Défense : la fin d’un « splendide » isolement ? Bruxelles mise sur le secteur de la défense.

La politique étrangère de l’Union est-elle à un tournant? Longtemps l’apanage des seuls Etats Membres, la sécurité et la défense pourraient-elles connaître  un processus d’européanisation plus poussée ? La question se pose à un moment critique de la politique internationale, secouée par la crise économique et les « printemps arabes ». La retraite apparente des Etats Unis des échiquiers méditerranéen et centre-asiatique (et la conséquence , le recentrage des priorités géopolitiques à l’Extrême Orient) produit un vide que Bruxelles observe à la fois avec préoccupation et intérêt. Mais pour « peser sur le monde et tenter de le rendre plus équitable », comme le déclarait M. Barroso en 2012, l’Union doit pouvoir compter sur des moyens adéquates. C’est pourquoi, dernière étape d’un processus débuté en 2011(1) , la Commission a présenté le 24 juillet dernier un plan d’action très détaillé pour revitaliser la défense européenne et singulièrement sur le plan industriel.

 Manuel Barroso, Président de la Commission et fervent partisan d’une politique de défense plus européenne, a introduit le programme lors d’une présentation conjointe avec les commissaires Michel Barnier (Marché Intérieur et des Services) et Antonio Tajani (Industrie et Entrepreneuriat). Parmi les raisons d’une telle réforme, M. Barroso cite en premier la nécessité de renforcer le rôle de l’Union dans le monde. Que ce soit en terme de missions civiles ou de sécurités, l’UE doit être capable – affirme-t-il – de stabiliser la situation dans les zones de crise du monde. Si le Président se montre plutôt équilibré dans son propos, le commissaire Barnier va plus loin et revendique pour l’Union plus d’influence et de respect, « d’abord de la part de  ses alliés, ce qui n’est pas toujours le cas ». La référence aux Etats Unis et à l’affaire Prism est à peine cachée. Il ne s’agit pas, pour autant, de montrer les muscles à l’égard de Washington. M. Barnier constate avec objectivité qu’ « il y a de nouvelles priorités américaines » et que les Etats Unis « nous demandent aussi de prendre nos responsabilités ». Le retrait de l’Amérique semble donner du courage à Bruxelles. Est-ce que ces propos sont-ils le signe d’un nouvel engagement de l’Union dans un domaine aussi délicat que celui de la défense ? Et quel espoir pour une telle réforme ? Pour une fois, la crise économique pourrait se révéler un allié de la Commission.

 En pleine politique d’austérité, les Etats Membres  ne peuvent plus se permettre de gérer les défis de la sécurité et de la défense au seul niveau national. L’ « isolement » des capitales européennes dans la gouvernance de leur politique de défense produit des doublons aujourd’hui intenables pour tout budget européen. La Commission chiffre la chute des investissements dans la défense pour la période 2001-2010 à 57 milliards d’euros, passant ainsi de 251 à 194 milliards. Alors que les Etats Unis dépensent à eux seuls sept fois plus que l’UE à 27. Serrés entre la nécessité d’assurer la sécurité des leurs citoyens et les contraintes budgétaires, les Etats Membres ne peuvent espérer de sortir de l’impasse que par une intégration plus forte de la défense, qui puisse produire des économies d’échelle et ainsi permettre des économies  remarquables. D’autant plus que le secteur de la défense, les commissaires le rappellent, emploie en Europe 400.000 personnes tout en générant quelques 960.000 postes de travail liés de façon indirecte.

 La Commission  est très consciente que de telles chiffres parlent beaucoup aux gouvernements européens. La politique de défense et de sécurité commune reste pourtant imprégnée de prérogatives nationales. C’est pourquoi la Commission a entamé ce domaine par la porte de service, c’est-à-dire par le biais de ses compétences – limitées – en la matière. Tout d’abord par le marché unique. Réaliser le marché intérieur de la défense et de la sécurité est l’objectif à court terme de la Commission, qui entend ainsi éradiquer les distorsions du marché et assurer l’approvisionnement de matériaux militaires entre les Etats Membres. Aujourd’hui, 80% des commandes en matière de défense relève du cadre national, la coopération et la concurrence européennes demeurant l’exception. A ce fin, l’action de la Commission, affirme M. Barnier, s’attaquera à la directive sur les marchés publiques (2009/81/CE) et à celle sur les transferts intra-UE (2009/43/CE) dans le domaine de la défense.

 Deuxième objectif, à accomplir dans le moyen terme, c’est le renforcement de la compétitivité de l’industrie européenne de la défense par l’institution d’un système de certification européen pour la navigabilité aérienne militaire et par la mise en réseau des PME européennes liées à ce secteur. Finalement, la Commission entend soutenir la recherche scientifique capable d’engendrer des produits au double usage civil et militaire. Dans le long terme, M. Barnier a parlé de restructuration des sites militaires en vue d’une rationalisation générale, à achever – a-t-il proposé – à l’aide des fonds structurels. L’idée sous-jacente est, pour dire le moins, révolutionnaire : créer une capacité de sécurité propre à l’Union, autonome par rapport au bouclier militaire des Etats-Unis, dernier ressort de la défense européenne depuis la deuxième guerre mondiale.

 Evidemment, le pouvoir technocratique de la Commission exige  d’une contribution politique solide. C’est pourquoi elle a lancé un appel pour l’élaboration d’une approche stratégique concernant  la défense, qui se fonde sur une évaluation commune des menaces et des intérêts européens. Pour sa part, elle s’occupera de détailler une feuille de route ad hoc, qui paraîtra en 2014. La France, on l’aura deviné au travers de l’enthousiasme de M. Barnier, s’est déjà prononcé en faveur d’une défense européenne, telle que souhaitée par le livre blanc présenté à Paris en avril dernier. Et c’est toujours la France qui a pris l’initiative d’une réflexion en ce sens au sein du groupe « Weimar plus », qui réunit déjà l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et la Pologne.

 Entre temps , ce sera au Conseil Européen de décembre prochainde prendre la relève. La PSDC étant l’une des priorités du prochain sommet, l’Union s’apprête peut-être à entrer dans le théâtre international.

 

Gianluca Cesaro

 

(1)  M. Barroso avait établi en 2011 une Task Force chargée de réfléchir sur les questions de la sécurité européenne face aux nouveaux événements internationaux. Le groupe de travail avait impliqué le Vice-Président Tajani et le Commissaire Barnier, ainsi que le SEAE et l’AED (Agence Européenne de Défense).

  Pour en savoir plus :

–                  Communication de la Commission « Vers un secteur de la défense et de la sécurité plus compétitif et plus efficace » – 24/07/2013 – (EN) –  http://ec.europa.eu/enterprise/sectors/defence/files/communication_defence_en.pdf – (FR)- http://ec.europa.eu/enterprise/sectors/defence/files/communication_defence_fr.pdf

 –                  Document de travail interne à la Commission – 24/07/2013 – (EN) – http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=SWD:2013:0279:FIN:EN:PDF

 –                  Statement by President Barroso at the joint Press Conference with Vice-President Tajani and Commissioner Barnier on the communication « Towards a more competitive and efficient defence and security sector » – 24/07/2013 – (EN) –   http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-13-657_en.htm?locale=FR

 –                  Présentation de la Communication Défense par le commissaire Barnier – 24/07/2013 – (FR) – http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-13-659_fr.htm  – (EN) –  http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-13-659_en.htm

 

–                  Livre Blanc Défense et Sécurité Nationale 2013 (France) – (FR) – http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000257/0000.pdf

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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