Sans-abrisme et immigration : la libre circulation mise à mal

La Fédération européenne d’associations nationales travaillant avec les sans abris (FEANTSA), dans son dernier rapport de juin 2013 établit un lien entre sans-abrisme et immigration, dénonçant par là les lacune encore existantes aujourd’hui d’un principe de libre circulation . Un lien doit être établi avec la proposition de directive de la Commission d’avril 2013 qui a précisément pour but de combler « ce déficit d’égalité de traitement » pour les citoyens utilisant leur droit à la libre circulation.

 Ainsi, la réalité de ce lien entre immigration et sans-abrisme peut être établie au travers de chiffres révélés par FEANTSA : en 2012, les données collectées font effectivement état d’une hausse du pourcentage d’immigrants parmi les personnes sans domicile. Par exemple, en Grande Bretagne, 28% des personnes dormant dans les rues de Londres viendraient de différents pays européens, en particulier d’Europe centrale et orientale. En effet, si la libre circulation fait la fierté de l’Union européenne depuis 1957, beaucoup d’Etats membres continuent à ignorer  l’égalité de traitement, y voyant une façon de préserver leurs nationaux. Ainsi, en avril 2013, les ministres de l’Intérieur de l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas et le Royaume-Uni dénonçaient la charge financière résultant de la libre circulation des travailleurs : « des villes et des communes de différents Etats membres croulent sous la charge très élevée que leur font porter certains immigrés d’autres Etats-membres ». Ce lien établi entre immigration intra-européenne et abus de prestations sociales est dangereuse pour le traitement réservé à ces citoyens : il apparaît tentant pour les Etats membres de s’écarter de l’égalité de traitement pour donner l’avantage à leurs nationaux. D’où un risque accru vers le sans-abrisme. Notons que la Cour européenne des droits de l’Homme a toujours joué un grand rôle pour éviter ce genre de régression  : citons par exemple l’arrêt du 13 décembre 2012 disposant que « la réglementation luxembourgeoise en matière d’aide à l’embauche apparaît comme contraire à la libre circulation ».

 Ainsi, les droits des citoyens européens dans leur exercice de la libre circulation varieraient en fonction de :

 – l’Etat membre

 – des effets de la crise sur l’Etat membre choisi

 La violation de ces droits résulteraient principalement :

 – du manque de préparation des différents organismes à ces nouvelles victimes du sans-abrisme ;

– des obstacles linguistiques ;

 – d’une législation complexe concernant les allocations de chômage et sociales dont les individus peuvent bénéficier, d’où des démarches administratives elles aussi complexes

 En effet, selon la Commission européenne : « la connaissance des dispositions de l’Union par les employeurs publics et privés, indépendamment de la conformité ou non de la législation nationale avec celles-ci poserait un problème récurrent ». Les conseillers juridiques ignoreraient eux-mêmes parfois la législation en rapport avec la libre circulation des travailleurs.

 – du manque de connaissance par les citoyens européens de leurs droits

 La Commission à cet égard évoque le fait que nombre de citoyens ignoreraient même vers qui se tourner pour obtenir des informations quant à leurs droits dans le cadre de la libre circulation.

 Finalement, le lien entre sans-abrisme et immigration découlerait :

       -.1 du domaine de l’emploi

 Ainsi, de nombreux immigrés, profitant de la libre circulation pour venir travailler dans un autre Etat membre seraient victimes, entre autres, de discriminations. En effet, selon l’Etat membre choisit, les conditions de recrutement peuvent largement différer. Par exemple, la nationalité est parfois un critère utilisé afin d’avoir accès à certains emplois. De même, des quotas de ressortissants d’autres Etats membres sont parfois instaurés. Pourtant, le règlement n°492/2011 interdit la discrimination dans le cadre de la libre circulation en ce qui concerne l’accès à l’emploi, les conditions de travail, les avantages sociaux et fiscaux, l’accès à la formation. De même, des conditions de travail équitables ne sont pas toujours garanties : ainsi, les rémunérations, perspectives de carrières et grades peuvent différer selon le fait d’être un national ou ressortissant d’un autre Etat membre. Egalement, l’expérience professionnelle acquise dans d’autres Etats membres n’est pas toujours valorisée. On peut également évoquer la difficulté globale à même obtenir un emploi et les conditions précaires qui en découlent. En effet, lorsque l’on sait que l’accès au système social de l’Etat est parfois conditionné à l’obtention d’un travail, on comprend mieux le lien entre immigration et sans-abrisme. La directive (2004/38/CE) pose que l’Etat membre d’accueil peut déterminer s’il accorde ou non des prestations d’assurance sociale au cours des trois premiers mois de séjour à des personnes autres que les travailleurs salariés, non salariés, ou les membres de leur famille.

       -. 2 du domaine du logement

 Il est aisé de comprendre le lien entre sans-abrisme et immigration quand on considère les différents freins dans ce domaine. Tout d’abord, l’absence du statut de résident peut être une condition restrictive pour l’obtention d’un logement. Il y a également un manque de ressources des différents prestataires de services d’aides aux sans-abris.

       -. 3 de la lenteur des procédures administratives

Ces divers éléments sont d’autant plus inquiétants que pas moins de 6,6 millions de citoyens habitaient et travaillaient dans un autre Etat membre que le leur en 2012 soit 3,1% des travailleurs de l’Union. Alors que l’année 2013 a été consacrée « Année européenne des citoyens », que fait l’Union européenne pour pallier à ces problèmes ?

 Le 26 avril 2013, une proposition de directive (COM(2013)236 final) est consacrée à cette problématique après la réception de nombreuses plaintes de citoyens européens dont les droits auraient été violés dans l’exercice de leur libre circulation. Cette proposition de directive vise donc à prendre « des mesures destinées à aider les travailleurs confrontés à des problèmes de libre circulation » et de contribuer « à mieux faire comprendre et respecter la législation de l’Union en imposant aux Etats membres de veiller à ce que les intéressés soient mieux informés ». Les citoyens victimes de violations de leurs droits auraient désormais de réelles voies de recours afin d’aboutir à une sanction des comportements discriminatoires.

 Si les citoyens européens ont tout à gagner à de meilleures garanties assurées lors de la libre circulation, l’Union européenne a également grand intérêt à prendre de telles mesures : face au chômage persistant dans certains pays soumis à la crise, ne pas garantir une pleine application de la libre circulation serait un réel danger et manque-à-gagner pour l’économie européenne. Ainsi Laszlo Andor (Emploi, Affaires sociales et Inclusion) déclarait : « La libre circulation des travailleurs est un principe fondamental du marché unique de l’Union européenne. Alors que certains Etats membres affichent un taux de chômage beaucoup plus élevé que d’autres, il est d’autant plus important d’aider ceux qui le souhaitent à travailler dans un autre pays de l’Union. Cette proposition (voir directive citée ci-dessus) permettra aux travailleurs de surmonter les obstacles à l’exercice d’une activité professionnelle dans un autre pays de l’Union ». Ainsi, une étude datant de 2011 montrait que l’immigration venant de République Tchèque, Estonie, Hongrie, Lituanie, Lettonie, Pologne, Slovénie et Slovaquie avait permis entre 2004 et 2009 une augmentation de 3% du PIB de l’Irlande et de 1,2% au Royaume-Uni. On s’inquiètera alors de l’Eurobaromètre de septembre de 2011 qui mettait en évidence que l’ensemble des obstacles précités faisait que 15% des citoyens de l’Union n’envisageaient pas de travailler dans un autre Etat membre que le leur.

 Finalement, on voit que la libre circulation est encore aujourd’hui mise à mal. L’égalité de traitement peine à être appliquée, pouvant mener un grand nombre de citoyens européens au sans abrisme. Lorsque l’on voit qu’il est si difficile d’accueillir des ressortissants européens de manière non-discriminatoire et les réflexes nationaux de repli par rapport à ces individus, on peut s’interroger sur le véritable sens de la citoyenneté européenne. Que dire alors des ressortissants en provenance des pays tiers ?

 

Louise Ringuet

 Pour en savoir plus :

 Rapport de la FEANTSA sur le sans-abrisme parmi les immigrants dans l’UE :http://www.feantsa.org/?lang=en

 Europaforum.lu – « La Commission européenne veut faciliter les droits des citoyens européens dans la contexte de la libre circulation des travailleurs – 26 avril 2013 : http://www.europaforum.public.lu/fr/actualites/2013/04/com-libre-circulation/index.html

Europa – Communiqué de presse – « Emploi:la Commission propose d’améliorer l’application du droit de libre circulation des travailleurs »-26 avril 2013 : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-372_fr.htm

 Communiqué de presse – Déclaration de Laszlo Andor – Free movement of workers_good for people, good for the economy – 26 avril 2013:  http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-372_fr.htm

 Europaforum.lu – « Pour la Cour de justice européenne, la réglementation luxembourgeoise en matière d’aide à l’embauche apparaît contraire à la libre circulation des travailleurs – 13 décembre 2012 : http://www.europaforum.public.lu/fr/actualites/2012/12/cjue-adem-krier-freres/index.html

Directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres :

(FR) : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2004:229:0035:0048:fr:PDF(EN) : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2004:158:0077:0123:EN:PDF

  COM(2013)236 final – Proposal for a directive on measures facilitating the exercise of rights conferred on workers in the context of freedom of movement for workers- 26 avril 2013 : (FR) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2013:0236:FIN:FR:PDF (EN) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2013:0236:FIN:EN:PDF

 Eurobaromètre spécial 363 – « Internal Market : Awareness, perceptions and impacts – septembre 2011 :http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/ebs/ebs_363_en.pdf

 Règlement (UE) n°492/2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union :  

(FR) : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:141:0001:0012:FR:PDF

(EN) : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:141:0001:0012:EN:PDF

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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