L’enjeu de la féminisation de l’immigration : que font les Etats ?

Il est aujourd’hui un nouveau défi qui se pose aux Etats en matière d’immigration : celui de la féminisation des migrations internationales. Alors que jusqu’alors le visage du migrant était celui d’un homme, c’est désormais celui d’une femme qui se dessine. C’est en tout cas ce qu’a pointé la Commission de la Population et du Développement (CPD) du Conseil Economique et Social des Nations Unies lors de sa 46ème session tenue fin avril.

Ce constat n’est pas nouveau : « le migrant » doit de plus en plus être accordé au féminin. En effet, dans un rapport de 2011 qui s’intitule « The Age and Sex of Migrants », la Division de la Population des Nations Unies montrait déjà ce phénomène.

 Ainsi, l’on peut constater que les femmes représentaient en 2010 49% des migrants internationaux. Ce chiffre grimpe à 52% environ dans les pays développés contre 48% dans les pays en développement. Plus encore, parmi les migrants âgés de plus de 65 ans, les femmes constituent 56% du contingent soit 57% dans les pays développés et 53% dans les pays en développement.

 Néanmoins, la 46ème session du CPD va plus loin en pointant les défis que cela pose aux Etats d’accueil notamment.

 Les migrations se féminisent et se rajeunissent. Or, ces « nouveaux migrants » sont plus vulnérables que les migrants masculins. En effet, si l’on se réfère à un rapport des Nations Unies de 2004, les femmes migrants, de plus en plus jeunes, sont bien plus souvent victimes de discriminations, de violences à caractère sexuel voir d’exploitations au cours de leur migration ou dans leur pays d’accueil.

 Un rapport de l’Organisation Internationale pour les Migrations de 2009 se fait plus précis sur ces violences dont sont victimes les migrantes. Tout d’abord, de violences intrafamiliales : les femmes migrantes sont victimes de violences conjugales, peu dénoncées du fait du manque d’information ou de confiance des victimes.

Egalement, elles sont victimes de violences de la part des représentants des autorités de l’Etat d’accueil ou de transit, souvent à caractère sexuelles. Plus encore, c’est sur leur lieu de travail qu’elles subissent le plus : exploitation, abus sexuels, viols, etc… Le rapport cite un chiffre effarant : sur 145 migrantes Sri Lankaises travaillant dans des pays arabes, 17% ont été harcelées sexuellement et 5% violées.

Il arrive aussi que les migrantes tombent entre les mains de trafiquants qui vont les exploiter de diverses manières : travail forcé, prostitution, mariage forcé, etc… Ce phénomène de trafic d’êtres humains toucherait 800 000 personnes à travers le monde parmi lesquelles 80% de femmes.

 Le rapport tente d’établir les causes et les conséquences de telles violations des droits des migrantes. Bien souvent, c’est leur double statut de migrante et de femme qui va causer ce genre de violences. En effet, bien souvent isolées, avec une faible connaissance de la langue locale, mal informées ou encore affectées à des travaux peu réglementés, elles vont être plus facilement sujettes à de telles violations. Et ces violences sont renforcées par une sorte de « cercle vicieux » : parce que les femmes sont victimes de violences, elles vont s’isolées ; et parce qu’elles sont isolées, elles ne vont pas dénoncer ces agissements.

 Le rapport de l’OIM tente d’établir les conséquences de telles violences. Pour l’Organisation, elles sont non seulement économiques (dépenses supplémentaires de santé et de justice, situations de chômage, etc…), mais surtout humaines. Au sens de l’OIM, il faut donc lutter contre ce phénomène de plusieurs manières et notamment en créant dans les Etats d’accueil des structures de soutien et d’information adéquates pour les migrantes. L’autre solution proposée est de renforcer l’application ou tout simplement mettre en œuvre les instruments de protection des droits de l’homme existants.

 Les Etats se doivent de réagir. Le CPD a adopté, lors de sa 46ème session, une résolution en ce sens, demandant aux Etats d’agir. Or, pour le moment, peu semble être réalisé en la matière. L’Assemblée Générale des Nations Unies a adopté le 29 mars 2012 une résolution visant à rappeler aux Etats la nécessité de lutter contre les violences faites aux migrants. Or, il s’agit pour l’essentiel d’un rappel de ce qui a déjà été adopté…

Le Conseil de l’Europe fait beaucoup en octroyant des droits particuliers aux migrants. Mais rien n’est fait spécifiquement pour rendre effective la lutte contre les violences faites aux migrantes.

 L’Union Européenne aussi tente d’agir notamment en incluant la prise en compte des besoins des personnes vulnérables comme élément important de sa politique d’immigration et d’asile. En effet, cette prise en compte est une obligation des Etats lors du traitement des demandes d’asile et l’accueil des demandeurs. Plus encore, l’Union a fait de la lutte contre le trafic des êtres humains un des priorités de sa politique migratoire.

Néanmoins, tout ceci n’est pas suffisant. Ce problème perdure et perdurera tant que les Etats, voir l’Union dans le cas européen, continueront d’envisager l’immigration comme un phénomène essentiellement masculin et potentiellement dommageable, conduisant par là même à des politiques restrictives.

 L’immigration est un gain économique et certains Etats l’ont déjà compris (voir notre article sur la politique migratoire américaine) : les migrants créent de la richesse aussi bien dans leur pays d’accueil que dans leur pays d’origine grâce au transfert de fonds. C’est d’ailleurs la principale motivation de l’émigration selon l’OIM.

 Notons ici que, selon un rapport de l’OIM de 2010, les femmes migrantes originaires de pays en développement envoient plus en moyenne que les hommes. De même, en moyenne, ce sont elles qui reçoivent le plus de fonds lorsqu’elles restent dans leur pays. Plus encore, la manière dont est dépensé l’argent transféré ou utilisé par les femmes dans les pays en développement est bien différente de celle des hommes. En effet, les fonds iront principalement vers des dépenses de santé, d’éducation et de nourriture.

 Malheureusement, tout ceci leur porte préjudice puisqu’elles ne peuvent épargner et investir ce qui impacte leur stabilité et donc leur intégration. Néanmoins, le rapport de l’OIM pointe le fait que cette importance grandissante des femmes dans l’envoi de fonds pourrait améliorer leur statut dans leur pays d’origine ou d’accueil.

 L’immigration peut également être un gain démographique, surtout pour les pays occidentaux à la démographie stagnante. En effet, comme nous l’avions noté dans notre article sur la politique migratoire américaine, sans immigration, c’est 79 millions de personnes entre 20 et 65 ans en moins dans l’Union d’ici 2050 contre 39 millions grâce à l’immigration.

Il faut donc désormais réinventer notre politique migratoire à l’aune de ces nouveaux phénomènes afin de pouvoir fournir notamment une véritable sécurité juridique aux nouvelles migrantes qui en ont véritablement besoin…

Jérôme gerbaud  (Institut d’études politiques de Grenoble)

 

 

Pour en savoir plus:

–            Rapport de la Division Population du Département des Affaires Economiques et Sociales des Nations Unies « The Age and Sex of migrants »  de 2011

(EN) http://www.un.org/en/development/desa/population/publications/pdf/migration/age-sex-migrants-wallchart_2011.pdf

 

–            Rapport de la Division pour l’avancement des femmes des Nations Unies « Woman and Migration » de 2004.

(EN) http://www.un.org/womenwatch/daw/meetings/consult/CM-Dec03-WP1.pdf

 

–            Rapport de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) « Taking action against violence and discrimination affecting migrant women and girls » de 2009

(EN)http://www.iom.int/jahia/webdav/site/myjahiasite/shared/shared/mainsite/published_docs/brochures_and_info_sheets/violence_against_migrant_women_factsheet.pdf

 

–            Rapport de l’OIM « Gender, Migration and Remittances » de 2010

(EN) http://www.iom.int/jahia/webdav/site/myjahiasite/shared/shared/mainsite/published_docs/brochures_and_info_sheets/Gender-migration-remittances-infosheet.pdf

 

 

–            Résolution 66/172 « Protection des Migrants » de l’Assemblée Générale des Nations Unies du 29 mars 2012

(FR) http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N11/469/15/PDF/N1146915.pdf?OpenElement

 

–            Dossier du Conseil de l’Europe « Protecting Migrants under the European Convention on Human Rights and the European Social Charter ».

(EN http://www.coe.int/t/democracy/migration/Source/migration/ProtectingMigrantsECHR_ESCWeb.pdf

 

 

–          Article d’EU Logos sur la politique migratoire américaine du 12 mai 2013

(FR) http://europe-liberte-securite-justice.org/2013/05/12/la-nouvelle-politique-migratoire-americaine-exemple-a-suivre-et-si-limmigration-dans-lue-sarretait-aujourdhui-leurope-face-a-son-inexorable-d/#more-6929

–          Article du Monde « Le nouveau visage féminin de la migration » du 9 mai 2013.

(FR) http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2013/05/08/le-nouveau-visage-feminin-de-la-migration_3173506_3222.html

 

–                  Article du Guardian « Europe of the future: Germany shrinks, France grows, but UK population booms » du 27 août 2008 (EN) http://www.guardian.co.uk/world/2008/aug/27/population.eu

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Laisser un commentaire