Le volontarisme de l’Europe concernant les Roms, suffit-il? L’ONU à son tour, et à nouveau, s’inquiète. Viviane Reding à Paris.

La Commission européenne veut se montrer volontariste lorsqu’il s’agit de «l’inclusion» des Roms ». Plans stratégiques, fonds européens, intégration dans la stratégie 2020 et même surveillance de la France. Est-ce suffisant ? A ceux qui répondent que pour entendre la Commission , il faut tendre l’oreille, on pourrait répondre par le proverbe français : il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Il est certain que les Roms causent désormais des problèmes importants au gouvernement socialiste français  et une part importante de l’opinion publique européenne et nationale est surprise par la dureté de l’action  et singulièrement après l’évacuation du campement Rom à Evry, ville dont le Ministre de l’intérieur était le maire jusqu’à son entrée au gouvernement comme ministre de l’intérieur. Depuis des démantèlements spectaculaires se sont produits près de Lyon (Saint- Priest) et ailleurs.

 Face aux démantèlements de campements roms décidés par le ministre de l’Intérieur Manuel Valls, la Commission européenne a placé une nouvelle fois la France sous «surveillance» le 10 août dernier, deux ans après le coup d’éclat de 2010. C’est l’expression d’un certain échec  deux ans après. Cette décision confirme aussi le poids grandissant qu’a acquis la Commission européenne à propos des Roms. Certes, la majeure partie des politiques se joue au niveau national ou local. Mais la Commission  fait valoir son rôle de «coordinatrice» et d’incitatrice de pratiques se voulant vertueuses, bien que certains lui reprochent d’être beaucoup trop timide, pusillanime. Qu’il s’agisse de discipline budgétaire, pourtant librement consentie ou d’autres domaines (par exemple la cybercriminalité sur laquelle tout le monde s’accorde, cf. autre article) elle peine à faire prévaloir son point de vue , à faire respecter les décisions prises ou simplement à faire respecter le droit .

Pour tenter de remédier à cette situation, l’institution européenne a lancé différentes initiatives visant à «l’inclusion» de cette minorité. Il y a  des table-rondes, des colloques et des forums, dont l’efficacité est à démontrer, où l’on évoque la «question Roms» à Bruxelles. Il y a la stratégie 2020 de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale dont les Roms font partie. D’où l’importance de cette question qui va bien au-delà du seul sort des Roms .

Deux leviers

       -. Il y a tout d’abord le «cadre de l’Union européenne pour les stratégies nationales d’intégration des Roms».(cf. infra).  Imaginé en 2010, il a demande que  chaque Etat européen élabore une stratégie détaillant les actions qu’il prévoit d’entreprendre pour «réduire l’écart entre les Roms et les autres citoyens» dans quatre domaines: l’éducation, l’emploi, la santé, le logement.

Les rapports fournis par les Etats membres sont faibles et révèle par leur insignifiance que la majorité de ces stratégies nationales n’ont  pas d’objectifs clairs et quantifiables, ni d’indicateurs, ni encore d’analyse des besoins.et encore moins d’évaluation.  Elles ne seront pas efficaces car elles sont écrites comme une réponse rapide  à une obligation pourtant consentie mais en trainant les pieds. A l’avenir  les Etats devront prévoir des mesures plus concrètes, des objectifs plus explicites, des financements précis.

      -. Deuxième levier: l’argent, la Commission européenne allouant des fonds aux Etats membres. Elle recommande chaudement que cet argent serve à financer des projets en faveur des Roms mais il faut bien constater  que leur utilisation n’est pas optimale, seuls douze pays ayant mentionné dans leur stratégie des montants spécifiques alloués à l’intégration des Roms et la France n’en fait pas partie. Pour pousser les Etats à se faire plus précis, la Commission a proposé de «conditionner l’octroi de fonds structurels européens aux Etats membres à l’existence et la mise en œuvre de ces « stratégies» d’inclusion des Roms. Une contrainte bien faible, dénuée de porté pratique : songeons aux contraintes de discipline économique et budgétaire auxquelles la Commission voudraient contraindre les Etats membres pour toucher les fonds structurels de la politique de cohésion. Une levée de bouclier majoritaire.

Pas de fermeté donc, mais aussi trop souvent un double discours. Ainsi par exemple  la politique européenne qui ferme la porte aux Roms des Balkans, les qualifiant de faux demandeurs d’asile, ou organisant leurs retours forcés, ce qui n’est pas donner le bon exemple et décrédibilise la volonté d’inclusion au sein de l’Union. De quelle autorité bénéficier alors pour condamner les Etats qui violent impunément les droits fondamentaux ? Songeons également à toutes les remontrances et mises en demeure adressées au cours de ces dernières années à la Grèce pour ses pratiques à l’égard des immigrés. La Commission préfère axer son travail sur les « stratégies nationales d’inclusion » plutôt que s’attaquer de front aux Etats. Choix stratégique qui ne garantit pas le succès, mais est moins porteur d’affrontements.

A nouveau inquiétude aux Nations Unies

En mai dernier les Nations Unies en liaison avec l’Agence européenne des droits fondamentaux avait produit un rapport qui était aussi un signal d’alarme. Nea say en avait fait alors un compte rendu détaillé. Les Nations Unies viennent de récidiver !

  Les experts de l’ONU enjoignent la France à respecter les droits de la communauté Rom : des experts des droits de l’homme mandatés par l’ONU ont appelé mercredi 29 août le Gouvernement français à assurer que ses décisions concernant l’expulsion de Rom et le démantèlement des camps respectent toutes les normes de non-discrimination en vigueur aux niveaux européens et international. Selon les Rapporteurs spéciaux sur les minorités, les migrants, le logement et le racisme, « les expulsions se poursuivent et menacent de mettre des familles dans des situations de grande vulnérabilité ».

« Les expulsions forcées ne sont pas une réponse appropriée, des solutions alternatives conformes aux normes des droits de l’homme doivent être recherchées », a déclaré Raquel Rolnik, la Rapporteuse spéciale sur le droit au logement dans un communiqué de presse publié conjointement par les experts. « Des mesures contraignantes de protection, y compris la mise à disposition d’alternatives pour un logement décent, doivent être mises en place pour assurer que les individus, en particulier les femmes, les enfants et les personnes handicapées, ne se retrouvent pas sans abris ou soient davantage vulnérabilisés », a-t-elle préconisé.

L’experte a également noté qu’« en dépit du fait que ces actes soient justifiées sur la base de l’insalubrité, très peu d’efforts visibles sont déployés pour trouver des alternatives, comme l’amélioration des conditions de logement de ces communautés ».

En août, plusieurs expulsions, documentées par des ONG et les médias, ont eu lieu, notamment à Lille, Lyon et Paris. Elles devraient se poursuivre, indique le gouvernement français. Les experts ont rappelé que des actions similaires avaient été lancées en août 2010, suscitant des critiques généralisées qui sont restées dans toutes les mémoires mais aussi danc delle des Nations Unies nous le constatons. « Ces informations sont préoccupantes, en particulier parce que ce n’est pas la première fois que les Rom sont collectivement expulsés de France », a rappelé l’experte indépendante sur les minorités Rita Izsák. « Les Rom sont des citoyens de l’Union européenne et forme la minorité la plus marginalisée d’Europe. De façon regrettable, ces actes démontrent que les Rom ne jouissent toujours pas des mêmes libertés de circulation et d’établissement et continuent de subir des traitements discriminatoires ».

Selon le Rapporteur Spécial sur les droits des migrants, François Crépeau, dont Nea say a rendu compte du rapport en mai dernier, « l’objectif ultime semble être l’expulsion de France des communautés migrantes Rom». Il a relevé que « les expulsions collectives sont interdites par le droit international et que les rapatriements doit être volontaire et basé sur des évaluations individuelles et une surveillance indépendante ». Le Rapporteur Spécial sur le racisme, Mutuma Ruteere, a prévenu que « ces expulsions alimentent inévitablement le climat d’hostilité –déjà préoccupant- à l’égard des Rom en France ». Il a aussi souligné l’importance d’efforts soutenus pour traiter de la marginalisation des Rom dans les domaines du logement et de l’emploi, et ce afin de faciliter leur insertion sociale.

Un point d’orgue de Viviane Reding avant son voyage en France

 Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne, prend acte de l’évolution positive, selon elle, de la France envers les Roms mais elle estime que la France  devra modifier la stratégie d’intégration engagée par le précédent gouvernement. La commissaire à la Justice, qui sera à Paris lundi et mardi,(les 3 et 4 septembre) estime que la France a maintenant adapté ses lois « aux standards européens » et que « le problème ne doit plus se résumer  à la seule répression. »

« Désormais, les éloignements font, à ma connaissance, l’objet d’une décision préalable de la justice. Les personnes concernées sont informées individuellement et il ne s’agit pas d’éloignements en masse », dit-elle dans « Le Monde », daté du 2 septembre. Viviane Reding souligne que le démantèlement de camps illégaux et insalubres « reste une question nationale » et qu’il « n’y a pas de droit européen en la matière. » Mais l’hébergement d’urgence est saturé et ne permet pas d’offrir aux expulsés des solutions durables. Les nuités offertes dans les hotels restent très aléatoires et très t provisoires et les offres peu nombreuses ; c’est un dépannage du court terme. Pas de terrains disponibles pour les 200 à 300 campements illégaux.

Des experts des Nations unies se sont néanmoins inquiétés le 29 août de la poursuite des expulsions, nous venons de le voir. « Les expulsions collectives sont interdites par le droit international et toute rapatriation doit être volontaire, conformément aux critères internationaux, et se fonder sur des évaluations individuelles et un contrôle indépendant », rappelle François Crépeau, rapporteur spécial de l’Onu.

Le ministère de l’Intérieur a poursuivi à un rythme soutenu le démantèlement de camps de Roms illégaux dans plusieurs régions de France. Selon « Le Monde », 2.000 à 3.000 personnes ont été expulsées de camps illégaux depuis le début de l’été. Matignon a ajouté que l’Etat et les collectivités territoriales devraient apporter une « réponse globale » et « adaptée à la situation des personnes expulsées, sans toutefois parler clairement de relogement. Mais pour Viviane Reding, la France s’est bien engagée « à reloger ces populations et à scolariser les enfants ». Malgré tout, elle va devoir modifier la stratégie d’intégration des Roms esquissée par le gouvernement précédent, « afin de concrétiser son souci d’intégration », explique-t-elle. « Nous allons l’aider par le biais d’un échange de bonnes pratiques entre les pays de l’Union, au sein d’un groupe que je veux mettre sur pied en octobre », ajoute la commissaire européenne à la justice.

Aucune étude de la  situation des ROMS n’a été faite, contrairement aux engagements gouvernementaux. Certes existe une volonté de rompre avec la politique précédente du chiffre et une révision de la politique de l’admission au séjour a été  annoncée pour septembre, dès lors on  ne  peut que s’interroger sur le sens de cette chasse aux Roms qui a duré tout l’été sur l’ensemble du territoire.

Les préfets viennent enfin de recevoir des instructions précises

Le gouvernement aura mis une semaine pour concrétiser  les annonces faites à la suite de la réunion interministérielle du 22 août dernier sur les Roms,  (Cf . autre article).Le document long de sept pages, est signé de la main de sept ministres: Manuel Valls (intérieur), Cécile Duflot (logement), Vincent Peillon (éducation nationale), Marisol Touraine (Santé et affaires sociales), Michel Sapin (Travail), Marie-Arlette Carlotti (exclusion) et George Pau-Langevin (réussite éducative).

Le texte, qui vise « un double objectif de fermeté en matière de sécurité et d’humanité dans la prise en charge des personnes », tente de trouver un compromis entre les positions antagonistes qui s’étaient exprimées au sein même du gouvernement au cours d’un mois d’août marqué par plusieurs démantèlements de bidonvilles.

 En préambule, la circulaire fait la part belle à Manuel Valls, en rappelant qu’il appartient à l’État d’exécuter les décisions de justice « lorsqu’il est ordonné par le juge qu’il soit mis fin, au besoin avec le concours de la force publique, aux occupations de terrain ». En cas d’irrégularité, l’État se laisse la possibilité d’expulser hors du territoire français. Le reste du document, en revanche détaille les « mesures d’accompagnement » que les préfets doivent mettre en oeuvre « le plus en amont de la décision de justice qu’il est possible ». Pour commencer cette démarche préventive, les préfets devront « établir le plus rapidement que possible un diagnostic de la situation de chacune des familles » (santé, logement, emploi?).

La circulaire insiste sur le respect du principe de « l’obligation scolaire ». En matière d’accueil, « l’aménagement d’un site d’accueil provisoire ou d’autres solutions d’hébergement peuvent être envisagés dans certains cas, dans l’objectif de stabiliser transitoirement les personnes concernées pour favoriser leur insertion ».  Mais c’est là que réside la faiblesse majeure du dispositif, nous venons de le souligner.

Les inspections générales de plusieurs services seront chargées d’évaluer la mise en place de ce suivi.

Stratégies nationales d’intégration des Roms: cadre européen commun

Dans ce fatras de textes et documents les plus divers en provenance de plusieurs institutions, il est difficile de s’y retrouver et d’assurer une compréhension continue. La stratégie nationales des Roms, présentée par la Commission constitue cependant un bon point de départ  pour s’y retrouver. La Commission y expose une série de recommandations pour l’élaboration de stratégies nationales d’intégration sociale et économique des Roms. Les États membres sont invités à transmettre leurs stratégies à la Commission fin 2011 au plus tard et pour la période allant jusqu’en 2020. Dans sa communication, la Commission présente  un cadre d’objectifs européens communs, complémentaires avec les objectifs de la stratégie Europe 2020.

Avant fin 2011, les États membres doivent proposer des stratégies d’intégration, ou ensembles de mesures politiques, afin d’améliorer l’accès des populations roms:

•à l’éducation, pour que chaque enfant achève au moins sa scolarité primaire;

•à l’emploi, aux soins de santé, au logement et aux services de base (notamment aux réseaux publics d’eau, de gaz et d’électricité), afin de réduire les écarts existants avec le reste de la population.

La Commission doit procéder à une évaluation de ces stratégies en 2012 et veiller à leur bonne mise en œuvre, grâce à un mécanisme de suivi incluant divers acteurs. À ce titre, elle prévoit de présenter des rapports annuels de suivi au Conseil et au Parlement européen.

Enfin, la Commission encourage la réforme et le renforcement de la plateforme européenne pour l’intégration des Roms.

Comment réaliser la mise en place des stratégies nationales ? Les objectifs nationaux d’intégration des Roms doivent être fixés en tenant compte des besoins, des contraintes et de la diversité des situations dans chaque États membres. L’élaboration des stratégies d’intégration se fait avec la participation des acteurs concernés, notamment les autorités régionales et locales, les représentants de la société civile et des Roms. Un point de contact national est créé dans chaque État membre pour effectuer le suivi des actions.

Les financements seront assurés de quelle façon ? Les sources de financement des stratégies nationales doivent être clairement identifiées, ces financements peuvent notamment provenir des budgets nationaux, des fonds structurels ou autres financements européens (tels que l’instrument de micro-financement Progress, l’initiative européenne en faveur de l’innovation sociale , etc.) ou de subventions internationales.

Les pays candidats à l’élargissement de l’UE  sont-ils concernés ? Les objectifs européens en matière d’intégration des Roms s’appliquent aux pays concernés par la politique d’élargissement de l’UE. La Commission s’engage ainsi à soutenir les efforts de ces pays, y compris en améliorant les financements européens disponibles. En outre, un suivi des progrès de chaque pays sera effectué par la Commission et présenté dans les rapports annuels d’élargissement.

Pour en savoir plus

       -. Deux experts des Nations Unies exhortent les Eats à lutter contre la discrimination à l’égard des Roms http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=28702&Cr=Rom&Cr1=

       -. Pnud et Agence européenne des droits fondamentaux reconnaissent que les discriminations à l’égard des Roms persistent http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=28251&Cr=Roms&Cr1=

       -. Des experts des Nations Unies demandent plus d’efforts pour lutter contre les discriminations à l’égard des Roms (avril 2012) http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=27953&Cr=Roms&Cr1=

       -. Communication de la Commission : cadre de l’UE pour les stratégies nationales d’intégration des Roms (FR) http://ec.europa.eu/health/social_determinants/docs/com2011_173_fr.pdf  (EN) http://ec.europa.eu/justice/policies/discrimination/docs/com_2011_173_en.pdf

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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