Parquet européen : la Commission dévoile les premiers détails.

Bientôt, les débats autour du Parquet européen (EPPO, European Public Prosecutor’s Office) vont s’intensifier. La Commission avait en effet promis de déposer sa proposition de règlement en été, ce qui fait penser que les grandes lignes du règlement soient déjà assez largement établies. Avec la réforme d’Eurojust, qui devrait justement constituer la base de l’EPPO, ce dernier a fait l’objet de deux interventions des commissaires Viviane Reding et Cecilia Malmström devant la commission LIBE le 19 juin dernier. Si les deux commissaires n’ont pas apporté de véritables révélations, par contre, plus de nouvelles ont surgi lors de la conférence organisé par l’ECLAN (European Criminal Law Academic Network) le 2 juillet dernier à l’Université libre de Bruxelles

 Devant la commission Libe du Parlement européen , la Vice-présidente de la Commission commissaire a brossé un portrait de l’activité de l’UE en matière de justice, dont la mise en place d’un Procureur européen représente un chapitre parmi les plus novateurs. Se félicitant que le Conseil ait adopté ses conclusions sur la lutte contre les menaces des intérêts financiers de l’UE, elle a réitéré l’annonce de  l’imminence de la proposition, qui est toujours censée arriver cet été (En réalité le point est inscrit à l’ordre du jour de la Commission du 17 juillet). Tout en gardant pour elle les détails, Mme Reding a quand même commencé à dévoiler quelques traits du  futur parquet. La Commission, a-t-on appris, envisage une structure intégrée et décentralisée, qui puisse travailler en s’appuyant sur les procureurs nationaux existants. Ses pouvoirs essentiels couvriront aussi bien la phase de l’enquête que celle de la poursuite. Elle devra être indépendante à l’égard des autorités nationales et européennes, tout en étant responsable de son activité devant le Parlement et le Conseil. Les députés, de toute manière, ont très peu réagi à la question du Procureur, les interventions étant focalisées sur le programme de contrôle PRISM, à la une des journaux européens depuis quelques temps.

 D’ailleurs, lors de la réunion de la commission interparlementaire avec les parlements nationaux le 20 juin dernier, l’exposé de Mme Malmström a relancé le débat. Mme Marietta Karamanlis, vice présidente de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale française, a apporté le soutien de son parlement au règlement envisagé, tel que déclaré dans les rapports des deux chambres du parlement français. Au nom de son pays, Mme Karamanlis a exprimé sa prédilection pour une structure collégiale du Parquet européen, qui pourrait être présidée par le Procureur lui-même. Au sein du collège, chaque Etat Membre aurait droit à un membre désigné à l’échelon national, les délégués n’étant pas que de simples adjoints. La députée française a justifié ce choix par une logique de continuité institutionnelle, la structure d’Eurojust étant elle aussi de type collégiale. Pour ce qui est des procédures pénales, Mme Karamanlis prône l’option consistant à ce  que le Parquet européen renvoie au droit national de l’Etat Membre où le dossier est traité. Dès lors, l’activité du Procureur devrait se consacrer aux phases préliminaires de la recherche et de la poursuite des fraudeurs, tout en laissant aux juridictions nationales la direction du procès. En même temps, enchaîne-t-elle, il faudra contrer la pratique du « forum shopping » (1) par l’établissement de règles communes notamment à l’égard de l’admissibilité mutuelle des preuves.

 En opposition à la proposition d’une structure collégiale, M. Giovanni Kessler, directeur général de l’OLAF, plaide pour une approche intégrée – ou décentralisée – du Parquet européen. Le modèle souhaité se composerait d’un bureau central de petite dimension, qui aurait ses prolongements dans les parquets nationaux des Etats Membres. Ainsi conçu, cet agencement aurait l’avantage d’accroître l’indépendance de l’institution vis-à-vis des gouvernements nationaux. Il n’en demeure pas moins que la donne politique actuelle semble pencher plutôt vers la position française : en réponse à M. Kessler, Mme Karamanlis réplique par une posture réaliste, faute d’une volonté politique plus intégrationniste au niveau des Etats Membres. Sous l’angle des compétences, M. Kessler prévoit, du moins au début, des pouvoirs restreints à la lutte contre la fraude financière, alors que le Palais Bourbon (l’Assemblée nationale française) souhaite doter le Parquet européen de compétences plus étendues dès le départ, à savoir en incluant aussi la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontalière. D’un point de vue juridique, cette extension serait réalisable dans le cadre d’une coopération renforcée, une fois que l’institution du Parquet ait fait l’objet d’une procédure pareille.

La position d’Eurojust demeure plutôt prudente, encore que l’agence  a vocation à accueillir la nouvelle institution en son sein. Une représentante d’Eurojust, présente à la réunion à la place du vice-président Carlos Zeyen, n’a fait que confirmer le souhait de l’agence de travailler en contact étroit avec les autorités nationales. Bien plus ponctuelle était l’intervention de M. Holger Matt, président de l’European Criminal Bar Association, qui a mis en évidence quatorze points d’intérêt. Parmi les plus importants, M. Matt a souligné la nécessité d’avoir plus de volonté manifeste au plan politique pour la mise en œuvre du Parquet européen, ainsi que de prévoir un système de contrôle démocratique.

 La réplique parlementaire, bien que fort enthousiaste, a montré les préoccupations des députés quant à la transparence des activités menées par le Parquet européen. Les eurodéputés ont mis l’accent sur la nécessité d’encadrer les activités du Procureur par un mécanisme de contrôle et de suivi parlementaire, en freinant ainsi les projets du modèle de l’OLAF, comme l’a fait remarquer  Jan Philipp Albrecht (Verts). M. Nico D’Ascola (Sénat italien, PPE) soulève des doutes d’ordre juridique : est-ce que le Procureur va-t-il travailler de façon exclusive ou bien en coordination avec les parquets nationaux? D’autres questions ont été posées par plusieurs eurodéputés afin de mieux saisir la morphologie de la nouvelle agence. 

Des premières réponses sont arrivées lors de la conférence organisée par l’ECLAN le 2 juillet dernier à l’Institut d’Etudes Européennes de Bruxelles. Peter Jozsef Csonka, conseiller politique auprès de la DG Justice et chargé du dossier, a esquissé les traits de l’institution. La proposition de règlement tourne autour de trois points principaux : indépendance, efficacité et décentralisation.

       -. Premièrement, l’indépendance : il s’agit d’un élément qui n’est pas toujours évident, le Procureur étant soumis au pouvoir exécutif dans nombre d’Etats Membres. Cependant, la Commission croit qu’une telle caractéristique est nécessaire pour le niveau européen et, afin de garantir cette indépendance, elle a envisagé des aménagements spécifiques : le Procureur sera élu par le Parlement et le Conseil, qui pourront aussi le destituer en cas de violation grave de ses prérogatives ; en outre, la réélection ne sera pas permise. De plus, le personnel du Parquet sera rémunéré directement par l’Union, ce qui est un élément non négligeable.

      -. Deuxièmement, l’efficacité : l’EPPO fonctionnera comme une structure hiérarchisée, le Procureur en étant le sommet et les délégués nationaux, au moins un par Etat Membre, en constituant la base. Cette double nomination n’est pas convaincante pour tous, mais la Commission estime que ce serait  la voie la plus faisable, eu égard à la donne politique actuelle.

       -. Troisièmement, la décentralisation : le bureau central travaillera en collaboration avec les parquets nationaux, le procès proprement dit demeurant toujours au niveau national.

Pour ce qui est des compétences, le Procureur – toujours selon la position de la Commission – jouira d’une compétence exclusive en matière de PIF (protection des intérêts financiers) ; les Etats Membres seront d’ailleurs obligés à rapporter tout délit en la matière. Lorsque les mêmes faits relèveront d’autres typologies de crimes, le Procureur ne sera compétent que si l’aspect PIF est prédominant, après autorisation des Etats Membres en question. Les activités du Parquet seront d’ailleurs soumises à un catalogue de droits procéduraux, dérivés en partie de la roadmap suédoise et en partie de nouvelles normes européennes (droit à l’assistance légale, droit de présenter des preuves ou de demander à ce que les preuves soient collectées en son nom…).

Une disposition spéciale sera intégrée quant au contrôle de légalité des actes émis par le Procureur : ces derniers ne pourront en effet être contestés que devant les juridictions locales, la Cour de Justice demeurant compétente pour les recours préjudiciels. Tout acte d’investigation du EPPO sera dès lors considéré en tant qu’acte national. Le Parquet européen aura cependant le statut d’agence de l’Union, ce qui pose pas mal de problèmes à l’égard de la « justiciabilité » de ses actes : selon les dispositions contenues dans les Traités, en effet, les actes dérivant des agences européennes sont soumis à la seule compétence de la CJUE. Afin de surmonter cet obstacle juridique, déclare M. Csonka, la proposition de la Commission arrangera tout simplement une exception à cet égard.

 M. Lothar Kuhl, chef d’unité auprès d’OLAF, s’est surtout penché sur le rôle de son agence dans l’avenir, en soulignant qu’elle ne serait pas un précurseur du Parquet. L’OLAF et l’EPPO joueront, dit-il, deux rôles différents – respectivement dans les régimes administratif et criminel de l’investigation. En d’autres termes, l’OLAF continuera à s’occuper de la collecte des matériaux pour que le Procureur puisse déclencher l’investigation proprement dite. Bref, elle exercera un rôle de filtre devant le Parquet européen.

 Quid des humeurs des Etats Membres ? M. Daniel Flore, Conseiller Général au SPF Justice (Belgique), a donné un aperçu de la réalité politique d’aujourd’hui. Sans surprise, le Conseil se montre toujours fort prudent. D’ailleurs, le rappelle M. Flore, les Traités eux-mêmes n’envisagent que la possibilité d’établir un tel Parquet et non pas une nécessité ; les termes de l’art. 86 TFUE, notamment, sont révélateurs des résistances nationales à cet égard. En outre, la position commune sur le Procureur européen présentée par la France et l’Allemagne en mars dernier ne cite d’aucune manière le mot « procureur », se bornant à un bien plus flou « chef du parquet » (Head of EPPO). Les deux gouvernements optent en effet pour une structure plus décentralisée et dépourvue de tout lien hiérarchique : le noyau de l’agence serait constitué par un Collège composé des délégués nationaux – désignés librement par les Etats Membres prenant partie à l’EPPO – , le Procureur étant élu par ces mêmes délégués. Leur mandat, prévu pour une durée de neuf ans, ne serait pas renouvelable. Les membres nationaux, d’ailleurs, pourraient eux seuls demander à l’Etat déléguant de déclencher des investigations et des poursuites en nom de l’EPPO. Le chef du parquet n’aurait aucun pouvoir de décision, n’étant qu’un « primus inter pares » orienté vers la recherche du consensus.

Ainsi étant les choses, la proposition de la Commission sera susceptible d’être fort édulcorée par le Conseil. D’ailleurs, ce n’est pas par hasard si le texte du règlement, censé arriver le 2 juillet dernier, n’a toujours pas vu le jour.

 

 Gianluca Cesaro

 

 (1) Appelée en français « course aux tribunaux », cette expression indique le fait de choisir un for en fonction de la loi qu’il appliquera, et non pas en fonction de sa compétence

Pour en savoir plus :

–                  Rapport d’information du Sénat français sur la création d’un Parquet européen – 11 décembre 2012 – (FR) – http://www.senat.fr/rap/r12-203/r12-2030.html

   –                  Résolution européenne de l’Assemblée Nationale française sur le Parquet européen– 14 août 2011 – (FR) – http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/ta/ta0726.pdfP

–                  Position commune des Ministres de la Justice de France et d’Allemagne sur le Procureur Européen – 4 mars 2013 – (EN) – http://eppo-project.eu/design/eppodesign/pdf/converted/index.html?url=b0212eec88f918c78c4c6840e8ccf091.pdf&search

  –                  Enregistrement de la réunion LIBE – 19 juin 2013 – http://www.europarl.europa.eu/ep-live/fr/committees/video?event=20130619-1500-COMMITTEE-LIBE

 –                  Enregistrement de la réunion interparlementaire LIBE sur le Programme de Stockholm – 20 juin 2013 – http://www.europarl.europa.eu/ep-live/fr/committees/video?event=20130620-0900-COMMITTEE-LIBE

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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