et le droit à la protection de la vie privée et des données personnelles ». Cependant se poursuit l’âpre combat entre les défenseurs de ceux dont l’oeuvre est contrefaite et ceux qui défendent les libertés individuelles.

Situation actuelle et perspectives

 Les eurodéputés veulent enterrer l’ACAC avant l’été, c’est l’objectif annoncé. Les quatre principales forces politiques ont annoncé leur position. Le PPE a confirmé sa position initiale : s’en remettre à la Commission. Il attendra  l’avis de la Cour de Justice et suivra la position de la Commission pourvu que les Etats membres et la Commission apportent de la clarté juridique sur deux points controversés : la définition de l’échelle commerciale pour les violations des droits de la propriété intellectuelle ( est-ce de la consommation privée ou bien une activité lucrative ?) et le rôle des fournisseurs de service Internet dans le cadre de la lutte contrefaçon numérique. C’est une attitude qui est dénoncée par le S&D qui appelle à rejeter cet accord purement et simplement et immédiatement. Les libéraux de l’ADLE plaident pour la négociation d’accords multilatéraux sur la protection des droits à la propriété intellectuelle reposant sur une approche sectorielle selon les produits : marchandises classiques, médicaments, produits numériques etc. Pour les verts l’accord n’aurait jamais dû être conclu sous cette forme et il doit être clairement repoussé une bonne fois pour toutes. Ces quatre groupes avec l’extrême gauche (GUE) rassemblent 367 élus alors que la majorité simple est 378 sur 754. En tenant compte des absents et des hésitants du  PPE, on peut dire que le rejet de l’accord est à portée de la main sans pour autant que cette issue soit totalement acquise.

La déclaration de David Martin, le rapporteur,  est claire : « les avantages escomptés de cet accord international sont plus que compassés par les menaces qu’il recèle pour les libertés civiles. Compte tenu du flou qui règne sur certains aspects du texte et des incertitudes liées à leur interprétation, le Parlement européen ne peut garantir à l’avenir une protection appropriée des droits des citoyens dans la cadre de l’ACTA. Votre rapporteur recommande en conséquence au Parlement européen de refuser de donner son approbation à l’accord ACTA. ». Dans un premier temps, David Martin  avait  salué la déclaration de la Commission de saisir la Cour de Justice de l’Union européenne, qualifiant l’éventuel jugement de la Cour de « bonne garantie quant à l’impact sur les droits fondamentaux ». Depuis, cette perspective semble s’être éloignée.

Outre la commission du commerce internationale, qui est chef de file, quatre autres commissions vont rendre leur avis sur ACTA : la commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie (rapporteur : Amelia Andersdotter, verts suédoise), la commission des affaires juridiques (rapporteur : Marielle Gallo, PPE française), la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieurs (rapporteur : Dimitrios Droutsas, S&D, grec), et la commission du développement (rapporteur : Jan Zahradil, ECR tchèque).

La mise en garde ferme de l’organisme gardien de la protection des données (EDPS)

Un grief majeur est formulé : obliger les Etats à contrôler plus étroitement Internet et les données confidentielles qu’il contient. Certaines mesures « impliqueraient l’espionnage du comportement des internautes et de leurs communications électroniques », explique l’EDPS, Peter Hustinx. « Ces mesures sont hautement intrusives dans la sphère privée des individus et, si elles ne sont pas appliquées correctement, pourraient interférer avec les droits et libertés comme la vie privée, la protection des données et la confidentialité des communications », poursuit l’organisme européen. « Les mesures qui impliqueraient la surveillance généralisée de l’activité des internautes et/ou de leurs communications électroniques, pour des infractions de faible gravité ou sans volonté d’enrichissement personnel, seraient disproportionnées au regard de la Convention européenne des droits de l’homme, de la Charte des droits fondamentaux et de la Directive européenne sur la protection des données », ajoute encore l’EDPS.

Tout cela va bien au-delà de ce qu’autorise « la loi européenne ». Ce n’est pas la première fois que le gendarme européen des données personnelles s’attaque à l’Acta. En février 2010 déjà, il s’était inquiété de l’accord, qui était en cours de négociation. Aujourd’hui, sur la base du texte définitif adopté à l’unanimité par les gouvernements des Vingt-Sept, mais qui doit encore être validé par le Parlement européen, l’EDPS formule plusieurs recommandations. Tout d’abord, la notion d' »échelle commerciale » ne serait pas suffisamment claire, et l’EDPS suggère d’exclure plus clairement du champ d’application de l’accord les activités des internautes menées à titre privé, sans volonté d’enrichissement. Mais la formulation de l’accord semble volontairement floue, afin de laisser aux États la liberté de s’attaquer au téléchargement illégal y compris chez l’internaute de base.

Deuxièmement, l’EDPS souhaite que le terme « autorités compétentes » soit remplacé par « autorités judiciaires », afin de s’assurer que seules ces dernières seront en mesure d’exiger la divulgation de données personnelles des citoyens européens. De même, les « efforts de coopération » exigés de la part des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) dans le cadre du traité « dépasseraient ce qu’autorise la loi européenne ». Enfin, l’organisme européen s’inquiète du fait que l’accord « ne prévoit pas de garde-fous tels que la garantie du respect du droit à la vie privée, du droit à un procès équitable ou encore au respect de la présomption d’innocence ».

Alors que la Commission européenne, rappelons le,  a demandé un avis à la Cour européenne des droits de l’homme , l’avis de l’EDPS pourrait inciter les indécis à bloquer l’Acta tel qu’il est actuellement rédigé. Bref en un mot : des effets secondaires inacceptables, une surveillance à grande échelle, « des méthodes très intrusives », un non respect du principe de proportionnalité. Certes reconnaît-il « bien qu’une coopération internationale accrue soit nécessaire pour l’application des droits de la propriété intellectuelle, les moyens envisagés ne doivent pas se faire au détriment des droits fondamentaux des individus. Un juste équilibre entre la lutte contre les violations de la propriété intellectuelle et les droits de la protection de la vie privée et des données personnelles doit être respecté. Il semble que l’ACTA « n’a pas pleinement réussi à cet égard », a conclu le Contrôleur européen des données

Pour faire bonne mesure, le CEPD pointe du doigt l’incompatibilité des mesures de surveillance indifférenciée ou généralisée du comportement des utilisateurs d’Internet et/ou de  leurs communications électroniques pour lutter contre des infractions légères, à petite échelle ou sans but lucratif, incompatibilité avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et les articles 7 et 8 de la Charte européenne des droits fondamentaux. En outre bon nombre des mesures volontaires de coopération en matière de mise en application entraîneraient un traitement de données à caractère personnel par les fournisseurs d’accès à Internet allant au-delà de ce que la législation européenne autorise. Enfin, juge le CEPD , l’ACTA ne contient pas les limitations et sauvegardes suffisantes (protection juridictionnelle effective, procédure régulière, principe de présomption d’innocence et droit à la protection de la vie privée et des données personnelles.)

Bilan global

Sur le principe et les objectifs poursuivis, on ne peut qu’adhérer. Personne n’a envie de se faire voler ses créations. Personne n’a non plus envie d’utiliser des produits  contrefaits dangereux ou d’absorber de faux médicaments. La contrefaçon est un fléau contre lequel il faut lutter. ACTA incontestablement touche le quotidien de chacun d’entre nous d’où l’élément passionnel  qui vient compliquer la recherche d’une solution. La passion s’est concentré sur Internet mais il est bien plus vaste : ACTA régule  pas seulement certaines libertés individuelles, il touche aussi le droit des brevets (avec des conséquences sur les semences en agriculture, les médicaments génériques) etc. Le spectre est donc très large, tentaculaire même.

La naissance d’ACTA a été inutilement entourée de mystères, de confidentialités contreproductives. si seulement il y avait eu information puis concertation avec les parlements , si seulement  les différents acteurs comme les ONG, le monde politique, les citoyens avaient été informés…Ce n’est qu’à une date récente que la lumière à peu près complète a été faite, il reste à en tirer les conclusions pour éliminer les dernières crispations : a-t-on fait réellement toute la clarté ? Encore trop d’imprécisions ou d’ambiguïté dans les textes, une marge d’interprétation encore trop large. C’est un traité international conclu dans un cadre qui n’est pas satisfaisant comme il aurait pu l’être si l’OMPI ou l’OMC avaient été impliquées. La Commission européenne a eu une démarche déroutante : trop longtemps elle maintenu la confidentialité sur l’enjeu et le déroulement de négociations et c’est seulement une fois signé l’accord qu’elle s’est inquiété de savoir si le contenu ne violait pas le droit européen et a décidé de consulter la Cour de Justice. Des Etats membres ont signé mais la tendance est à la marche arrière. Certains comme l’Allemagne l’ont refusé catégoriquement, d’autres se sont rétractés, d’autres encore ont conditionné leur signature aux résultats des débats au sein du Parlement européen. Une démarche qui suscité de la méfiance, l’accroit et ne rassure nullement. De ce fait les meilleures intentions de la Commission européenne sont naturellement travesties  en intentions dilatoires, habiletés de dernière minute d’une institution sur la défensive. Qui chercherait à gagner du temps, à apaiser la rue, la démobiliser  et faire oublier le traité.. La décision de la Cour de justice se fera nécessairement attendre et ne règlera rien : un accord peut-être légal, mais dangereux dans certains de ses effets secondaires. Reste la question :  comment faire renaître le dialogue entre les deux camps opposés ?

En conclusion, ACTA, c’est la mauvaise réponse à de bonnes questions. La contrefaçon et le respect de la propriété intellectuelle sont de vrais fléaux. Seulement plutôt que de faire un traité international élaboré dans le secret, comportant des zones d’ombres  et intégré  ensuite dans le droit européen, il vaudrait mieux que l’Europe se penche sérieusement sur sa propre législation, mette à jour le droit européen en la matière.

ACTA a mis en lumière plusieurs   choses qu’il convient de retenir pour le futur:

-le parlement européen, au même titre que les autres institutions n’est pas toujours cohérent : pourquoi accepte-t-il le PNR et refuse-t-il ACTA ?

– le citoyen a un vrai pouvoir de persuasion, les pétitions, les actions menées dans les rues européennes ont eu un effet. Demain les Initiatives citoyennes (ICE) entreront en action. A cet égard, l’affaire ACTA  est une répétition avant le véritable lever de rideau (effectif depuis le 1er avril dernier);

-l’opinion publique est très réactive et la crise économique aidant elle peut à tout moment s’enflammer, « surréagir ». Il faut apprendre à compter avec elle : en ce sens l’épisode ACTA est inédit, une grande première, marquée du sceau de l’exemplarité ;

– l’élection du Parlement européen n’est pas un vote pour rien car le Parlement européen est le seul directement élu par les citoyens et les matières sur lesquelles il travaille ont un impact considérable sur le quotidien de chacun d’entre nous.

 

 

 

 

 

 

 

En savoir plus:

      -. Avis du Contrôleur européen des données http://www.edps.europa.eu/EDPSWEB/webdav/site/mySite/shared/Documents/Consultation/Opinions/2012/12-04-24_ACTA_EN.pdf

      -. Présentation d’Acta par la Quadrature du Net http://www.laquadrature.net/fr/ACTA

      -. Liste des réponses de la Commission européenne aux questions écrites des parlementaires européens http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2012/february/tradoc_149102.pdf

      -. Commission européenne:  portail « Transparency of ACTA negotiations » http://ec.europa.eu/trade/tackling-unfair-trade/acta/transparency/

      -. David MartinMEP:  blog post on Acta http://blogmartinmep.eu/2012/04/12/little-action-on-acta/

      -. Socialist & Democrats: Live Blog of Debate on ACTA (24/04/2010) http://www.socialistsanddemocrats.eu/gpes/public/detail.htm?id=134007&section=BLO&category=LBLO&startpos=30&topicid=-1&request_locale=EN

      -. Article du Irish Times du 12 avril 2012 http://www.irishtimes.com/newspaper/finance/2012/0412/1224314639423.html?

      -. Argumentaire de la Commission européenne concernant la Transparence des négociations ACTA http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2012/february/tradoc_149103.pdf

      -. Dossier de Nea say concernant ACTA http://www.eu-logos.org/eu-logos-nea-recherche.php?q=acta&Submit=%3E

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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