Modification du règlement 529/2001 fixant la liste des pays tiers soumis ou exemptés de l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures : Le rapporteur Diaz de Mera prône l’adage du « mieux est l’ennemi du bien » face aux réserves de certains députés

Après pas moins de deux années de négociations, huit trilogues, dix-sept rencontres à l’échelle des collaborateurs et assistants ainsi que maintes réunions entre rapporteurs fictifs et avec les services juridiques du Parlement européen et du secrétariat de la commission LIBE, c’est en poursuivant l’objectif de transparence que le rapporteur Diaz de Mera (PPE) a voulu, ce lundi 8 juillet 2013, faire un bilan sur la proposition de règlement COM(2011) 290 final en vue de nouveaux débats fixés au 11 septembre 2013.

 Alors que le 23 avril dernier, les rapporteurs fictifs s’étaient entendus presque à l’unanimité sur la proposition de règlement pour la modification du règlement (CE) n°539/2001 (33 voix pour, 7 voix contre et 3 abstentions), lors du trilogue du 25 juin dernier les groupes PPE, ALDE et ECR se sont entendu sur un accord de majorité avec la présidence. C’est ce texte qui sera l’objet d’un vote en septembre prochain.

 Le texte comprend dans un premier temps un compromis sur la possibilité pour un Etat membre d’exempter de visa un nombre beaucoup plus important de catégories d’individus. Ainsi, sont ajoutés :

    -. les membres de l’équipage civil des avions et des navires dans l’exercice de leurs fonctions

    -. les membres de l’équipage civil des navires lorsqu’ils se rendent à terre

    -. l’équipage et les membres des missions d’assistance ou de sauvetage en cas de catastrophes ou d’accidents

    -. les fonctionnaires d’entités reconnues par l’Etat membre concerné comme étant soumises au droit international qui ne sont pas des organisations internationales intergouvernementales

    -. les personnes résidant au Royaume-Uni ou en Irlande ayant un document de voyage délivrés par ces pays reconnu par l’Etat membre concerné

 Cependant, le débat lors de la commission LIBE du 8 juillet 2013 a porté sur des questions de fonds portant sur :

 Le mécanisme de réciprocité : ce mécanisme signifie que pour toute exemption de visa accordée à un Etat tiers, la réciprocité doit s’appliquer pour les ressortissants de l’Etat membre avec lequel cette exemption a été convenue. Cette question est devenue particulièrement importante avec le Canada, qui se refusait à accordait l’exemption de visa à la République Tchèque. L’accord du 23 avril 2013, dont les éléments ont été repris lors du trilogue dispose que, si un Etat membre notifie d’un manquement à ce principe de réciprocité, après publication de cette notification au Journal officiel et si dans les six mois aucun changement n’a été opéré, la Commission peut adopter un acte délégué modifiant l’annexe deux et suspendre l’exemption de visa de l’Etat tiers.

 Le mécanisme de suspension : ce mécanisme permet de suspendre rapidement et temporairement l’exemption de visa en cas de situation d’urgence, l’urgence étant dans le cadre de la modification du règlement étendue à un ensemble d’éléments spécifiques : en effet, à l’incidence de l’exemption de visa d’un pays tiers sur la situation migratoire de l’Union (hausse substantielle du nombre de demandeurs d’asile, des ressortissants en séjour irrégulier et du nombre de demandes de réadmission) évaluée par des données de l’Etat membre concerné, Frontex et le Bureau européen d’appui en matière d’asile, s’ajoutent les questions d’ordre public et de sécurité publique et la collecte des données étendue à Europol. Selon l’accord conclut en avril, la Commission se réservait la possibilité d’adopter un acte délégué entraînant une suspension de l’exemption de visa (le Parlement aurait le droitd e s’y opposer). Cependant lors du trilogue du mois de juin, cette possibilité est néanmoins rendue caduque, en supposant qu’elle soit soutenu lors du vote en septembre prochain.

 Après cet exposé, le rapporteur Diaz de Mera, met en avant « la clause de révision » comprise dans le document récemment négocié : celle-ci permet de revoir l’accord prévoyant une exemption de visa après sept ans. Ainsi, au départ, certains penchaient en faveur d’un délai de trois ans, voir même d’une année. Quel est l’apport d’un tel délai ? Le rapporteur renvoie ici aux statistiques qui prouvent que lors d’une libéralisation des visas, les plus grands problèmes liés aux frontières externes seraient lié à un phénomène d’ajustement nécessaire, celui-ci prenant au moins deux ans. C’est par la suite que la situation a tendance à se stabiliser d’où le réel intérêt vers la mise en place d’un délai raisonnable avant d’envisager la remise en cause d’un accord portant sur une exemption de visa. Si le délai était raccourci, alors les Etats membres, face aux déséquilibres induits par la libéralisation de visas pourraient être tentés d’activer automatiquement le mécanisme de suspension, sans même avoir tenté de régler ces déséquilibres par un ensemble de négociations ou de méthodes diplomatiques. La conclusion de cette clause permet donc de préserver les intérêts des européens (par le principe de réciprocité, eux aussi seraient à nouveau soumis à une obligation de visa), mais aussi les pays tiers en évitant que les clauses de suspension ne prennent un caractère répressif.

 Diaz de Mera conclut son exposé, estimant avoir, par le rappel de l’ensemble de ces éléments, rendu compte à la Commission de la situation. Il rappelle le vote de cette modification de règlement qui se tiendra le 8 ou 9 septembre en session plénière, et qui s’accompagnera, il lui apparaît important de le souligner d’un débat, permettant un ultime échange de vues sur le dossier.

 Les rapporteurs fictifs sont à leur tour invités à s’exprimer sur cette question. Tanja Fajon (S&D) commence en évoquant le caractère délicat de sa position. En effet, elle évoque d’abord les négociations très fructueuses entre le rapporteur Diaz de Mera et les différents rapporteurs fictifs pendant les deux premières années de négociations qui ont marqué le texte. Cependant, sa position est devenue plus réservée lorsque le texte a été repris par le Conseil notamment à cause du chantage qui a pu être exercé sur les parlementaires par entre autres, un ensemble de diplomates américains sur les dispositions ayant trait au mécanisme de réciprocité. Finalement, à l’heure actuelle, elle affirme ne pas se retrouver dans l’accord final et s’oppose à ce qu’elle perçoit comme un mauvais compromis. Ce compromis est mauvais, selon elle, principalement à cause des actes délégués pour les clauses de suspension. En effet, au départ, cet instrument s’appliquait à la fois pour le mécanisme de réciprocité et le mécanisme de suspension. Pourtant, à la grande surprise du groupe S&D, le rapporteur a cédé au Conseil et a renoncé aux actes délégués pour les actes de suspension. Cela va à l’encontre pour elle de trois éléments clés : la position du parlement européen jusqu’alors, de la position de la commission LIBE dans son ensemble (pour rappel, la proposition du mois d’avril était soutenue à la quasi-unanimité par les rapporteurs fictifs) et surtout du principe de codécision porté par Lisbonne (la question des visas tombant à part entière sous la codécision). Le dernier élément est selon Fajon le plus décisif car alors, on pourrait choisir pour d’autres dossiers de la commission LIBE de se détourner de la codécision selon les négociations. Mais quel est l’effet tant redouté par Fajon de cette renonciation aux actes délégués ? Fajon est persuadée que si le texte venait à être voté tel quel en septembre, le mécanisme de suspension serait alors instantanément déclenché pour plusieurs pays, supprimant pour ceux-ci l’exemption de visa dont ils bénéficiaient jusqu’alors. Afin de justifier son raisonnement, elle prend l’exemple des Balkans occidentaux, qui pourraient se voir supprimer leur exemption de visa au vu d’une hausse conséquente perçue par les différents Etats membres de l’Union du nombre de demandeurs d’asile dont au final le taux de reconnaissance serait faible. En retirant le pouvoir des actes délégués de la Commission, on laisse alors le loisir aux Etats membres d’utiliser l’outil de l’exemption de visa à des fins politiques, élément d’autant plus préoccupant lorsque le populisme semble se propager dans l’Europe entière. Fajon est donc déterminée à ne pas ranger la question des actes délégués au rang des éléments négociables : impossible de faire des concessions pour un domaine qui relève autant du Parlement européen que du Conseil. Ne serait-ce que pour montrer que le Parlement est bien déterminé à exercer les compétences qui lui sont attribuées par un traité qui lui donne enfin le pouvoir qui lui a si longtemps fait défaut. On l’aura compris, Fajon se positionne en définitive contre la proposition et invite en ce sens à travailler de façon à trouver un accord bonifié.

 Après l’intervention prolongée de Fajon, Renate Weber (Groupe alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe) est invitée à son tour à s’exprimer sur le texte. Elle avoue être elle aussi surprise par le changement de direction soudain du texte. Elle invoque un mauvais timing qui aurait guidé les négociations. Selon elle, la Commission aurait dû et ce, dès le départ, faire une communication sur la clause de suspension (qui initialement n’était source d’aucune tensions) puis seulement une communication sur la clause de réciprocité. Cette ambition de traiter les deux clauses de manière simultanée a entraîné un ralentissement des négociations, remettant en cause des dispositions qui parfois étaient pourtant tenues pour acquises. Ainsi, cela a permis à l’accord initial d’avril d’être détricoté et les actes délégués pour la suspension des visas d’être remis en cause. Cependant, Weber ne rejoint pas l’argumentation de Fajon sur divers éléments. Elle affirme d’abord que la sensibilité de la situation des Balkans dans le domaine des visas ne doit pas guider l’élaboration du texte, en effet le Parlement européen se doit de légiférer de manière globale, et non pour répondre à un cas particulier. De même, pour elle, les craintes de Fajon sont à modérer au vu du fait que la Commission se garde le pouvoir d’analyser la situation au nom de la « clause de révision » après sept ans et d’évaluer si une exemption de visa est envisageable. En ce sens, voter en faveur de la proposition ne donne pas le pouvoir aux Etats membres de changer le régime des visas applicable à un Etat. Au contraire, si la proposition est rejetée, alors aucune protection du tout n’existera pour ces pays face à une exemption décidée par les Etats membres en vertu de choix politiques. Elle invite donc le groupe S&D à revoir sa position à la lumière de ces éléments, car il est préférable selon elle d’avoir un rôle à jouer, si minime soit-il que de laisser le Conseil s’accaparer l’ensemble du dossier.

 Tatjana Zdanoka (Verts-ALE) prend ensuite la parole : elle confirme son approbation au texte tel qu’il avait été présenté en avril, cependant elle s’oppose fermement au mécanisme de suspension dans son principe même. Elle se rallie donc à la position du S&D, et donc par extension s’oppose au texte convenu par le rapporteur Diaz de Mera.

C’est ensuite à la Commission qu’il revient de s’exprimer sur ce texte, celle-ci commençant par s’étendre sur le caractère long et ardu des négociations. La Commission, en mentionnant son inclination pour des mécanismes de suspension et de réciprocité qui soient rapides et efficaces, est sûre de ne surprendre personne. Pourtant, de tels mécanismes sont inconcevables s’ils ne reposent pas sur des structures juridiquement et institutionnellement solides. Or, dans le cas de la possibilité pour la Commission de s’essayer aux actes délégués concernant la clause de réciprocité, elle se présente comme sceptique quand à la conformité de tels actes avec le traité. Néanmoins, elle encourage à un aboutissement des négociations dans les plus brefs délais, tout en regrettant malgré cet impératif devoir lors du vote, faire une déclaration où elle se réservera quant à l’utilisation d’actes délégués.

 Après une brève intervention de la présidence lituanienne précisant son ouverture vers une coopération avec le Parlement européen sur ce dossier le rapporteur Diaz de Mera reprend la parole et clôt temporairement le débat. Il rappelle que le vote début septembre s’accompagnera d’un débat lors duquel les différentes positions auront l’occasion de s’exprimer devant la plénière. Il souhaite en effet ne pas perdre de temps à contrer l’ensemble des arguments avancés par les différents rapporteurs fictifs, qu’il qualifie de totalement légitimes. Il appelle néanmoins à ne pas toujours viser un idéal et reprend l’adage selon lequel parfois le mieux est l’ennemi du bien. Il invite à aller au contraire de l’avant, surtout lorsque de nombreuses dispositions souhaitées par le Parlement européen se trouvent dans le texte. Il s’en remet donc au vote, qui s’il est négatif conduira le texte en deuxième lecture, ouvrant la voie à de nouvelles possibilité. Il ne partage pas néanmoins la prophétie de Fajon concernant l’utilisation à des fins politiques de la clause de suspension par les Etats membres. En ce qui concerne les actes délégués, il défend une application de ceux-ci au cas par cas : ainsi, pour d’autres dossiers il se pose en fervent défenseur de tels actes ; cependant, ici, il n’y voit pas une valeur ajoutée qui mérite un rejet du texte.

 Le vote de septembre reste donc indécis : l’accord conclut lors du dernier trilogue entre PPE, libéraux et conservateurs britanniques survivra-t-il à la pause estivale ? Les interventions des rapporteurs fictifs laissent un fort doute à ce sujet, le suspense qui est laissé trouvera son dénouement à la rentrée, nous maintenant en haleine mieux que le ferait n’importe quel feuilleton de l’été.

 

 Louise Ringuet

 

 Pour en savoir plus :

       -. Comprendre le mécanisme de réciprocité :

http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.duri=CELEX:52004PC0437:FR:HTML

       -. Règlement (CE) n°539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des Etats membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation :

 (FR) : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2001:081:0001:0007:FR:PDF

(EN) : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2001:081:0001:0007:EN:PDF

        -. Rapport sur l’accord convenu le 23 avril 2013 :

(EN) : http://www.europarl.europa.eu/oeil/popups/summary.do?id=1261680&t=d&l=en

COM(2011)0290, Draft European Parliament Legislative Resolution « on the proposal for a regulation of the European Parliament and of the Coucil amending Council Regulation n° 539/2001 listing the third countries whose nationals must be in possession of visas when crossing the external borders and those whose nationals are exempt from that requirement

 (EN) : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2011:0290:FIN:EN:PDF

(FR) : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2011:0290:FIN:FR:PDF

       -. Actualité Parlement européen, « L’UE devrait pouvoir appliquer la réciprocité en matière de visa, affirment les députés de la commission des libertés civiles », avril 2013 :

http://www.europarl.europa.eu/news/fr/pressroom/content/20130408IPR07104/html/L’UE-devrait-pouvoir-appliquer-la-réciprocité-en-matière-de-visa

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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