Droit de vote pour les condamnés, la Cour européenne des droits de l’homme confirme une décision que le Royaume-Uni s’obstine à refuser.

La Cour européenne a tenu bon :au détour d’une affaire italienne, la Cour européenne des droits de l’homme a en effet confirmé, mardi 22 mai, qu’interdire indifféremment à tous les détenus de voter n’était pas conforme à la Convention européenne des droits de l’homme. La Grande-Bretagne avait déjà été condamnée sur ce point en octobre 2005 (arrêt Hirst), puis en novembre 2010 (arrêt Greens et M.T.), mais  s’était bien gardé de faire diligence pour changer la loi.

Au contraire, la Chambre des communes avait adopté en février 2011 à 234 voix contre 22 une motion favorable au maintien de l’interdiction du droit de vote des détenus condamnés et s’était employée, lors de sa présidence du comité des ministres du Conseil de l’Europe, à remettre en cause les pouvoirs de la Cour. Echec : le communiqué final, en avril, de la conférence de Brighton qui a consacré l’échec de la présidence britannique tout en permettant  au Royaume-Uni de sauver la face, mais n’a pas modifié significativement le fonctionnement de la Cour. (cf. Nea say). Quand et comment va-t-elle obtempérer ? Elle a  six mois pour modifier sa législation et  il  n’est pas certain qu’elle obtempère, et nul ne sait comment la justice européenne va sortir de ce bras de fer.

A l’origine un citoyen italien,  Franco Scoppola,  aujourd’hui âgé de 72 ans, qui avait tenté en 1999 de tuer  sa femme ; il avait été  condamné à perpétuité et interdit d’exercer des fonctions publiques, ce qui vaut en Italie privation automatique du droit de vote.  Scoppola a réussi  à obtenir en 2009 de la Cour européenne une condamnation de l’Italie pour violation du droit à un procès équitable, et sa peine a été commuée en trente ans de prison. Or, en juin 2004, Franco Scoppola s’appuyant sur la condamnation de la Grande-Bretagne avec l’arrêt Hirst, trois mois plus tôt, sur le vote des détenus, a saisi la Cour européenne à son tour en faisant observer que lui aussi avait été déchu automatiquement de ses droits civiques. L’audience en Grande chambre (formation plénière) de la Cour européenne s’est tenue en novembre 2011. L’arrêt, observé avec attention par le Royaume-Uni, a été prononcé le 22 mai.

 La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention européenne garantit le droit de vote, mais que ce droit n’est pas absolu : « Il y a place pour les limitations implicites » et les 47 Etats du Conseil de l’Europe « doivent se voir accorder une marge d’appréciation en la matière » – une attention à la quelle le Royaume-Uni ne peut qu’être sensible, car c’est là une des revendications fondamentales du Royaume-Uni. Pour la Cour, l’interdiction du droit de vote pour M. Scoppola paraît poursuivre des « objectifs légitimes que sont le renforcement du sens civique de l’Etat de droit ainsi que le bon fonctionnement et le maintien de la démocratie ». Si le but est légitime, il faut encore qu’il soit « proportionné ». C’est le cas : l’interdiction de voter n’est pas générale pour les détenus italiens, et elle n’est définitive que pour ceux qui sont condamnés à des peines égales ou supérieures à cinq ans. Ainsi l’Italie n’a pas violé la Convention, et Franco Scoppola ne pourra pas voter.

En revanche, pour les Britanniques, « la Cour réaffirme les principes dégagés dans l’arrêt Hirst » : la législation britannique est « un instrument sans nuances, qui dépouille du droit de vote, garanti par la Convention, un grand nombre d’individus, et ce de manière indifférenciée », condamnés « d’un jour à la réclusion à perpétuité », « d’actes relativement mineurs aux actes les plus graves ». On peut s’attendre à ce que la presse anglaise se déchaine contre la Cour. A cela une contrepartie : la Cour  s’inquiétait du nombre d’affaires en attente devant la Cour. Si le Royaume-Uni  change sa législation, au moins 2 500 plaintes à Strasbourg de détenus anglais qui veulent voter seront aussitôt classées.

Conscient de l’enjeu de l’arrêt Scoppola ; la Cour européenne des droits de l’homme a tenu à publier un communiqué de presse pour bien préciser les répercussions de cet arrêt sur le cas anglais.

« Il appartient aux Etats membres de décider de la manière de réglementer l’interdiction du droit de vote imposée aux détenus .

Dans son arrêt rendu ce jour dans l’affaire Scoppola c. Italie (n° 3) (requête n° 126/05), la Cour confirme les principes dégagés dans l’arrêt Hirst (n° 2) c. Royaume-Uni (n° 74025/01) rendu en octobre 2005, réaffirmant qu’une interdiction générale, automatique et indifférenciée du droit de vote imposée à tous les détenus condamnés indépendamment de la nature ou de la gravité de l’infraction commise est incompatible avec l’article 3 du Protocole n° 1 (droit à des élections libres) de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle souscrit toutefois à la thèse du gouvernement britannique selon laquelle les Etats jouissent d’une ample marge d’appréciation concernant tant la détermination des catégories d’infractions entraînant l’interdiction du droit de vote que la question de savoir si pareille mesure doit résulter d’une décision judiciaire prise au cas par cas ou de l’application générale d’une loi.

L’affaire concernait l’interdiction du droit de vote infligée à M. Scoppola après la condamnation de celui-ci pour le meurtre de sa femme et les blessures infligées à l’un de ses fils.

Le gouvernement britannique a été autorisé à présenter des observations en qualité de tierce partie.

La Cour conclut, à la majorité, à la non-violation de l’article 3 du Protocole n° 1 (droit à des élections libres) à la Convention. Relevant que, en droit italien, l’interdiction du droit de vote ne s’applique qu’aux détenus reconnus coupables de certaines infractions contre l’administration publique ou l’administration de la justice ou condamnés à une peine d’emprisonnement d’une durée au moins égale à trois ans, ellejuge que la mesure incriminée ne présentait pas les caractères de généralité, d’automaticité et d’application indifférenciée qui, dans l’affaire Hirst (n° 2), l’ont conduite à un constat de violation de l’article 3 du Protocole n° 1.

Répercussions sur l’arrêt Greens et M.T. c. Royaume-Uni (nos 60041/08 et 60054/08) Le 23 novembre 2010, la Cour a rendu son arrêt dans l’affaire Greens et M.T. Elle y a observé que la législation du Royaume-Uni n’avait pas été modifiée consécutivement à l’arrêt rendu en 2005 dans l’affaire Hirst (n° 2) et que cette situation avait donné lieu à l’introduction d’environ 2 500 requêtes devant elle, chiffre qui continuait à augmenter. La Cour n’a pas jugé utile de préciser quelle devait être la teneur des futures propositions de loi, estimant qu’il appartenait d’abord au gouvernement britannique d’en décider. Toutefois, elle a jugé que la longueur du délai écoulé démontrait la nécessité de fixer un calendrier pour l’introduction de propositions de modification de la loi électorale.

En conséquence, elle a invité le gouvernement britannique à présenter des propositions de modification de la loi incriminée dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle son arrêt Greens et M.T. serait devenu définitif, ainsi qu’à promulguer la loi pertinente dans un délai à déterminer par le Conseil des Ministres, l’organe exécutif du Conseil de l’Europe responsable du contrôle de l’exécution des arrêts de la Cour. La Cour n’a pas attribué de somme aux requérants au titre du dommage matériel ou moral et a dit qu’aucune réparation financière ne serait accordée dans de futures affaires. Le collège de la Grande Chambre ayant rejeté le 11 avril 2011 la demande de renvoi devant la Grande Chambre présentée par les requérants, l’arrêt est devenu définitif à cette date.

Le 30 août 2011, la Cour a examiné la demande du gouvernement britannique l’invitant à reporter le délai de six mois fixé dans l’affaire Greens et M.T. de façon à ce que celui-ci ne commence à courir qu’à compter du prononcé de l’arrêt à venir dans l’affaire Scoppola (n° 3). Si la Cour a considéré que, eu égard à la durée qui s’était écoulée depuis l’adoption de l’arrêt Hirst (n° 2), aucun nouveau retard inutile n’était envisageable, elle a toutefois estimé raisonnable d’octroyer au Royaume-Uni un délai supplémentaire de six mois à compter de la date du prononcé de l’arrêt de Grande Chambre dans l’affaire Scoppola (n° 3). Compte tenu du prononcé de cet arrêt, immédiatement définitif1, le délai de six mois fixé dans l’arrêt Greens et M.T. commence à courir aujourd’hui. Dans l’arrêt Greens et M.T., la Cour a indiqué qu’elle rayerait du rôle les requêtes analogues si le gouvernement britannique se conformait au calendrier établi par elle. Rédigé par le greffe, le présent communiqué ne lie pas la Cour. Les décisions et arrêts rendus par la Cour, ainsi que des informations complémentaires au sujet de celle-ci, peuvent être obtenus sur www.echr.coe.int.

      -.Texte de l’arrêt http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?action=html&documentId=908351&portal=hbkm&source=externalbydocnumber&table=F69A27FD8FB86142BF01C1166DEA398649

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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