Le défenseur des droits en France : quatre institutions en une. Le nouveau défenseur des droits a trouvé sa place, un an après il fait le point. Mais la disparition du défenseur des enfants fait toujours débat.

Assistons- nous à la mise en place d’un nouveau modèle, le modèle français, en matière de défense des droits fondamentaux ? Il est évidemment trop tôt pour le dire, mais aussi parce que les éléments de comparaison avec d’autres pays de l’Union européenne sont absents. C’est là une occasion pour mettre le doigt sur quelque chose qui peut apparaitre comme une anomalie : l’absence d’une structure institutionnelle englobante européenne de concertation, d’expertise, d‘avis. Le respect d’un droit fondamental comme la protection de la vie privée au travers de la protection des données à caractère personnel possède une telle structure de référence : le déjà célèbre G29 qui rassemble les contrôleurs chargés de la protection des données personnelles. Mais nous n’avons pas l’équivalent pour la défense des autres droits du citoyen européen. Une lacune à combler qui donne son intérêt  au point que vient de faire le « défenseur des droits »français, un an après sa mise en place.

A cette occasion, le défenseur des droits, Dominique Baudis, précise ses priorités. Créé à l’occasion de la réforme constitutionnelle de 2008, le défenseur des droits regroupe, depuis le 1er  mai 2011, quatre institutions autrefois séparées. Il s’agit du médiateur de la République, le défenseur des enfants, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) et la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS). L’objectif affiché à la création de cette nouvelle entité est d’offrir aux citoyens une protection « plus cohérente, plus lisible, plus accessible et plus simple » de leurs droits et libertés. Dominique Baudis achèvera le 22 juin prochain la première des six années de son mandat de défenseur des droits. Celui-ci n’est pas renouvelable.

Le « défenseur des droits » a un large domaine de saisine : toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’une administration ou d’un service public, tout enfant dont les droits seraient remis en cause ou tout citoyen s’estimant victime de discrimination a vocation à saisir le défenseur des droits. Chaque victime ou témoin d’un manquement à la déontologie de personnes exerçant une activité de sécurité (policier, gendarme, sécurité privée, etc.) peut également en référer au défenseur des droits. Dans chaque domaine, ce dernier peut être averti par les représentants légaux des victimes ou les associations de défense des droits et de lutte contre les discriminations.

Le défenseur des droits peut se saisir d’office d’un cas, mais aussi adresser des recommandations au législateur. Son avis est ainsi fréquemment demandé dans le cadre de projets de loi relevant de son champ de compétence. S’il le juge opportun, il mène par ailleurs des campagnes d’informations sur ces différents domaines.

Comment y faire appel ? simplement, par l’intermédiaire d’un élu. Une réclamation peut être adressée à un député, sénateur ou député européen, qui la transmettra au défenseur des droits. Par les citoyens eux-mêmes. Chaque citoyen se voit également offrir la possibilité d’entrer en contact avec l’un des 450 délégués de l’institution répartis sur l’ensemble du territoire. Pour cela, il peut se rendre sur le site Internet créé à cet effet, (www.defenseur des droits.fr) téléphoner au 09.69.39.00.00 ou adresser un courrier à l’adresse suivante : Le défenseur des droits, 7 rue Saint-Florentin, 75 409 Paris Cedex 08.

Le bilan de Dominique Baudi juste un an après son entrée en fonction

L’an dernier, il a reçu près de 90 000 requêtes, dont un nombre croissant de dossiers concernant les mineurs. Bien qu’il dispose de leviers juridiques nombreux, Dominique Baudis dit opter, lorsque c’est possible, pour la médiation. Il déclare avoir réussi à faire naître une institution commune regroupant à la fois l’ancien médiateur de la République, le défenseur des enfants, la Halde et la commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS). Celle-ci a trouvé sa place dans le paysage institutionnel, puisque nous avons été saisis un peu plus de 89 846 fois. Par comparaison, les institutions antérieures avaient, au total, enregistré autour de 92 948 requêtes. Cette légère baisse (3 %) s’explique mécaniquement : pour certaines affaires complexes, il arrivait que les plaignants saisissent plusieurs institutions. C’était le cas, par exemple, des dossiers concernant les problèmes de scolarisation des enfants handicapés ? qui intéressaient à la fois la Halde, le médiateur de la République et le défenseur des enfants. Aujourd’hui, pour ce genre de cas, la saisine n’intervient  qu’une fois.

 Certains redoutaient que la suppression du défenseur des enfants ne mette à mal  la promotion des droits des mineurs.  Ces critiques, jugées tout à fait recevables par Dominique Baudis, pourtant au vue de l’expérience cette craint de ne s’est finalement pas révélée  fondées. Les chiffres le prouvent. Les saisines concernant les mineurs ont crû de 19 % l’an dernier, ce qui prouve que l’institution a très vite été identifiée comme succédant au défenseur des enfants. Conscient des enjeux entourant les droits des mineurs, il a multiplié les interventions afin de faire respecter les droits des enfants. Par exemple  autour des familles placées, avec leurs enfants, en centres de rétention administrative (CRA). La France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme en février dernier sur ce point mais l’ancien ministre de l’intérieur, Claude Guéant, estimait qu’il s’agissait d’un arrêt d’espèce et non d’un arrêt de principe.  Pour lui, il s’agit, pour moi, d’une lecture trop restrictive de cette décision. Voilà pourquoi, à chaque fois qu’une famille est placée en CRA, il dépêche quelqu’un sur place pour trouver une solution alternative, assignation à résidence, placement en foyer d’urgence, etc. Depuis le mois de février, une vingtaine de familles se sont retrouvées dans ce cas et le défenseur des droits a, à chaque fois, sauf une, obtenu gain de cause. Il a rencontré à ce sujet le ministre de l’intérieur.

Parmi ces milliers de saisines, certaines apparaissent-elles  plus fréquentes que d’autres ? Est-ce significatif de citer  le dossier des procès-verbaux adressés aux automobilistes  se plaignant d’être harcelés par le Trésor qui continuait à leur adresser les contraventions d’un précédent véhicule. À la suite d’une grève de la faim lancée par l’un d’eux, le « défenseur des droits » saisi le ministère du budget et son homologue de la justice afin d’obtenir un arrêt immédiat des poursuites, ce qui a été fait. Il s’est ensuite impliqué pour qu’on change la loi et a obtenu gain de cause. C’est désormais la date de la vente du véhicule qui fait foi auprès des autorités administratives, et non celle de la mise à jour de la carte grise.

Quant aux priorités elles ne se définissent pas a-priori mais  se redessinent en permanence en fonction de l’afflux des plaintes reçues. Néanmoins peuvent être cités les sujets suivants : l’intégration sociale des personnes autistes, le respect de l’égalité au travail, la lutte contre la discrimination à l’encontre des personnes homosexuelles, l’accès aux transports des personnes handicapées. Ce sont des sujets pour lesquels une réflexion de fond est  engagée au-delà des contentieux spécifiques pouvant déboucher sur des recommandations en direction des entreprises ou de l’administration.

De tous les outils à sa disposition(médiation, injonction, recommandation, sanction), le « défenseur des droits » n’aime  pas recourir dès le départ à l’arme la plus lourde. Il estime que son rôle est d’humaniser, réparer, apaiser  les relations entre les citoyens et les pouvoirs publics et privés. Il  préfère recourir à la médiation plutôt qu’à la sanction ou à une condamnation basée sur la notion de faute, de punition. Cette voie fait gagner du temps aussi.

Cette réforme est-elle exempte de toute critique ?Claire Brisset, première défenseure des enfants de 2000 à 2006, n’est toujours pas convaincue qu’il fallait supprimer cette institution ou, plutôt, la refondre dans celle du défenseur des droits. Pour elle, les champs de compétence de ce dernier sont trop étendus, au détriment de la protection des plus jeunes : « Je ne conteste pas la personne, mais le périmètre de ses pouvoirs, explique-t-elle. Le droit des enfants a une spécificité que la loi organique de 2011 a effacée. Il a été subordonné au droit des adultes. »  Résultat, selon elle : « Parfois, les gens pensent que le défenseur des enfants n’existe plus ! » De même, Dominique Versini, seconde défenseure des enfants (2006-2011), se demande : « est-ce que les enfants savent qu’il y a une adjointe qui est défenseure des enfants?  » Ce défaut de visibilité n’est pas sans conséquence, selon Claire Brisset : « Si on veut que les enfants saisissent eux-mêmes l’institution qui les protège, il faut qu’ils la connaissent. » De toute façon, ajoute Dominique Versini, « les jeunes ne peuvent pas saisir directement l’adjointe de Dominique Baudis en charge de la protection des enfants, Marie Derain ».

 Des voix  se sont donc levées pour la création d’une institution autonome. Pour l’association « La voix de l’enfant », ce n’est pas un problème : « Ce sont surtout les adultes et les familles, ainsi que les professionnels et les associations, qui saisissent la défenseure, rarement des enfants », conteste Martine Brousse, déléguée générale de l’association. Selon elle, il faut plutôt se demander si l’action combinée du défenseur des droits et de son adjointe est efficace. Sa réponse est oui : « D’un côté, nous avons une figure sur laquelle nous pouvons nous appuyer et que nous saisissons souvent, la défenseure des enfants, et une figure de renfort, le défenseur des droits, sur lequel nous pouvons compter s’il faut une intervention supplémentaire. » Un binôme « cohérent » et « complémentaire », selon l’association, ainsi qu’efficace, compte tenu « des pouvoirs accrus dont bénéficient ces institutions ». Claire Brisset se réjouit, elle aussi, de cette augmentation de pouvoirs, mais milite pour qu’une « institution autonome et indépendante au service des enfants soit recréée par la loi ». Dominique Versini, elle, préfère un « compromis » entre l’adjointe actuelle et la défenseure d’autrefois : « L’adjointe défenseure des enfants devrait avoir des compétences propres lui permettant, par exemple, de recevoir directement les réclamations et de se prononcer sur les projets de lois concernant les droits des enfants. »

Ce débat porte en lui un grand intérêt en ce qu’il est transposable à d’autres cas que ceux des enfants. Une meilleure défense , plus rapide et plus efficace, des droits du citoyen s’est mise en marche.

      -. Le défenseur des droits a rencontré le ministre de l’intérieur, Manuel Vals, à propos de la situation des mineurs en centre de rétention http://www.defenseurdesdroits.fr/salle-de-presse/communiques-de-presse/le-defenseur-des-droits-dominique-baudis-rencontre-le-ministre

      -. Rapport annuel 2011 sur les droits de l’enfant http://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/upload/defense_des_droits_des_enfants/rapport_ddd_2011_simples.pdf

      -. Arrêt Popov où la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France dans une affaire de rétention d’enfant dans un centre administratif http://www.unhcr.org/refworld/pdfid/4f1990b22.pdf

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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