Recours collectifs : danger ou avantage pour la justice européenne ? La Commission a tranché

Fruit d’une consultation publique lancée en 2011, qui a donné lieu à une communication, la Commission européenne a présenté le 11 juin ses recommandations pour l’établissement de recours collectifs dans les systèmes juridiques des Etats membres, sur les matières touchant au droit de l’Union Européenne (consommation, concurrence, environnement, etc…). Après plus de 10 ans de tergiversations, un pas semble avoir été fait vers un meilleur accès à la justice pour tous. Pour autant, les dangers du recours collectif sont-ils tous écartés ?

C’est en tous cas ce qu’elle entend éviter. Dans sa communication « Vers un cadre européen pour les recours collectifs », la Commission Européenne tente de dégager une position commune du « class action » à l’européenne en conclusion de la consultation publique sur le sujet.

L’objectif affiché est de compléter les outils existants au niveau européen à savoir la procédure européenne de règlement des petits litiges, le règlement extrajudiciaire des litiges de consommation, la directive sur la médiation, etc… Il doit aussi compléter le projet de directive sur les actions en dommages et intérêts pour infractions au droit de la concurrence. Elle considère ainsi que le recours collectif est un complément indispensable à ces mécanismes pour assurer une justice effective, accessible à tous. Elle en tire même un bénéfice pour l’économie européenne.

Ce constat ressort également de la consultation publique. La majorité des personnes interrogées sont favorables au mécanisme qui permettrait de résoudre de nombreux cas individuels à coût et temps réduit. Le recours collectif faciliterait donc l’accès à la justice en incitant les personnes lésées par une seule et même entité à faire valoir leurs droits collectivement, ce qu’elles ne feraient pas individuellement en raison du coût et du temps. Pour cela, le recours collectif doit à la fois couvrir les situations de demandes de compensations et celles de cessation d’une pratique illégale.

En revanche, aussi bien du côté de la Commission que des parties prenantes, il y a une réelle crainte que la procédure de recours collectifs soit utilisée de manière abusive, impactant ainsi l’activité économique des entreprises qui auraient à souffrir de telles pratiques.

En effet, beaucoup craignent par exemple que des particuliers profitent du système pour lancer des recours collectifs infondés, obligeant les entreprises à négocier au plus vite pour éviter d’avoir une mauvaise image auprès de ses clients. Au sens de la communication, ceci serait favorisé par l’usage des dommages et intérêts punitifs dans certains systèmes juridiques comme celui des Etats Unis ou encore par la pratique des honoraires de résultats chez les avocats. Le modèle « opt out » du recours collectif est aussi un élément qui peut favoriser ce genre de pratiques en incluant automatiquement dans le recours toutes les personnes lésées.

A cette préoccupation, s’ajoute celle du financement des recours collectifs et de la représentation des demandeurs. En effet, le recours collectif, même s’il permet de réduire les coûts de procédure, requiert de disposer de fonds. Différents systèmes existent : financement par un tiers, financement public ou financement par la partie succombant. Si les deux derniers systèmes ne représentent aucun danger, le premier en revanche pose toute une série de problèmes (conflits d’intérêts, influence des demandes des parties lésées, etc…).

A cette difficulté, s’ajoute celle de la qualité à agir des entités agissant dans le cadre de recours en nom collectif. Dans ce cas, une seule entité agit pour les demandeurs. Il y a le risque qu’elle n’agisse pas dans le strict intérêt des parties lésées.

Enfin, un dernier problème se pose : celui de la coordination entre procédures lancées par les autorités publiques et celles lancées par les personnes privées. Les premières visent à faire respecter le droit et à punir les pratiques illégales tandis que les secondes visent spécifiquement à réparer les conséquences de telles pratiques. Or, il y a une crainte d’interférences entre les deux procédures. Il faut donc les coordonner au mieux.

Toutes ces craintes sont partagées par le Parlement Européen tel qu’il l’a exprimé dans une résolution de 2012.

Ainsi, la Commission Européenne, dans ses recommandations aux Etats membres pour l’établissement de recours collectifs dans les systèmes juridiques nationaux, a tout fait pour éviter les dérives. Elle tente ici d’établir des principes communs qui devront guider l’établissement de tels recours dans les Etats.

Concernant les abus de l’usage du recours collectif, la Commission préconise l’établissement de règles précises sur la qualité à agir. Les Etats membres doivent établir des conditions d’admissibilité du recours qui devront être vérifiées par la Cour en charge du dossier avant son examen.

De même, la recommandation préconise l’établissement de systèmes de recours collectifs par « opt-in » : les demandeurs doivent être libres de faire partie ou non du recours et ne pas y être intégré automatiquement au motif qu’ils ont été lésés. Cette possibilité « d’opt-in » devra être offerte à n’importe quel stade de la procédure.

Egalement, dans le cadre des recours en compensation, la Commission précise que les dommages et intérêts punitifs doivent être interdits pour éviter les abus tout comme les honoraires de résultats des avocats, afin d’éviter les incitations aux recours abusifs.

Du côté des demandeurs maintenant, des protections particulières leur sont octroyées. Tout d’abord, les Etats devront établir des règles précises quant à la qualité à agir des entités agissant en représentation dans un recours collectif. La recommandation préconise notamment que l’entité remplisse certains critères comme l’absence de but lucratif, des objectifs en lien direct avec les droits européens violés ou encore une capacité financière suffisante. Les Etats peuvent désigner des autorités publiques pour mener de telles actions.

Ensuite, l’origine du financement des recours collectifs devra être déclarée à la Cour chargé de l’affaire. Si la Commission, dans sa communication, est très prudente avec le financement par un tiers, elle l’autorise dans sa recommandation sous certaines conditions comme l’absence de conflits d’intérêts, l’absence d’influence sur les demandes des demandeurs ou l’interdiction de financement par un tiers aux ressources faibles. De même, la Commission préconise que la partie qui perd rembourse les frais de justice engagés par la partie gagnante.

Toujours sur les droits des demandeurs, les Etats membres devront s’assurer que les demandeurs ou l’entité les représentant auront la possibilité de diffuser des informations sur le recours intenté afin que les autres personnes potentiellement lésées puissent participer au recours si elles le souhaitent. Dans la même lignée, ils devront établir des registres répertoriant les recours collectifs intentés.

Enfin, la Commission insiste dans sa recommandation pour que les Etats membres facilitent les recours collectifs dans le cadre d’affaires transfrontalières. Les règles nationales ne devront pas empêcher à des demandeurs ou à un représentant d’un autre Etat membre de participer à de tels recours.

La recommandation ne s’arrête pas là. Elle s’intéresse également à la mise en œuvre de règles pour assurer le bon fonctionnement de la justice dans le cadre des recours collectifs.

Ainsi, la recommandation souhaite que les recours collectifs, dans le cadre des recours en compensation de violations issues de pratiques illégales du défendeur, ne puissent avoir lieu avant que les autorités publiques aient statué définitivement sur ladite pratique. Si le recours a déjà été lancé, il devra être suspendu jusqu’à ce que les autorités publiques aient définitivement statué.

Dans un souci de bonne marche de la justice, la Commission recommande aussi que les Etats offrent la possibilité aux demandeurs de régler les recours en compensation par voie extrajudiciaire, sur une base volontaire. Dans ce cas, la recommandation parle de « Résolution consensuelle collective des litiges ». La légalité des conclusions de l’accord de résolution consensuelle devra être vérifiée par la justice.

La recommandation de la Commission sur les recours collectifs s’avère donc très précise dans ce qu’elle attend des Etats membres. Ceux-ci auront 24 mois pour mettre en œuvre les principes communs établis ici à compter de sa publication au Journal Officiel. Elle évaluera la mise en œuvre de la recommandation dans les quatre ans qui suivront sa publication. Rien de contraignant donc pour l’instant, mais, en cas d’échec, elle n’écarte pas l’idée de proposer une directive.

Il faut noter que cet outil s’avère intéressant en complément des mécanismes, déjà en place au niveau européen, pour permettre aux citoyens de l’Union et aux entreprises de faire respecter leurs droits. Il permettra, dans les matières du droit européen, de pallier les insuffisances de certains systèmes nationaux qui ne prévoient toujours pas de recours collectifs véritablement effectifs.

Le recours collectif est surtout intéressant dans sa dimension « transfrontalière ». Comme le souligne Euractiv, dans un article du 11 juin, de nombreux scandales récents (implants PIP notamment) dépassaient largement les frontières d’un Etat membre. Il permettrait donc enfin aux consommateurs européens de voir leurs intérêts communs et de pouvoir agir ensemble contre les agissements de certaines entreprises qui, depuis longtemps déjà, pensent leur activité à l’échelle européenne.

 

 

Jérôme Gerbaud

 

 En savoir plus :

 

–            Synthèse des documents sur les recommandations de la Commission concernant les recours collectifs

(EN) http://ec.europa.eu/justice/newsroom/civil/news/130611_en.htm

 –            Recommandation de la Commission relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectif en cessation et en réparation dans les Etats membres en cas de violation de droits conférés par le droit de l’Union

(EN) http://ec.europa.eu/justice/civil/files/c_2013_3539_en.pdf

(FR) http://ec.europa.eu/justice/civil/files/c_2013_3539_fr.pdf

 –            Communication de la Commission : « Vers un cadre horizontal européen pour les recours collectifs ».

(EN) http://ec.europa.eu/justice/civil/files/com_2013_401_en.pdf

(FR) http://ec.europa.eu/justice/civil/files/com_2013_401_fr.pdf

 –            Communiqué de presse du 11 juin 2013 : « La Commission recommande aux Etats membres de se doter de mécanismes de recours collectif pour garantir à leurs justiciables un accès effectif à la justice ».

(FR) http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-524_fr.htm

(EN) http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-524_en.htm

–            Communiqué de presse du 11 juin 2013: « Frequently Asked Questions: European Commission recommends collective redress principles to the Member States ».

(EN) http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-13-530_en.htm

 –          Article d’Euractiv du 11 juin 2013 : « EU seeks group lawsuit rules amid ‘litigation culture’ fears »

(EN) http://www.euractiv.com/health/eu-seeks-group-lawsuit-rules-ami-news-528486

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Cette publication a un commentaire

  1. Laurent

    Toute invention de l’homme a ses bon et mauvais côtés. Il appartient au législateur de chaque Etat de prévoir les possibles dérives et de prendre les mesures nécessaires pour les éviter. Toutefois, tout ne peut être prévu par le législateur, il se peut que des situations non-prévues existent postérieurement à l’adoption d’un texte, d’où le besoin de réformer quelques fois les textes. Alors je pense que le recours collectif, même s’il présente de nombreuses risques, est bénéfique pour les citoyens. Le législateur doit juste être vigilant.

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