Lutte contre la pauvreté ou aide aux plus démunis ? Bruxelles veut consacrer 2,5 milliards d’euros à la lutte contre la pauvreté. 116 millions de personnes menacées de pauvreté. Des inquiétudes et incertitudes pèsent déjà sur cette « réforme ». Mise à jour

La Commission européenne a proposé mercredi 24 octobre la création d’un fonds d’aide pour les millions d’Européens pauvres au sein de l’Union, qui serait doté de quelque 2,5 milliards d’euros jusqu’en 2020. Ce fonds, proposé dans le cadre du projet de budget pluriannuel pour la période 2014-2020, en cours de négociation, doit être approuvé par les Etats membres et par le Parlement européen. Il permettrait de fournir une aide alimentaire aux plus pauvres, mais aussi des vêtements et des biens de première nécessité aux sans-abri et aux enfants dans les situations de « privation matérielle ». Dans le cadre de programmes nationaux, le fonds supporterait 85 % du coût de l’aide, et les Etats membres prendraient en charge 15 %. Il s’agit donc plus d’une aide aux plus démunis qu’à proprement parler un instrument de lutte contre la pauvreté qui aiderait les personnes à sortir de la pauvreté. Passée la satisfaction à l’annonce commencent à apparaître des inquiétudes.

« Nous avons besoin, au niveau européen, de nouveaux mécanismes de solidarité et de ressources appropriées pour aider les personnes défavorisées et les pauvres qui, souvent, vivent dans une situation de réelle urgence sociale », a expliqué le président de la commission, José Manuel Barroso.

Le nouveau fonds devrait faire partie des fonds de cohésion, une des deux grandes enveloppes du budget européen avec la politique agricole commune (PAC). L’aide alimentaire européenne est actuellement intégrée au budget de la PAC. Or, selon une décision de la justice européenne, elle n’est plus en conformité avec la loi européenne et il faut la réformer avant fin 2013. (Cf. Nea say pour l’historique du dossier)

Certains Etats comme l’Allemagne, la Suède ou le Royaume-Uni étaient opposés à l’idée même d’une aide alimentaire de solidarité européenne, considérant que ce type de programme devait être géré au niveau national. Un compromis négocié entre l’ancien gouvernement français et l’Allemagne avait permis à titre transitoire le maintien du programme en 2012 et 2013. Mais en échange de son feu vert à cette solution transitoire, Berlin avait réclamé la fin du programme à compter de 2014.A cette occasion le président de la Commission , José Manuel Barroso, Dacian Ciolos, commissaire à l’Agriculture et le président Nicolas Sarkozy, son ministre de l’Agriculture Bruno Lemaire, se sont battus farouchement en toutes circonstances pour que le programme soit prolongé avec l’appui du Parlement européen et son intergroupe lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

La part de la population de l’Union n’ayant pas les moyens de s’offrir un repas avec viande, volaille ou poisson (ou l’équivalent végétarien) un jour sur deux s’élevait à 8,7 % en 2010, soit plus de 43 millions de personnes, et les premiers chiffres disponibles pour 2011 indiquent une détérioration de la situation.

 

 

 

Au sein de l’UE, quelque 40 millions souffrent de « privation matérielle aiguë », c’est-à-dire dans l’impossibilité d’accéder à une quantité suffisante de denrées alimentaires de qualité appropriée. Quelque 116 millions de personnes sont menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale. Selon des estimations, 4,1 millions de personnes étaient sans-abri en Europe en 2009-2010. Ce phénomène a augmenté récemment en raison de l’impact social de la crise économique et financière et de la hausse du chômage. Plus inquiétant encore, des familles avec enfants, les jeunes et les personnes issues de l’immigration sont de plus en plus nombreux parmi les sans-abri.

En effet les enfants et les sans-abri sont les plus particulièrement visés par le programme : le sans-abrisme est une forme particulièrement grave de privation matérielle, dont l’ampleur est difficile à quantifier. Toutefois, selon des estimations, 4,1 millions de personnes étaient sans-abri en Europe en 2009-2010. Le sans-abrisme a augmenté récemment en raison de l’impact social de la crise économique et financière et de la hausse du chômage. Plus inquiétant encore est le fait que les familles avec enfants, les jeunes et les personnes issues de l’immigration sont de plus en plus nombreux parmi les sans-abri. L’Union compte 25,4 millions d’enfants menacés de pauvreté ou d’exclusion sociale. D’une manière générale, les enfants courent un risque accru de pauvreté ou d’exclusion sociale par rapport au reste de la population (27 % contre 23 %), ce qui les expose à une privation matérielle qui va au-delà de la malnutrition. Ainsi, 5,7 millions d’enfants n’ont pas les moyens de porter des vêtements neufs et 4,7 millions n’ont pas deux paires de chaussures de la pointure appropriée (y compris une paire de chaussures toutes saisons). La probabilité que les enfants qui souffrent de privation matérielle soient en échec scolaire, soient en mauvaise santé et ne réalisent pas tout leur potentiel en tant qu’adultes est plus élevée que chez leurs camarades plus aisés.

Modalités pratiques :les dispositions relatives au Fonds prévoient que les États membres introduisent une demande pour le cofinancement de programmes opérationnels couvrant la période 2014-2020, à l’appui de dispositifs destinés à fournir, par l’intermédiaire d’organisations partenaires, des aliments aux plus démunis ainsi que des vêtements et d’autres biens essentiels (comme des chaussures, du savon ou du shampoing) aux sans-abri et aux enfants souffrant de privation matérielle. Le Fonds proposé donnerait beaucoup de souplesse aux autorités des États membres pour la planification et la fourniture de l’assistance dans le cadre de leurs dispositifs nationaux. Les critères détaillés pour l’octroi de l’aide seraient fixés par les États membres, voire les organisations partenaires, ceux-ci étant les mieux placés pour adapter l’aide aux besoins locaux. Les organisations partenaires, souvent non gouvernementales, seraient chargées de distribuer les denrées alimentaires et les biens aux plus démunis. Pour atteindre les objectifs du Fonds en matière de cohésion sociale, les organisations partenaires devraient non seulement apporter une assistance matérielle aux plus démunis, mais également réaliser des activités de base pour l’intégration sociale de ceux-ci. Ces mesures d’accompagnement pourraient également être cofinancées par le Fonds. Les autorités nationales pourraient recourir au Fonds pour acheter des aliments ou des biens et les mettre à la disposition des organisations partenaires, ou apporter à celles-ci les financements nécessaires pour ce faire. La proposition prévoit également la possibilité d’utiliser, s’il en existe, les denrées alimentaires des stocks d’intervention.

 

 

 

Contexte général :En vertu de la stratégie Europe 2020, l’UE doit réduire d’au moins 20 millions le nombre de personnes en situation ou menacées de pauvreté.(Dossier Nea say sur la stratégie 2020 http://www.eu-logos.org/eu-logos-nea-recherche.php?q=strategie+2020&Submit=%3E et article de Anna Cuomo dans le  N°126 « la stratégie 2020, deux ans après sa création »)

Rappel : le principal instrument de l’Union pour favoriser l’employabilité, lutter contre la pauvreté et promouvoir l’inclusion sociale est et restera le Fonds social européen (FSE). Ce fonds structurel investit directement dans les compétences des personnes, qu’il vise à valoriser sur le marché du travail. Cependant, certains des citoyens les plus vulnérables en situation d’extrême pauvreté sont trop éloignés du marché du travail pour bénéficier des mesures d’inclusion sociale du FSE.

Le programme européen de distribution de denrées alimentaires aux personnes les plus démunies (PEAD) est, depuis 1987, une source importante d’approvisionnement pour les organisations qui travaillent en contact direct avec les personnes les plus défavorisées, à qui elles fournissent des produits alimentaires. Il distribue actuellement quelque 500 000 tonnes de denrées par an au bénéfice de ces personnes. Il a été créé pour utiliser au mieux les surplus d’une production agricole alors excédentaire. En raison de l’épuisement attendu des stocks d’intervention, ainsi que de leur grande imprévisibilité sur la période 2011-2020 du fait des réformes successives de la politique agricole commune, un terme sera mis au PEAD à la fin de 2013. Le Fonds européen d’aide aux plus démunis proposé vise à remplacer le PEAD, et à apporter des améliorations par rapport à celui-ci.

Les premières réactions : la politique sociale  de l’Union européenne (UE) disparaitra à moyen terme si rien n’est fait. En 2011, après des mois de guérilla institutionnelle, un groupe d’Etats emmenés par l’Allemagne et la Suède a réussi à obtenir la fin du Programme européen d’aide au plus démunis (PEAD) pour des raisons juridiques.Il coûte actuellement 440 millions par an aux contribuables et assure une part importante du financement de certaines associations comme les « Resto du Cœur » ou « Le secours populaire ». Peut-on dire qu’elle est sauvegardée avec cette nouvelle proposition ? Rien n’est moins assuré. N’est-ce pas une victoire à la Pyrrhus ? Constatons que  la Commission n’a jamais baissé les bras. Mercredi 24 octobre, elle a proposé de maintenir cette aide en vie sous une autre forme avec un système plus flexible. Le fonds est  doté de 2,5 milliards d’euros pour la période 2014-2020, soit un peu plus de 350 millions par an, soit moins que lors des précédentes dotations et avec un champs d’action nettement élargi. Le porte-parole du commissaire a toutefois précisé que c’était en euros « constants ». La prise en compte de l’inflation porterait la somme réelle à hauteur de 2,8 milliards d’euros (soit l’équivalent de 400 millions annuels).« Et vous devez rajouter les 15% de contribution nationale, ce qui revient ainsi à la même chose », a ajouté Jonathan Todd. Les actions du futur FEAD seraient financées à 85% par l’UE, le reste étant à la charge des Etats. « Nous proposons quelque chose de plus flexible car les autorités pourront inclure dans leurs programmes, aussi bien une aide alimentaire que des vêtements et d’autres biens essentiels. » La répartition de l’argent entre les différentes associations ou organismes sera à la charge des Etats. Quelques 116 millions de personnes sont menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale en Europe. Selon des estimations, 4,1 millions de personnes étaient sans-abri en Europe en 2009-2010. Ce fonds dépendrait des politiques sociales européennes alors que le PEAD était jusqu’à présent géré dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) pour des raisons historiques. Dans les années 1980, l’UE distribuait directement les surplus engendrés par la PAC. Ils sont aujourd’hui inexistants. Peut-on dire que ce fonds est ainsi mieux protégé ? Pas nécessairement, il faudra attendre le sommet du Conseil européen consacré exclusivement au futur budget pluriannuel 2014-2020) du 23 novembre pour juger complément : cette modeste avancée ne sera-t-elle pas « compensée » par des coupes sur d’autres lignes budgétaires à caractère social.

Craintes des élus. Les députés européens ont immédiatement salué la nouvelle, mais restent inquiets.

Elisabeth Morin-Chartier (UMP/PPE) connaît bien les politiques sociales de l’UE. Elle refuse toute confusion ou fusion « entre le Fonds Européen d’Aide aux plus Démunis et la lutte contre la pauvreté par l’insertion professionnelle prévue au sein du Fonds social européen ». La nouvelle proposition laisse ouverte la possibilité d’utiliser le FEAD dans le cadre de politique d’insertion. Cet ajout doit permettre de convaincre les Etats pour lesquels cette aide européenne doit cesser et être financée au plan national. « La solidarité européenne ne peut faire l’objet d’aucun marchandage à l’heure où les citoyens européens subissent de plus en plus les effets de la crise ».

Selon Karima Delli d’Europe Ecologie Les Verts, le cofinancement à la charge des gouvernements nationaux pose problème. « Il est à craindre qu’en cette période d’austérité budgétaire, la plupart d’entre eux renoncent purement et simplement à cette priorité », a déclaré la députée européenne. « En outre, les associations bénéficiaires seront sélectionnées selon des critères non-encore précisés, et auront l’obligation de mettre en place des politiques d’activation et d’aide à l’insertion, ce qui devrait normalement être le rôle de la collectivité. »

Pour la députée européenne socialiste Pervenche Berès, présidente de la commission du Parlement européen Emploi et Affaires sociales, il faut se féliciter de cette initiative. »Ce nouvel  instrument permettra de lutter contre l’exclusion sociale. L’Europe montre aujourd’hui qu’elle n’exige pas seulement des sacrifices mais qu’elle est aussi capable de faire preuve de solidarité vis-à- vis des plus démunis ». Cependant elle a nuancé : « l’ouverture de nouveaux fronts ne doit pas se faire au détriment des banques alimentaires et de toutes les organisations qui mènent un travail indispensable alors même que les cas de malnutrition sont de plus en plus fréquents ».

Imbroglio budgétaire : la proposition de la Commission doit maintenant être examinée par le Conseil et le Parlement. Les élus pourront donc l’amender. Tout comme les Etats. La zone d’ombre du futur FEAD reste son financement. Par exemple, il ne serait pas prévu  transférer les sommes affectées à l’ancien PEAD au nouveau fonds, celles-ci restant attachées à la PAC. Elles permettraient de combler les trous dans les années à venir, car le budget de la politique agricole commune doit être gelé sur la période 2014-2020. C’est un immense enjeu des discussions futur sur le nouveau cadre budgétaire pluriannuel. La Commission va donc devoir persuader les Etats de couvrir les besoins du FEAD dans le futur cadre financier pluriannuel (2014-2020), alors que le contexte est particulièrement mauvais. Les autres politiques sociales comme le FSE pourraient en pâtir, car les Vingt-Sept hésitent fortement à adopter un vrai budget à la hauteur des en jeux.

Une chose est certaine : de plus en plus de personnes frappent aux portes des associations, partout en Europe. Ainsi en Pologne 80% de l’aide alimentaire distribuée aux plus démunis proviennent de l’aide alimentaire européenne. Enfin il ne faut pas perdre de vue que, dans le meilleur des cas, l’aide de première urgence représentera moins d’un euro par habitant et par an !

Pour en savoir plus :

       -.Site du programme d’aide alimentaire aux plus démunis (PEAD) (nombreux documents d’information http://ec.europa.eu/agriculture/most-deprived-persons/index_fr.htm

      -. Aide Mémoire de la Commission européenne http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-12-800_en.htm

      -. Site du Fonds social européen (FR) http://ec.europa.eu/esf/home.jsp?langId=fr  (EN) http://ec.europa.eu/esf/home.jsp?langId=en

      -. Communiqué de presse du réseau européen anti-pauvreté (EAPN) (FR) http://www.eapn.eu/fr/nouvelles-publications/autres/communiques-de-presse/les-etats-membres-ont-le-devoir-de-soutenir-les-plus-demunis (EN) http://www.eapn.eu/en/news-and-publications/press-room/eapn-press-releases/member-states-urged-to-support-the-most-deprived-in-europe

      -. Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au Fonds européen d’aide aux plus démunis (com /2012 / 617 final) (FR) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2012:0617:FIN:FR:PDF  (EN) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2012:0617:FIN:EN:PDF

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Laisser un commentaire