Hongrie : le ton monte à la Commission LIBE du Parlement européen sur les droits fondamentaux.

Un échange assez violent a eu lieu , le 6juin,  lors d’une session parlementaire de la commission LIBE concernant la situation des droits de l’Homme et la modification constitutionnelle en Hongrie. Le Rapporteur Ruy Tavarez présentait son rapport et procédait à un examen des 551 amendements des députés.

 Le processus de modification de la constitution hongroise va bon train depuis l’élection de Viktor Orban en 2010, tandis que les discussions sur le sujet s’enveniment entre parlementaires de la commission LIBE du Parlement Européen. Lors d’une session de débat sur le rapport Tavarez, certains membres du PPE, les représentants du Fidesz en tête, ont ouvertement accusé le rapport Tavarez d’être « trop politisé », « subjectif » voire de ne pas prendre en compte la réalité de la Hongrie et de stigmatiser ce pays (Kinga Gál- PPE- HU). Face à eux, les autres familles politiques se sont unies derrière ce rapport et continuent de juger la situation de la Hongrie très préoccupante, tout en s’engageant à ne pas faire de l’étude de la situation de la Hongrie un « cas particulier ».

 Le rapporteur, Rui Tavares, a rappelé que son dossier, qui inclue des réflexions du gouvernement et de la société civile hongrois, illustre une situation qui empire de vote parlementaire en vote parlementaire depuis plus d’un an. Il a cité à titre d’exemple la dernière « loi de sécurité nationale » adoptée par le Parlement hongrois qui devrait rendre légal 30 jours de surveillance des faits, gestes, conversations téléphoniques et e-mail de plusieurs postes de fonctionnaires, de magistrats, de diplomates et de directeurs d’agence public, ajoutant également que les prétendants à ces postes pourront eux aussi être surveillés pendant un mois. Le rapporteur a condamné fermement le travail d’amendements de la famille politique du PPE, qui a proposé de supprimer certains amendements de son texte. Le cas de la suppression du considérant P selon Rui Tavares est particulièrement révélateur d’un travail de sabotage organisé : cet article n’est ni plus ni moins que le rappel des principes de démocratie, de séparation des pouvoirs et de représentativité des élections. « Pourquoi supprimer ce considérant ? On touche à l’essentiel du problème ! Nous sommes très sévères sur ces sujets avec les pays tiers, pourquoi le supprimer dans le cas des états-membres de l’Union ? » A-t-il déploré.

 La réponse du PPE a été on ne peut plus clair : le groupe politique chrétien-démocrate pense que le rappel de ce considérant ne fait que confirmer que ce rapport prend le parti de menacer nommément la seule Hongrie, alors que d’autres états-membres enfreignent certainement autant de principes que le gouvernement de Viktor Orban. « Le rappel de ces principes suggère quelque chose que je ne veux pas suggérer : que la Hongrie n’est pas une démocratie, et que l’on veut la punir spécifiquement alors qu’elle n’a pas quitté les rails de la famille des démocraties » a expliqué Frank Engel (PPE-LU) « Inutile de rappeler les évidences au point d’en être insultant ». De manière générale, le rapporteur fictif du PPE a accusé le rapport de choisir une interprétation européenne des faits au détriment de la version du gouvernement hongrois, qui mériterait, elle aussi , sa voix au chapitre. « J’en appelle à une reformulation du dossier » a-t-il conclu. Au lieu de ne calomnier que la Hongrie, le PPE entend faire du document une base permettant d’expliciter une norme européenne dans les pratiques constitutionnel et dans le respect des droits fondamentaux, en soulignant que ces normes européennes devraient également permettre d’épingler d’autres états-membres ou la situation n’est guère meilleure… même dans un des pays fondateur du projet européen, selon Véronique Mathieu, eurodéputée française, qui a souligné que des comportements en France peu démocratiques, comme le redécoupage de certaines circonscriptions électorales à l’approche d’élections régionales ou législatives, par le PS et par l’UMP, ont lieu sans que la LIBE s’en émeuve, prouvant qu’il y a un acharnement particulier sur le cas hongrois. Cet argument traverse toutes les familles politiques du parlement, comme le rappelle Josef Weidenholzer (S&D- OS). Le socialiste autrichien a rappelé l’acharnement européen sur son propre pays dans les années 2000, et les conséquences dans la « psychologie » de son pays à ce moment, appelant à ne pas voir ce cas se réactualiser dans le cas d’un autre pays.

Les critiques les plus virulentes sont cependant venues des membres du PPE hongrois, Kinga Gál (PPE-HU) en tête. Elle a d’abord jugée le rapport comme profondément scandaleux à tous les égards possibles : subjectif, politisé, les amendements proposés par Ruy Tavares reposeraient sur de mauvaises interprétations dues à une totale méconnaissance des faits. En outre, il dépasserait à de nombreux moments les compétences du Parlement Européen en traitant de points qui sont de la compétence d’un parlement national, encouragé par une Commission très permissive sur le sujet qui se permet elle aussi de juger en dehors de ses compétences. Finalement, l’eurodéputée hongroise a été jusqu’à remettre en cause l’intégrité de ses collègues, les accusant de permissivité en traitant des problèmes de droits fondamentaux en Hongrie (problème inexistant pour elle). « J’ai passé des amendements pour souligner les manquements dans d’autres états-membres, qui tout d’un coup sont insupportables en Hongrie. J’aurai aimé voir votre réaction si ce rapport avait traité de vos pays d’origine, ou si la Hongrie avait été sous un gouvernement socialiste, comme dans les années 90 ou le gouvernement socialiste a démarré les réformes poussées aujourd’hui ». « Complot socialiste » ou « complot occidental », la mise en scène de la paranoïa est la défense principale du gouvernement hongrois depuis l’appropriation du problème par la Commission LIBE. Un argument qui lasse chez les Libéraux et les Socialistes de la commission.

« Si on regarde chaque situation des droits fondamentaux dans chaque démocraties européennes, nous verrions que nous avons en effet du travail à faire partout. Nous devrions faire un tableau des démocraties européennes et veiller aux respects de leurs principes. Mais la situation en Hongrie n’est pas faite que d’un problème, c’est un amas de décisions problématiques et un manque flagrant de dialogue », a réagi Birgit Sippel (S&D-DE). La députée socialiste en a profité pour renvoyer l’argument de complot comme trop simpliste. « Le gouvernement hongrois ne répond jamais au pourquoi du changement institutionnel, sa réaction est toujours de se cacher derrière une réaction de victime, posant la question du pourquoi l’Europe « s’acharne » sur nous […] Le traité de Lisbonne nous oblige à ces critiques, et nous n’arrêterons pas ». Comme l’a rappelé Tavares ensuite, le Traité de Lisbonne oblige en effet le Parlement Européen à pointer du doigt des manquements aux droits fondamentaux, sans être capable de donner des avis rétroactifs, d’où le traitement des manquements hongrois pour le moment sans pouvoir traiter des manquements passés d’autres états-membres. « Il n’y a pas de complot socialiste » a aussi ajouté Birgit Sippel « On ne peut pas dire que le Conseil Européen est fondamentalement de gauche, pourtant il est très critique sur la situation Hongroise. La Hongrie doit être un exemple motivant pour les autres états-membres dans le respect des droits fondamentaux ».

 Il est vrai que l’argument du complot socialiste tient peu quand les critiques les plus âpres à l’égard de la Hongrie sont exprimées par des députés de l’Alliance des Libéraux et Démocrates Européens. Sophia In’t Veld (ALDE-NL) a rappelé durant la séance qu’il était inadmissible de remettre en question l’intégrité des parlementaires européens, et qu’il faut que la Hongrie cesse de jouer la victime sous prétexte que le Parlement analyse pour le moment son seul cas. Au contraire, il serait judicieux selon elle de prendre de la hauteur en effaçant les égoïsmes nationaux et de réagir en tant qu’européens, pour « défendre les intérêts des citoyens, et non ceux des états-membres ». Ne négligeant pas les manquements d’autres états-membres en matière de libertés individuelles, Sophia In’t Veld a rappelé qu’elle avait proposé en 2008 une inspection générale de la situation de la liberté de la presse dans tous les états-membres afin d’éviter la stigmatisation pays spécifiquement visé, et que cette demande avait été refusé par les parlementaires du PPE, dont les parlementaires hongrois. Cécilia Wikström (ALDE- SE) a été la parlementaire allant le plus loin dans ces critiques du gouvernement hongrois en demandant l’utilisation de l’article 7.1 du TFUE pour lutter contre les manquements au droit fondamentaux avec pour justification que le quatrième amendement constitutionnel modifié en Hongrie empêche le changement de majorité et donc une bonne représentation citoyenne. L’article 7.1 permet au Parlement de demandé une procédure d’enquête contre un gouvernement qui représenterait un danger pour la démocratie et les droits de l’Homme.

             La Gauche Unitaire Européen, représenté par Cornelia Ersnt (DE), a pour sa part insisté sur les faits pour lesquels la Hongrie doit rendre des comptes. Son amendement 76 souligne le manque de rôle de l’opposition dans la modification de la Constitution, autrement dit sur la subjectivité politique des réformes entreprises par Viktor Orban. Elle a également affirmé que pour les députés de gauche radicale, la Hongrie n’est que le premier pays sur lequel il faut se pencher, avant que tous les états-membres fassent l’objet d’un examen minutieux. Considérant l’avis de Tavares comme l’un des meilleurs et des plus importants avis de cette législature du Parlement, Cornelia Ersnt a rappelé que le droit de l’Union Européenne protège également les résidents non-citoyens dans l’UE, surtout contre les crimes religieux et racistes que le gouvernement hongrois tend à tolérer voire à utiliser selon l’eurodéputée de Die Linke.

             La séance s’est conclue sur la réalité ou  non de ces crimes et l’implication du gouvernement. Pour la parlementaire Livia Jaroka (PPE-BG), le Parlement fait une erreur en faisant un lien entre le gouvernement Orban et les crimes raciaux. L’eurodéputée a insisté sur la tolérance inhérente au Fidesz sur la question des Rom et des pratiquants juifs, en rappelant que la Hongrie est le seul pays d’Europe ou existent un partenariat juridique entre les élus hongrois et des représentant élus spécifiquement par la population romani. La dernière parole a été pour Kinga Göncz (S&D-HU) qui a remis fortement en cause les propos de Livia Jaroka en l’enjoignant à lire le rapport de la Commission de Venise et le travail des rapporteurs fictifs sur la question des Rom. La situation en Hongrie selon elle est d’une violence rare contre les Rom et les juifs, le gouvernement cautionnant des attitudes de haine contre ces minorités en récompensant par exemple des journalistes antisémites.

 

 Yoann Fontaine

 

 Pour en savoir plus :

 

-Enregistrement de la réunion.

(EN) http://www.europarl.europa.eu/ep-live/fr/committees/video?event=20130606-0900-COMMITTEE-LIBE

http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/libe/dv/wd_tavares_/wd_ tavares_en.pdf

 – Press release

(EN) Statement by European Commission President and Council of Europe Secretary General on Hungarian Parliament vote on 4th amendment to Constitution  http://hub.coe.int/en/web/coe-portal/press/newsroom?p_p_id=newsroom&_newsroom_articleId=1370339&_newsroom_groupId=10226&_newsroom_tabs=newsroom-topnews&pager.offset=0

 (FR) Déclaration du président de la Commission européenne et du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe sur l’adoption par le Parlement hongrois du 4e amendement à la loi fondamentale http://hub.coe.int/fr/web/coe-portal/press/newsroom?p_p_id=newsroom&_newsroom_articleId=1370339&_newsroom_groupId=10226&_newsroom_tabs=newsroom-topnews&pager.offset=0

 – (EN)Secretary General calls upon Hungarian government and parliament to postpone vote on constitutional amendments http://hub.coe.int/en/web/coe-portal/press/newsroom?p_p_id=newsroom&_newsroom_articleId=1365046&_newsroom_groupId=10226&_newsroom_tabs=newsroom-topnews&pager.offset=0

(FR) Le Secrétaire Général appelle le gouvernement et le Parlement hongrois à reporter le vote sur les amendements constitutionnels

 http://hub.coe.int/fr/web/coe-portal/press/newsroom?p_p_id=newsroom&_newsroom_articleId=1365046&_newsroom_groupId=10226&_newsroom_tabs=newsroom-topnews&pager.offset=0

 – Council of Europe – Venice Commission

(EN)  Opinion on Act CLI of 2011 on the Constitutional Court of Hungary adopted by the Venice Commission at its 91st Plenary Session (Venice, 15-16 June 2012)

http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2012)009-e

(FR) Avis sur la Loi CLI de 2011 relative à la Cour constitutionnelle de Hongrie adopté par la Commission de Venise lors de sa 91e session plénière (Venise, 15-16 juin 2012)

 http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2012)009-f

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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