L’Europe face aux « banksters ».

Corruption, mafias : Saviano frappe une fois de plus dans un article de la Repubblica reproduit également par le New-York Times. La Commission spéciale du Parlement européen qui vient d’être créée a du pain sur la planche !

La crise économique n’est pas un mal pour tout le monde, et selon Roberto Saviano, le journaliste italien auteur de Gomorra, la mafia est en train de s’enrichir et d’infiltrer l’économie légale grâce à la crise. Dans le quotidien La Repubblica, Saviano écrit: «Les capitaux mafieux ne résultent pas seulement de la crise économique mondiale, ils sont aussi et surtout la cause de cette crise, parce qu’ils sont présents dans les flux économiques depuis ses origines. En décembre 2009, le responsable de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, Antonio Maria Costa, a révélé détenir les preuves de ce que les revenus des organisations criminelles étaient les seuls capitaux d’investissements liquides dont les banques avaient disposé durant la crise de 2008, pour éviter l’effondrement».

Il est possible, selon Saviano, qui livre là une  analyse des faits, de savoir exactement à quel moment les organisations criminelles (il cite: «italiennes, russes, balkaniques, japonaises, africaines, indiennes») ont fait leur nid dans l’économie internationale. «C’est advenu dans la seconde moitié de 2008, quand le manque de liquidité est devenu le problème principal du système bancaire (…) seules les organisations criminelles semblaient avoir d’énormes sommes d’argent comptant à investir, à blanchir». Saviano cite une enquête colombienne montrant comment l’argent du narcotrafic colombien est blanchi grâce aux banques américaines et européennes, en transformant l’argent en titres électroniques en Chine, passant d’un pays à l’autre et devenant au fur et à mesure non seulement légal mais aussi intraçable.

Pour Roberto Saviano: «Ceci ne montre pas seulement qu’en temps de crise, les défenses immunitaires des banques se fragilisent dangereusement, mais aussi qu’au moment de la reprise économique, les capitaux criminels détermineront les politiques financières des banques qu’ils ont sauvées».

Poursuivant une démonstration claire, il reprend une idée développée dès 2009 par Antonio Maria Costa, alors directeur de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, il explique qu’au plus fort de la crise, les « gains des organisations criminelles ont constitué le seul capital d’investissement liquide dont disposaient certaines banques ». Comme l’ont montré les études du FMI, entre janvier 2007 et septembre 2008, les banques européennes et américaines ont perdu plus d’un milliard de dollars en titres toxiques et crédits non exigibles. « Il est donc possible de déterminer le moment précis où les organisations criminelles italiennes, russes, balkaniques, japonaises, africaines, indiennes, sont devenues déterminantes pour l’économie mondiale. A savoir : au second semestre de l’année 2008, quand le manque de liquidités est devenu le principal problème du système bancaire, écrit Saviano dans La Repubblica.

De récents scandales, souligne Saviano dans l’article du New York Times, ont confirmé les relations incestueuses entre « bankers » et « gangsters ». La vice-présidente de la Commission européenne, Viviane Reding, ne s’y est pas trompée en parlant récemment de « banksters » .Depuis le mois dernier, la justice américaine enquête en effet sur le rôle de la banque britannique HSBC dans une affaire de blanchiment d’argent sale issu des cartels de la drogue mexicains. S’appuyant sur un rapport accablant du Sénat américain, le New York Times a révélé que la filiale mexicaine de HSBC avait transféré 7 milliards de dollars d’argent sale des cartels vers HBUS, la filiale américaine de HSBC. La banque aurait aussi contourné les lois américaines pour transférer de l’argent en direction de régimes soumis à des sanctions américaines, l’Iran, le Soudan et la Corée du nord. Mais HSBC n’est pas la seule. ABN Amro, Barclays, Credit Suisse, Lloyd’s ou encore ING ont admis avoir effectué des transactions avec Cuba, la Libye, le Soudan, etc.

Dépendantes des liquidités des organisations criminelles, les banques occidentales ont donc massivement et sans complexe blanchi l’argent de la drogue. La City de Londres et Wall Street sont ainsi devenues, selon le journaliste italien, « les deux plus grandes blanchisseuses d’argent sale du monde », bien devant les îles Caïmans, l’île de Man et les autres paradis fiscaux.

Ce poids des organisations criminelles sur le système économique en temps de crise nous oblige à renforcer les mécanismes de contrôle sur le secteur bancaire et à approfondir la lutte contre le blanchiment, martèle Saviano. Un appel que les acteurs de la lutte antimafia, notamment en Italie, ont aussi relayé. Cité par La Repubblica, le procureur national antimafia italien Piero Grasso estime que le gouvernement italien doit impérativement réformer ses mécanismes législatifs et que l’Europe doit se doter au plus vite d’un « code pénal antimafia unique ».

Confirmant l’analyse du journaliste, Piero Grasso précise que les premières auditions des nouvelles commissions antimafia européennes [mises en place en avril dernier] évoquent largement ce processus de blanchiment d’argent sale. « La N’Drangheta [mafia calabraise] a récemment blanchi 28 millions d’euros en quelques heures en acquérant un quartier entier en Belgique », a déclaré il y a peu Sonia Alfano, à la tête de la nouvelle commission anti-mafia du Parlement européen.

La Grèce et l’Espagne comptent parmi les pays européens les plus touchés par la crise et ils sont aussi littéralement gangrénés par la corruption et le crime organisé. C’est pourquoi ils constituent deux exemples révélateurs des liens qui se nouent entre mafia, finance et crise, estime Saviano, qui consacre une large partie de son enquête aux deux pays.

Au même niveau que la Colombie dans le classement de l’ONG Trasparency international sur l’indice de corruption, la Grèce est une « terre d’investissement mafieux », où une soixantaine de familles mafieuses russes prospère depuis plusieurs années. Or en Grêce comme ailleurs, la crise n’a fait que renforcer la mainmise des réseaux mafieux sur le système bancaire. « A cause de la crise, les Grecs ont dû puiser dans leur épargne : environ 50 milliards d’euros ont ainsi été prélevés dans les banques grecques entre 2009 et 2011. Les possibilités légales de souscrire un prêt venant à manquer, de plus en plus de gens ont recours à des emprunts illégaux », écrit Roberto Saviano.

Le journaliste évoque ainsi un gigantesque marché noir de prêts illégaux en Grèce, dont le chiffre d’affaires s’élèverait à 5 milliards d’euros par an. Chiffre qui aurait quadruplé depuis le début de la crise en 2009. En janvier dernier, une organisation criminelle active depuis plus de quinze ans et composée d’une cinquantaine d' »usuriers » a été démantelée à Thessalonique (deuxième ville du pays). Elle prêtait à des taux d’intérêt compris entre 5 et 15 % par semaine et « punissait » les mauvais payeurs. 1 500 à 2 000 personnes auraient été victimes de ce réseau, dirigé par le propriétaire d’un restaurant et deux frères impliqués dans des trafics de drogue. D’après le ministère des Finances grec, la plupart des opérations usurières de ce type sont liées à l’activité de bandes criminelles originaires des Balkans et d’Europe de l’Est.

L’autre grand marché noir qui empoisonne les finances de l’Etat grec est celui du pétrole. On estime qu’environ 20 % de l’essence vendue en Grèce provient du marché illégal : il s’agirait d’une essence composée d’un mélange de carburant acheté légalement et de carburant acquis sur le marché noir. Un moyen pour les revendeurs de se faire une marge importante et d’éviter les taxes – une manne financière importante qui échappe à l’Etat.

L’Espagne, elle aussi, est « colonisée par des groupes mafieux autochtones (les Galiciens, les Basques et les Andalous) et par des organisations étrangères (italiennes, russes, colombiennes et mexicaines), affirme Roberto Saviano. « Historiquement, l’Espagne a toujours été un refuge pour les parrains italiens en cavale. (…) Même si la lutte antimafia espagnole a progressé, le pays offre toujours de grandes opportunités de blanchiment, maximisées par la crise en Europe. Le boom immobilier qu’a connu l’Espagne entre 1997 et 2007 a constitué une manne pour ces organisations, qui ont investi leurs gains dans la pierre ibérique ». De plus, selon le journaliste italien, la Grèce et l’Espagne sont les « portes d’entrée des routes de la cocaïne en Europe ». Les trafiquants, essentiellement issus des rangs de la Camorra [mafia napolitaine], ont fait de l’Espagne une plaque tournante de leur trafic en direction des pays européens. »Dans ce contexte, le projet Eurovegas du magnat américain Sheldon Adelson de construire en Catalogne, en investissant 35 milliards de dollars, un complexe de casinos, d’attractions et de structures touristiques sur le modèle de Las Vegas, risque de transformer ces lieux en un des principaux centre de blanchiment d’argent sale de l’Occident », affirme l’auteur de Gomorra.

Etant donné les intérêts colossaux en jeux, quel est la capacité d’action du pouvoir politique ? Difficile de réduire les Etats à un simple rôle de victime et de spectateur passif. En Afrique, en Amérique latine, dans les Balkans et en Europe de l’est, les entreprises criminelles agissent à une telle échelle qu’il est impossible que les gouvernements ne soient pas partie prenante, estime l’écrivain et chroniqueur d’origine vénézuélienne Moisés Naim dans une tribune de La Repubblica.

« Roberto Saviano a bien fait de soulever le problème, écrit Moisés Naim,(…) mais je serais un peu moins pessimiste [que lui] sur l’Europe, Espagne et Grèce comprises. La corruption y est très importante, certes, mais on ne peut pas parler d’Etats mafieux » pour autant. (…). Dans un Etat mafieux, au départ, les criminels s’infiltrent dans le gouvernement, ils s’enrichissent et enrichissent leurs collaborateurs, leurs amis et les membres de leur famille, et exploitent leur influence politique et les liens qu’ils peuvent avoir avec le crime organisé pour cimenter et étendre leur pouvoir ».

L’avenir : un code pénal anti-mafia européen unique.

      -. Article de la Repubblica http://ricerca.repubblica.it/repubblica/archivio/repubblica/2012/08/28/mafia-finanza-italia-faccia-di-piu.html?ref=search

      -. Article du New York Times concernant HSBC et le cartel de la drogue mexicain http://www.nytimes.com/2012/08/25/business/us-said-to-investigate-money-laundering-at-hsbc.html?_r=1&hpw

      -. La mafia au cœur de l’Etat de Moises Naim publié par Foreign Affairs (10 mai 2012) http://www.slate.fr/story/54805/mafia-etat

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Cette publication a un commentaire

  1. noterdaeme anne

    siga ta laxana, veut dire en Grec: doucement les légumes et par là on voudrait dire: n’exagérons rien.
    Le grand capital ou le sexe des anges? et l’article est ciblé sur la Grèce et l’Espagne?
    Et l’Asie?

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