Le printemps arabe ou la mise à l’épreuve de la politique extérieure européenne

Le printemps arabe a dépassé les frontières des pays qui en furent le théâtre. Si ce fut un bouleversement pour ces pays, les pays occidentaux, au premier rang desquels les européens, n’y sont pas rester indifférents, bien au contraire. Les conséquences s’en font sentir encore aujourd’hui au niveau européen tant ces évènements ont remis en cause la façon dont l’Union Européenne envisage son action extérieure.

 La question de l’action extérieure de l’Union a toujours été épineuse. Longtemps envisagée comme exclusivement commerciale, elle a lentement évolué pour désormais couvrir un spectre de plus en plus large. Le Traité de Lisbonne vient consacrer ce nouveau rôle de l’Union sur la scène internationale, notamment en créant une sorte de « service diplomatique » européen : le Service Européen d’Action Extérieure (SEAE). Mais son existence n’est pas sans soulever des problèmes voir des tensions avec les anciens acteurs de l’action extérieure qui conserve certaines compétences. C’est notamment le cas vis-à-vis de la Commission Européenne où certaines Directions Générales (DG) conservent encore certaines prérogatives en terme de politique extérieure européenne. Plus encore, cette configuration pose la question de la cohérence de l’action extérieure européenne.

 Les exemples sont nombreux de ce problème de cohérence : politique de développement, politique de promotion des droits de l’homme, politique de défense, etc…

Un des exemples le plus flagrant est celui de la politique migratoire européenne. Celle-ci touche bien évidemment à l’action extérieure de l’Union par certains aspects. Elle va souvent déterminer la qualité des relations diplomatiques entre l’Union et un pays tiers. Or, son application continue de relever exclusivement de la DG Affaires Intérieures de l’Union Européenne. Ceci pose de graves problèmes de cohérence puisque le SEAE peut se retrouver bloquer dans ses négociations avec des pays tiers du fait de la politique migratoire restrictive appliquée par cette DG.

 C’est précisément ce problème que le printemps arabe a permis de mettre en lumière. Un article du Centre for European Policy Studies du 26 février 2013 démontre parfaitement cela. Le printemps arabe fut un véritable challenge pour la politique extérieure et la politique migratoire de l’UE encore trop fragmentée. En effet, selon cet article, la DG Affaires intérieures, qui gère la politique migratoire a pu, de par son action, bloquer les nouvelles relations que tentaient d’établir le SEAE avec ces pays au travers de ses « partenariats à bénéfice mutuel ». L’agence Frontex aussi a parfois freiné ce processus engagé avec les pays du printemps arabe.

 Plusieurs explications de ce rôle particulier de la DG sont données : faiblesse institutionnelle du SEAE, importance du volet extérieur de la politique migratoire pour la légitimité de la DG ou encore actions incohérentes des Etats membres. Or, le problème est que la DG a tendance à penser la politique migratoire sur le court terme et en termes d’insécurité ou de conditionnalité. Une logique qui fut particulièrement prégnante lors du printemps arabe : face à la peur des Etats européens de l’afflux d’immigrés en provenance des pays du printemps, de nombreuses voix s’étaient élevées pour limiter ce phénomène, aux premiers rangs desquels la France qui en appelait même à la révision des accords de Schengen.

 Parallèlement, le SEAE tente d’avoir une approche plus globale des enjeux internationaux et donc des questions migratoires à travers sa « Global Approach to Migration and Mobility » (GAMM) et la conclusion de partenariats. Il est clair ici que cette dissonance institutionnelle a grandement limité la capacité européenne de nouer de solides relations avec ces pays proches et qui, aussi bien économiquement que démographiquement, seront d’une importance capitale pour l’Europe de demain.

 Ce constat n’est pas seulement le fait d’acteurs externes aux institutions. Dick Toornstra, directeur du Bureau de la démocratie parlementaire du Parlement Européen, a aussi pointé du doigt ce souci de cohérence institutionnelle qui s’est particulièrement manifesté avec le printemps arabe. Il en appelle à un plus large regroupement des politiques européennes afin d’avoir une politique extérieure globale et cohérente. La fragmentation institutionnelle n’est clairement pas l’amie d’une Europe forte sur la scène internationale.

 Face à ce tableau en demi-teinte, le Parlement Européen a fait beaucoup pour prendre en compte les enjeux posés par le printemps arabe. En effet, dès novembre 2011, le Parlement Européen a affirmé son soutien aux révolutions arabes et aux victimes des persécutions perpétrées par les anciens régimes autoritaires. Il a même en janvier 2012 décerné le prix Sakharov à cinq activistes du printemps arabe.

 Ce soutien très actif aux révolutions arabes s’est particulièrement concrétisé en 2012 avec une « résolution sur le commerce pour le changement ». Face aux propositions de la Commission, les députés européens s’étaient montré très vigilants quand à une approche ambitieuse et ouverte des rapports avec les démocraties naissantes du sud de la Méditerranée. Ils avaient notamment insisté sur la nécessité du développement de partenariats commerciaux, le soutien au développement rural, le soutien aux entreprises locales, etc… Ils avaient également appuyé le rôle indispensable que les institutions européennes et notamment la BEI devraient jouer dans ce soutien. Le discours du président tunisien Moncef Marzouki au Parlement Européen le 6 février 2013 a insisté sur la nécessité d’une telle approche.

 Grâce à l’Assemblée Parlementaire Euro Med , le Parlement Européen continue à soutenir l’engagement européen en faveur des pays du printemps arabe. Lors de la dernière assemblée du 11 et 12 avril 2013, le Parlement a insisté une nouvelle fois sur le développement des relations économiques entre les deux rives de la Méditerranée, notamment dans le domaine des énergies renouvelables et des petites entreprises. Et les parlementaires ont raison tant les ressources énergétiques dont dispose cette région, notamment le soleil, s’avèreront essentielles pour l’Union à l’avenir.

Il faut également souligné que la Commission Européenne a pris en compte d’une certaine manière les nouveaux enjeux qui posaient les démocraties naissantes. En effet, dans sa réforme de la Politique Européenne de Voisinage, la Commission a souhaité développer une approche « more for more » (ou « plus pour plus ») dans les accords de voisinage. Il s’agit d’offrir aux pays voisins de l’Union, engageant des réformes politiques en vue de renforcer la démocratie et les droits de l’homme, des aides et des avantages supplémentaires par rapport à ce qu’elle offre classiquement dans ses accords de voisinage. Il s’agit notamment d’accords de mobilités plus étendus, d’accès au marché européen plus large ou encore d’aide financière plus importante. C’est notamment cette approche qui a guidé la réforme en 2011 de l’accord d’association entre l’UE et la Tunisie signé en 1995 suite au printemps arabe. L’Europe avait par exemple revu à la hausse l’aide financière en faveur de la Tunisie dans le but de soutenir ses réformes politiques, dans la droite lignée de l’approche « more for more ». Mais tout ceci s’avère insuffisant pour assurer une voix européenne unique.

L’action extérieure européenne s’avère donc très fragmentée, surtout du point de vue de l’exécutif. Fort heureusement, l’action du Parlement compense en partie cette dissonance institutionnelle mais cela ne suffit pas pour avoir une approche globale et cohérente des nouveaux enjeux qui se posent à la politique extérieure de l’UE. Le cas de la Syrie est assez emblématique sur ce point. Alors que l’Union a rapidement soutenu les rebelles syriens, elle a plus de difficultés à réagir à l’afflux des réfugiés syriens dans les pays voisins et dans l’UE. En effet, le flux de réfugiés arrivant en Grèce pose de graves problèmes sociaux et humains dans un pays déjà durement touché par la crise. L’UE, et notamment le Parlement Européen, a bien pris conscience du problème mais n’en est pour l’instant qu’aux incantations sans véritablement agir. Certes, beaucoup d’argent a été débloqué mais cela ne suffit pas pour faire face à la situation humanitaire déplorable dans laquelle les réfugiés se trouvent.

Quelles conséquences cela aura-t-il si la situation syrienne se stabilise ? Quelles relations engager avec une Union dont on ne comprend pas très bien quelle est sa position ? Il est évident que le manque de cohérence pénalisera demain les relations extérieures de l’Union Européenne qu’elle tente de construire aujourd’hui.

 

 

Jérôme Gerbaud – Institut d’Etudes Politiques de Grenoble

  

En savoir plus :

 

–            Communiqué conjoint du Parlement, du Conseil, du Comité Economique et Social et du Comité des Régions sur la nouvelle approche dans la Politique Européenne de Voisinage, le 25 mai 2011

(FR) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2011:0303:FIN:fr:PDF

 –          Article de la Fondation Robert Schuman « Le Service Européen pour l’Action Extérieure : vers une diplomatie commune ? » du 25 octobre 2010

(FR) http://www.robert-schuman.eu/doc/questions_europe/qe-184-fr.pdf

–          Article du Center for European Policy Studies « EU Migration policy after the Arab Spring : the pitfalls of home affairs diplomacy » du 26 février 2013

(EN) http://www.ceps.eu/book/eu-migration-policy-after-arab-spring-pitfalls-home-affairs-diplomacy

 –            Interview de Dick Toornstra sur Euractiv du 7 mai 2013

(EN) http://www.euractiv.com/fr/europe-dans-le-monde/dick-toornstra-le-printemps-arab-interview-519550

–          Article d’EU-Logos « Printemps arabe et migration » du 6 septembre 2012

(FR) http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idnl=2556

 –            Activités du Parlement Européen en soutien aux pays du printemps arabe

o            Résolution du 10 mai 2012 sur le commerce pour le changement

(FR) http://www.europarl.europa.eu/oeil/popups/summary.do?id=1206292&l=fr&t=E

             Réunion de l’Assemblée Parlementaire de l’Union pour la Méditerranée du 11 et 12 avril 2013

(FR ) http://www.europarl.europa.eu/news/fr/pressroom/content/20130408IPR07109/html/L%27Assembl%C3%A9e-parlementaire-de-l%27Union-pour-la-M%C3%A9diterran%C3%A9e-se-r%C3%A9unit-%C3%A0-Bruxelles#menunavigation

 –            L’accord d’association UE/Tunisie

(FR) http://ec.europa.eu/europeaid/where/neighbourhood/country-cooperation/tunisia/tunisia_fr.htm

 –          Le plan d’action pour l’accord d’association UE/Tunisie

(EN) http://ec.europa.eu/world/enp/pdf/action_plans/tunisia_enp_ap_final_en.pdf

 –          Article du Point sur l’afflux de réfugiés syriens en Grèce du 25 avril 2013

(FR) http://www.lepoint.fr/monde/refugies-syriens-en-grece-apres-la-guerre-civile-la-crise-economique-25-04-2013-1659738_24.php

 –          Article de France 24 sur l’action européenne en faveur des réfugiés syriens du 13 mai 2013

(FR) http://www.france24.com/fr/20130513-syrie-refugies-deplaces-situation-humanitaire-ong-point-rupture-camps-conditions-sanitaires-atme-alep

 –            Interview d’Elmar Brok, président de la Commission Affaires extérieures du Parlement Européen, sur le cas syrien le 8 mai 2013

(FR ) http://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/content/20130508STO08094/html/Elmar-Brok-sur-la-Syrie-Nous-avons-de-nombreuses-raisons-d%27%C3%AAtre-inquiets

       -. Politique européenne de voisinage : vers un renforcement du partenariat mars 2013 (FR)  http://ec.europa.eu/world/enp/docs/2013_enp_pack/2013_comm_conjoint_fr.pdf

(EN) http://ec.europa.eu/world/enp/docs/2013_enp_pack/2013_comm_conjoint_en.pdf

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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