Migrations et développement : une nouvelle approche « gagnant-gagnant » verra-t-elle le jour ?

Des dialogues internationaux aux réformes migratoires, les migrations sont de plus en plus envisagées comme facteur de développement. La réforme de la politique migratoire américaine paraît prendre ce parti ou tout du moins a-t-elle compris l’impact positif que peuvent avoir les migrations internationales dans les pays d’accueil et d’origine. Si l’Union Européenne a encore des difficultés à prendre en compte cela dans ses politiques, une récente communication de la Commission semble montrer qu’un changement de politique est possible.

 Le 21 mai 2013, la Commission Européenne a publié une communication très importante intitulée « Maximisation de l’impact positif des migrations sur le développement » qui marque une nouvelle approche de la migration et du développement . Celle-ci a pour but premier de proposer une position commune de l’UE et de ses Etats membres lors du prochain dialogue de haut niveau sur les migrations internationales et le développement, organisé par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 3 et 4 octobre 2013. Force est de constater que l’approche envisagée est plutôt ambitieuse. La communication définit des positions communes pour chacune des 4 tables rondes qui auront lieu lors de ce dialogue de haut niveau.

 Parmi les propositions qui y seront défendues, nous trouvons la reconnaissance de la migration comme facteur de développement. Ceci est un pas décisif pour une nouvelle approche de la migration et du développement.

Pour accompagner cette nouvelle approche, la Commission propose de défendre l’assurance de la protection des migrants y compris des migrants illégaux à qui l’on doit offrir un statut pour leur éviter la traite ou le trafic d’êtres humains, l’intégration de la migration dans les politiques de développement y compris dans les accords bilatéraux liés, le renforcement de la gouvernance des migrations à l’échelle internationale, la garantie de l’accès des migrants à la santé et à la sécurité sociale dans les pays d’accueil ainsi que la portabilité des droits acquis dans leurs Etats d’origine, etc…

 Cette communication a aussi pour objectif de proposer un changement des politiques européennes en lien avec cette nouvelle approche. Elle met en avant les réalisations effectuées pour prendre en compte ces aspects dans les politiques migratoires et de développement. L’UE a ainsi développé des outils d’information des migrants, voté des textes visant à lutter contre la traite et le trafic des êtres humains, établit des dialogues régionaux et bilatéraux sur la migration et la mobilité, le développement de l’information sur les phénomènes migratoires, etc…

Mais la Commission souhaite aller plus loin  et donner aux politiques européennes migratoires et de développement une approche plus globale c’est-à-dire qui prenne en compte d’une façon très large les impacts positifs et négatifs de la migration dans les pays d’accueil et d’origine. L’idée est d’intégrer la dimension développement dans la politique migratoire et la dimension migration dans la politique de développement. La communication propose surtout d’avoir une approche plus cohérente entre ces deux politiques mais aussi de renforcer la gouvernance en matière de migrations et la coopération avec les pays tiers.

 Au-delà des propositions faites, ce sont les constats posés qui sont d’un intérêt particulier. En effet, la Commission tente de montrer les aspects positifs que la migration peut avoir sur les pays d’accueil notamment l’apport de compétences, l’accroissement de la demande en biens et services ou encore la contribution aux impôts et aux systèmes de sécurité sociale ; mais aussi dans les pays d’origine comme la contribution à la réduction de la pauvreté grâce au transfert d’argent ou les investissements des migrants dans leurs pays d’origine.

 Elle admet dans le même temps que des aspects négatifs peuvent en découler aussi bien dans les pays d’accueil (tensions sociales, problèmes de sécurité dans les Etats fragiles) que dans les pays de départ (perte de personnels qualifiés, déclassement des non migrants, etc…), que seule une politique de développement prenant en compte ces aspects migratoires peut régler.

 Cette nouvelle approche de la part de la Commission ne l’est pas tant à l’échelle mondiale. Ceci avait déjà été abordé lors du dialogue de haut niveau sur les migrations qui s’était tenu en 2006. Lors de la 65ème session de l’Assemblée Générale des Nations Unies du 19 mai 2011, le président avait rappelé ce lien entre développement et migrations internationales en vue du dialogue de haut niveau sur les migrations de 2013. Il avait souligné les efforts effectués par les Etats depuis le dialogue de haut niveau de 2006 notamment du point de vue des coopérations entre Etats d’accueil et Etats d’origine. Il avait également appelé les Etats à poursuivre leurs actions à l’aune des crises économiques et sociales que traversent bon nombre d’Etats à travers le monde et à ne pas adopter de « politiques protectionnistes ».

 Le communiqué de la Commission s’est aussi  inspiré des travaux de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) qui a effectué d’importantes analyses sur le lien entre migrations et développement. En vue du dialogue international sur la migration qui aura lieu le 18 et le 19 juin 2013, l’OIM, dans un document d’information, a mis l’accent sur le rôle des « diasporas » dans le développement afin de marquer encore plus le lien qui existe entre migrations et développement économique.

 Dans ce document, force est de constater que le constat posé par le communiqué de la Commission s’avère similaire. Il appuie l’impact positif des diasporas dans leurs pays d’accueil et d’origine en termes de capital humain, social, économique et culturel. Egalement, il met en perspective l’atout que peut représenter les diasporas pour nouer des relations entre les pays d’accueil et d’origine à travers les échanges économiques et culturels qui bénéficient aux deux.

Les propositions sont tout autant comparables Le document appuie sur le fait que l’accès aux prestations sociales et de santé aux migrants ainsi qu’à l’informations sur leurs droits est indispensable si l’on veut bénéficier à plein des bénéfices qu’ils peuvent apporter dans le développement économique des pays d’origine et de destination.

 Ce communiqué, s’il n’apporte pas de véritables nouvelles idées, s’avère tout de même fondamental puisqu’il indique une certaine prise en compte d’une nouvelle approche des migrations et du développement au niveau européen.

Il est d’autant plus indispensable  que les ministres des Etats membres se réunissaient le 28 mai 2013 pour discuter du Fonds Européen pour le Développement. Il n’apparaît pas pour l’instant d’inflexion dans la politique menée mais on peut tout de même espérer que les lignes bougent. Les Etats ont reconduit le Fonds pour cette année et ont maintenu sa capacité de financement ce qui est un effort important en temps de crise. Les priorités demeurent les mêmes en accord avec les « Millenium Development Goals » mais restent assez proches des préoccupations de la Commission exprimées dans sa communication, notamment concernant les droits fondamentaux et la lutte contre l’exclusion.

Certains Etats membres aussi montrent une volonté de changement. En France par exemple, un récent rapport déposé par un député français auprès du Premier Ministre préconise diverses mesures visant à sécuriser le parcours des migrants. On trouve parmi ces mesures proposées la mise en place de titres de séjours « pluriannuels » ou l’amélioration des conditions d’accueil des migrants et demandeurs d’asile en Préfecture. Il est clair ici que les travaux effectués au niveau international et européen sur les migrations ont pu influencer la position française. En effet, la volonté de mieux intégrer les migrants en leur donnant plus de droits relève de la même logique que celle exprimée dans les dialogues internationaux.

 Du côté du Parlement Européen, si certains sont favorables à cette approche, d’autres le sont beaucoup moins. L’ADLE, dans un communiqué de presse, a rappelé l’importance d’une approche positive des questions migratoires. Même s’ils n’abordent pas la question des rapports migrations/développement mais plus l’aspect « économique » au sens du bon

 emploi de l’immigration, les députés de l’ADLE ont récemment réaffirmé leur attachement à une approche des questions migratoires en termes de gains pour l’économie européenne plutôt qu’en termes de coûts et de problèmes de sécurité. Ce constat n’est bien entendu pas partagé par tous les députés européens, certains s’inquiétant du coût que cela engendrerait pour les budgets nationaux.

 De façon plus précise, Mme Flautre (Verts) s’est inquiétée précisément du lien qui était établit entre migrations et développement. Elle a toujours défendu une approche ambitieuse de la politique migratoire. Mais, lors de la réunion de la Commission LIBE du Parlement Européen du 30 mai 2013, elle a remis en question l’opportunité de lier migrations et développement. Non seulement, le développement ne permettrait pas de réduire les migrations mais surtout, elle y voit un moyen d’instrumentaliser la politique de développement pour empêcher les flux migratoires.

 La question du lien entre migrations et développement n’a donc pas fini de susciter le débat au sein de l’Union, alors que la politique migratoire est sans cesse soumise à des interrogations.

Quoiqu’il en soit, face à la montée en puissance des pays émergents et donc de la concurrence qu’ils représentent pour les européens, aussi bien d’un point de vue économique que d’un point de vue diplomatique, il est sûr que les politiques de développement et les politiques migratoires européennes ne pourront rester en l’état.

 

Jérôme Gerbaud

  

En savoir plus :

–        Article d’EU Logos sur la réforme de la politique migratoire américaine

(FR) http://europe-liberte-securite-justice.org/2013/05/12/la-nouvelle-politique-migratoire-americaine-exemple-a-suivre-et-si-limmigration-dans-lue-sarretait-aujourdhui-leurope-face-a-son-inexorable-d/

–        Communication de la Commission du 21 mai 2012 « Maximising the Development impact of Migration »

(EN) http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/e-library/documents/policies/immigration/general/docs/maximising_the_development_impact_of_migration.pdf

–        Discours du Président de la 65ème session de l’Assemblée Générale des Nations Unies le 19 mai 2011

(FR)http://www.un.org/fr/ga/president/65/statements/migration_initiative190511.shtml#mainnav

–        Document d’information de l’OIM « Les diasporas et le développement : trait d’union entre la société et l’Etat »

(FR) http://www.iom.int/files/live/sites/iom/files/What-We-Do/idm/workshops/IDM-2013-Diaspora-Ministerial-Conference/Background-Paper-2013-Diaspora-Ministerial-Conference-FR.pdf

–        Article de « Vie publique » du 16 mai 2013 : « Immigration, modifier le droit des étrangers pour une meilleur intégration »

(FR) http://www.vie-publique.fr/actualite/alaune/immigration-modifier-droit-etrangers-pour-meilleure-integration-20130516.html

–        Article d’Euractiv du 27 mai 2013 : « EU ministers set the tone for development action »

(EN) http://www.euractiv.com/development-policy/eu-ministers-set-tone-years-deve-news-528055?utm_source=EurActiv%20Newsletter&utm_campaign=b279a59ee6-newsletter_daily_update&utm_medium=email&utm_term=0_bab5f0ea4e-b279a59ee6-245376069

–        Communiqué de presse de l’ADLE « La migration européenne : pas une question de sécurité, mais un instrument de croissance ».

(EN/FR)http://mailer.alde.eu/display.php?M=50371&C=029673e5435e92a3c7597f5f1c1cee36&S=2248&L=6&N=1584

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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