Economie numérique: à la recherche d’une fiscalité adaptée : le rapport de Pierre Colin et Nicolas Collin. Le problème Google reste entier. Vers une révolution de la fiscalité internationale comme le souhaite l’OCDE ? Qu’en pense le G20 ? (mise à jour)

La seule solution possible et efficace se situera au niveau international comme le propose l’OCDE dans un rapport présenté au G20. Soyons réaliste : rendez-vous dans dix ans ! Dans l’immédiat voyons ce qui est proposé pour régler le cas Google au niveau français dans la mesure où une approche nationale aurait encore un sens.

Le rapport de Pierre Collin, conseiller d’État, et Nicolas Colin, inspecteur des finances, sur la fiscalité de l’économie numérique, a été remis au gouvernement, le 18 janvier 2013. Les lecteurs de Nea say sont déjà familiarisés avec cette problématique suite aux différends qui ont opposé le Gouvernement français à Google (Cf. autre article dans le numéro 130 de Nea Say). Il montre que les entreprises multinationales de l’Internet ont plus de facilité que quiconque  à tirer profit de la concurrence fiscale à laquelle se livrent les États. Contrairement aux entreprises plus anciennes, elles sont d’emblée organisées en vue de l’optimisation fiscale (choix du pays dans lequel elles établissent leur siège). Il s’agit d’un dossier éminemment européen , cela va sans le dire, mais va encore mieux en le disant.

Selon le rapport, le droit fiscal, tant national qu’international, peine à s’adapter aux effets de la révolution numérique. Il préconise d’agir à l’échelon international en faisant évoluer « la notion d’établissement stable » en vigueur au sein de l’Organisation européenne de développement économique (OCDE). Il s’agirait d’attribuer le pouvoir d’imposer les bénéfices des entreprises du numérique à d’autres États qu’aux seuls États où ces entreprises sont physiquement établies. Au niveau national, le rapport suggère de taxer le volume des données personnelles collectées et exploitées. Ce volume pourrait être quantifié par l’entreprise elle-même, sous le contrôle de l’administration fiscale. La taxe, que le rapport propose d’inscrire dans la loi de finances pour 2014,  serait modulée pour inciter les entreprises à la transparence et favoriser celles qui informent les internautes sur les données qui les concernent. Le Conseil national du numérique (CNN) devrait examiner cette piste afin d’en apprécier la faisabilité comme déjà indiqué par Nea say.

Dans un communiqué publié à la remise du rapport, le gouvernement précise qu’il étudiera d’autres pistes (la taxe au clic, la taxation de la bande passante, etc.). Parallèlement, la proposition de loi de Philippe Marini, « Pour une fiscalité numérique neutre et équitable » est discutée au sénat  depuis le 31 janvier 2013. Le gouvernement français, par la voix de son ministre de la culture, Aurélie Filipetti, a estimé que le récent accord conclu entre Google et les éditeurs français, n’exonérait pas le moteur de recherche américain de remplir ses « devoirs fiscaux ». Si les éditeurs sont satisfaits, évidemment c’est un bon accord . Maintenant çà n’exonère pas Google de ses autres devoirs, je pense notamment à des devoirs fiscaux (……)Tout le travail ne s’arrête peut-être pas là, a-t-elle déclaré sur Canal+. Rappelons que selon certaines estimations, en France, Google aurait réalisé en 2011 un chiffre d’affaires compris entre 1,25 et 1,4 milliards d’euros mais n’aurait versé qu’un peu plus de 5 millions d’euros au tire de l’impôt sur les sociétés (cf. infra).

La révolution fiscale internationale Le rapport  présenté au G20  préconise une approche multilatérale: une série de règles internationales établies d’ici deux ans, empêcheraient les montages fiscaux permettant aux grandes entreprises d’échapper à l’impôt sur les bénéfices .C’est une véritable révolution fiscale que préconise l’OCDE, par la voix de Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’organisation internationale. Une révolution qui pourrait s’étaler sur deux ans, nous dit-on,un laps de temps relativement court eu égard à l’ampleur de la tâche envisagée. Mais dans la réalité c’est une période de dix ans qu’il faut envisager ! Voyez le sort des négociations commerciales dites de Doha .A l’inverse l’exaspération de opinions publiques, l’endettement des Etats et le marasme économique, vont agir, on peut l’espérer, comme une incitation irrésistible au même titre que le développement des échanges commerciaux. Il s’agit de revoir les bases de la fiscalité internationale applicable aux sociétés, comme le développe le rapport intitulé « Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices » que l’OCDE a publié le 13 févier  et  présenté au G20 de Moscou, le  16 février.

La  fiscalité actuelle repose sur des bases élaborées au cours des années 1920, qui s’avèrent largement dépassées, à l’heure des « chaînes de valeur » (multiplication des zones de production pour la fabrication d’un seul produit) et de l’économie numérique. L’OCDE – qui regroupe la plupart des pays industriels) reconnaît –enfin, pourrait-on dire, que l’évasion fiscale internationale représente un vrai problème.

Sous la pression des opinions publiques dans plusieurs pays (France, Royaume-Uni …), les gouvernements veulent agir. Sous la pression des opinions publiques, la volonté politique est forte, aujourd’hui de mettre fin à l’évasion fiscale, au transfert des profits dans des pays à faible imposition, que pratiquent les grandes entreprises internationales, soulignent les responsables de l’OCDE, qui voient là un atout pour faire avancer les réformes. Ils tablent sur le soutien de la plupart des gouvernements des Etats de l’OCDE.

Dramatiser le sujet : « ce qui est en jeu, c’est l’intégrité du système de l’impôt sur les bénéfices des sociétés » (qui représente grosso modo des recettes fiscales équivalent à 3% du PIB, dans les pays industriels), peut-on lire dans le rapport. Et d’élever le débat : « toute absence de réponse contribuerait à saper davantage la concurrence, car certaines entreprises, par exemple celles qui exercent leurs activités par-delà les frontières et qui ont accès à des compétences fiscales sophistiquées, pourront mettre à profit les possibilités d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices et jouiront ainsi d’avantages concurrentiels non prévus par rapport aux entreprises exerçant principalement à l’échelle nationale ». Ce qui pose un problème d’équité, mais pas seulement : « une telle absence (de réponse) risque d’aboutir à une inefficience de l’allocation des ressources sous l’effet d’une distorsion des décisions d’investissement qui aboutirait à privilégier les activités présentant les taux de rendement avant impôt les plus faibles, mais les taux de rendement après impôt les plus élevés. Enfin, si d’autres contribuables (notamment les citoyens ordinaires) pensent que les entreprises multinationales peuvent, en toute légalité, échapper à  l’impôt sur les bénéfices, cela va saper la discipline volontaire de tous les contribuables, dont dépend l’administration moderne de l’impôt. »

Les contribuables n’auraient pas tort de penser que les grandes entreprises échappent pour partie à l’impôt. L’OCDE met en avant un rapport américain établi par la banque JP Morgan en 2012. Il compare les impôts des entreprises multinationales riches en propriété intellectuelle et ceux des entreprises dont le modèle d’activité se limite principalement au territoire des États-Unis. Selon ce rapport, au total, les multinationales enregistrent un taux effectif d’imposition de 22.6 % en moyenne sur 10 ans. Les entreprises à rayonnement national affichent un taux effectif d’imposition de 36.8 % sur la même période.

Comment faire pour mettre fin à cette situation ? « Pour s’attaquer au problème de l’érosion de la base d’imposition et du transfert de bénéfice qui, fondamentalement, est causé par l’interaction d’un grand nombre de facteurs, il est nécessaire d’élaborer rapidement un plan d’action global » affirme le rapport. « Un tel plan aurait pour principal objectif de donner aux pays les instruments nationaux et internationaux leur permettant de faire mieux coïncider leurs droits d’imposition avec l’activité économique réelle».

C’est à une double révolution qu’invite l’OCDE. Les responsables de l’OCDE précisent cette affirmation : il faut mettre fin à une approche bilatérale de la fiscalité, qui repose sur la multiplication de conventions fiscales bilatérales signées entre deux Etats. « On peut imaginer des conventions multilatérales, négociées sous l’égide de l’OCDE, qui écrasent les conventions existantes » (dont la renégociation s’étalerait sur une dizaine d’années au moins) souligne Pascal Saint-Amans. Deux années seraient nécessaires pour établir de telles conventions multilatérales. « La collaboration et la coordination permettront seront essentielles à la fourniture de solutions internationales exhaustives susceptibles de résoudre le problème de manière satisfaisante» ajoute le rapport.

Ce multilatéralisme, cette fin de la primauté des conventions bilatérales serait une révolution. Autre changement radical d’approche (Un de plus) : il n’est plus question de faire la chasse aux paradis fiscaux, de pourchasser les pratiques fiscales plus ou moins baroques de certains Etats ( Pays Bas, Luxembourg….) . C’est à la source, en empêchant les montages fiscaux pratiqués par les entreprises multinationales, que l’OCDE entend agir. L’organisation veut notamment « définir des règles relatives au traitement des opérations financières intragroupe, comme celles qui concernent la déductibilité des paiements ou l’application de retenues à la source ; et élaborer des solutions permettant de lutter plus efficacement contre les régimes dommageables, en prenant également en compte des facteurs tels que la transparence et la substance ».

Le moment est venu, c’est maintenant ou jamais : il y a consensus sur le diagnostic et une pression politique forte et croissante. En pleine crise budgétaire, il est de plus en plus difficile de défendre devant les opinions publiques les hausses de TVA pour les personnes physiques quand d’autres ne payent pratiquement pas d’impôts. Si des entreprises pratiquent à une telle échelle « l’optimisation fiscale », c’est parce que les lois le permettent, ce sont donc les textes qu’il faut changer. Ne rien faire c’est très mauvais pour la confiance que les gouvernements recherchent avant tout  en ces temps de crise aigue et persistante.

Quelques chiffres : c’est clair, les multinationales (Amazon, Apple, Google et Microsoft et les autres) ne sont jamais désignés par leur nom dans le rapport, mais chacun les reconnait. « Les multinationales sont accusées d’éviter l’impôt partout dans le monde, y compris dans les pays en développement » écrit le rapport de l’OCDE. Elles y développent des « pratiques fiscales agressives » qui bien que légales, montrent que les règles en vigueur sont dépassées. Les Etats-Unis sont les seuls à avoir chiffré le manque à gagner fiscal qu’impliquent ces pratiques. Les autorités américaines évaluent à 1375 milliards de dollars les profits des entreprises américaines qui ont échappé à l’impôt en 2011 en se logeant « off shore » dans des paradis fiscaux.

Google, rappelons-le, a logé 11 milliards aux Bermudes en 2011, ce qui lui a évité 2 milliards de taxes aux Etats-Unis. Sur ses profits mondiaux, réalisés hors des Etats-Unis, notamment en Europe, Google ne paye que 3,2 %d’impôts alors que le taux d’imposition sur les sociétés en Europe varie de 26% à 34%. En Europe l’évasion fiscale des entreprises coûterait 1 000 milliards d’euros par an aux Etats, soit 10% du PIB européen. « C’est scandaleux ! »a dit le commissaire européen en charge de la fiscalité, Algirdas Semeta . « il y a un décalage croissant entre les pays où les entreprises sont les plus présentes physiquement, les pays où sont localisés les profits » note le rapport de l’OCDE. Une telle situation remet en cause les grands principes de la fiscalité internationale, basés sur la libre concurrence qui profitent aux multinationales et à de petits Etats qui ont fait de l’optimisation fiscale leur spécialité locale. L’OCDE note au passage que certains petits Etats reçoivent des montants d’investissements directes étrangers (IDE) sans rapport avec leur activité économique réelle, notamment les Bermudes, les iles Vierges, Jersey, les Bahamas, les îles Caïmans. Des pays européens sont également cités pour le nombre anormalement élevé de sociétés simple «boîtes à lettres » sans présence physique réelle sur place : Pays-Bas, Luxembourg, Autriche, Hongrie. 

Notons en conclusion que l’annonce du rapport de l’OCDE intervient en même temps que le lancement des négociations commerciales transatlantiques.

 Pour en savoir plus :

 

      -. Sur la toile publique Mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique, Pierre Collin et Nicolas Colin, 2013, Bibliothèque des rapports publics – La Documentation française.fr http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000045/0000.pdf

      -. Communiqué de presse lors de la remise du rapport Colin-Collin sur la fiscalité du secteur numérique, Ministère de l’Economie et des Finances http://proxy-pubminefi.diffusion.finances.gouv.fr/pub/document/18/14014.pdf

      -. Proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable , Sénat Conseil de l’économie numérique http://www.senat.fr/rap/a12-291/a12-291.html

      -. Conseil national  de l’Economie numérique  http://www.cnnumerique.fr/

      -. Le soutien à l’économie numérique et à l’innovation, Inspection générale des finances, 2012, Bibliothèque des rapports publics – La Documentation française.fr http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/124000583/0000.pdf

      -.Dossier Google de Nea Say  http://www.eu-logos.org/eu-logos-nea-recherche.php?q=google&Submit=%3E

      -. Concurrence fiscale dommageable, dossier de la Commission européenne (FR) http://ec.europa.eu/taxation_customs/taxation/company_tax/harmful_tax_practices/index_fr.htm

(EN) http://ec.europa.eu/taxation_customs/taxation/company_tax/harmful_tax_practices/index_en.htm

      -. Texte du rapport de l’OCDE : « Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices » http://www.oecd.org/fr/ctp/BEPS%20French%20Final%20for%20web.pdf

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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