Mandat d’arrêt européen : la fin du duel entre Bruxelles et Zagreb ?

A peine entrée dans l’Union Européenne, la Croatie s’est déjà affrontée avec la Commission. La pomme de discorde est le mandat d’arrêt européen, limité par Zagreb aux seuls crimes commis après août 2002. L’amendement avait été adopté trois jours avant son accès au club européen, alors que pendant les négociations du chapitre Justice et Affaires Intérieures, le gouvernement croate avait bien modifié sa constitution dans le sens d’une pleine transposition de la décision-cadre. Le revirement semblait très suspect à certains, qui accusaient la Croatie de vouloir protéger d’anciens apparatchiks ayant commis des crimes en Europe. Dernière épisode d’une affaire toujours trouble, Zagreb semble finalement se rallier à la directive-cadre.

 Lors des négociations pour l’adhésion, les chapitres Justice et Etat de droit (chapitres 23 et 24) avaient fait l’objet d’un travail intensif, mais sans grands empêchements. Ainsi, en 2010 une lois du Sabor (le parlement croate, ndr) venait intégrer les dispositions sur le mandat d’arrêt européen de façon intégrale. Mme Reding avait même écarté l’opportunité d’avoir un mécanisme de vérification, comme c’est le cas pour la Bulgarie et la Roumanie, toujours maintenues en dehors de l’espace Schengen. C’est pourquoi la Commissaire avait estimé que le bouleversement soudain du gouvernement croate représentait une grave rupture de la confiance accordée. Le revirement était arrivé à peine trois jours avant l’entrée officielle du 28ème Etat Membre : le 28 juin les autorités croates avaient en effet adopté une lois bornant l’application de la directive-cadre sur le mandat d’arrêt européen aux crimes commis après août 2002. La loi avait été bientôt rebaptisée « loi Perković » par ses détracteurs : Josip Perković est un ancien chef de la police secrète croate pendant l’ère yougoslave, qui avait organisé l’assassinat du dissident Stjepan Đureković, alors réfugié en Allemagne de l’Ouest, en 1983. C’est précisément Berlin à réclamer son extradition du territoire croate, où M. Perković vit toujours. Mais ce n’est pas le seul cas concerné. Au total, les demandes d’extraditions toujours pas honorées par Zagreb sont pas moins de vingt, d’après la Commission. Difficile de ne pas y voir un lien même pas trop voilé avec un passé qui reste trouble à bien des égards.

 De son côté, le gouvernement croate avait démenti un quelconque complot contre l’Allemagne et avait rappelé que d’autres Etats Membres ont prévus des limites temporelles au mandat européen, comme c’est le cas pour l’Autriche, la France et l’Italie, qui ont toutes décidé d’appliquer la directive pour les crimes commis après 2002. La différence, avait répliqué Mme Reding, c’est que ces pays avaient négocié des opts-out au moment de l’élaboration de ladite directive ; les nouveaux Etats Membres, en revanche, doivent appliquer la norme européenne dans son intégrité. Au-delà des considérations politiques qui peuvent être soulevées, la Croatie n’avait même pas sollicité de tels opts-out à l’occasion des négociations pour son adhésion. De toute façon, elle n’aurait pas obtenu satisfaction à sa requête, compte tenu d’un cas similaire avec la République Tchèque.

 Agacée par la volte-face de Zagreb, la Commission s’était dite prête à entamer une procédure d’infraction à l’encontre du 28ème Etat Membre. Les assurances produites par la Croatie quant à la révision des amendements votés d’ici juillet 2014 n’avaient fait que durcir la réaction de la Commission européenne. Mme Reding avait notamment envisagé la possibilité de soumettre la Croatie à un Mécanisme de vérification et de coopération ou encore de geler certains fonds européens, l’enjeux étant de retarder l’entrée dans l’espace Schengen. Un coup qui s’est avéré gagnant, eu égard aux derniers développements de l’« affaire Perković ».

Le 17 septembre dernier, la Commissaire à la Justice, Viviane Reding, avait annoncé lors d’une conférence de presse le déclenchement de la consultation avec les autres Etats Membres à ce sujet. La procédure, prévue par l’article 39 du traité d’adhésion de la Croatie, est conçue pour sonder l’esprit des capitales européennes quant aux sanctions à infliger en cas de grave manquement dans la transposition des normes européennes.

 Les consultations, qui ont duré pas moins de dix jours, ont apporté leurs fruits bien avant l’échéance prévue (normalement, le 5 octobre). Alors que le 18 septembre dernier le premier ministre croate Zoran Milanovic s’était raidi sur sa position, la rencontre avec le Président de la Commission Manuel Barroso a fait bouger les choses. Le jour suivant, des pourparlers ont été arrangé afin de trouver une solution à cette affaire, tout en évitant l’application des sanctions. On peut penser que l’entrée dans l’espace Schengen constitue un point sensible pour Zagreb, d’où le consentement à revoir sa législation en la matière. Quoi qu’il en soit des vraies raisons qui ont poussé le gouvernement croate à ce nouvel revirement, la conférence de presse conjointe de Mme Reding et M. Miljenic le 25 septembre dernier à confirmé l’engagement pris par la Croatie à intégrer la directive-cadre d’ici janvier 2014 au plus tard. La Commission ne manquera pas de vigilance scrupuleuse, a conclu Mme Reding.

A peine trois mois s’étant écoulé depuis son adhésion, il faut espérer que la Croatie sera capable de surveiller les résurgences nationalistes qu’ont marqué cette affaire.

 

Gianluca Cesaro

 

Pour en savoir plus :

 –                  Conférence de presse avec la Vice-Présidente Viviane Reding, Commissaire UE pour la Justice, et Orsat Miljenić, Ministre croate pour la Justice (MEMO/13/824) – 25/09/2013 – (EN) – http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-13-824_en.htm?locale=en

 –                  La Commission prend des mesures pour s’assurer que la Croatie met correctement en œuvre le mandat d’arrêt européen (MEMO/13/793) – 18/09/2013 – (EN) – http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-13-793_en.htm – (FR) – http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-13-793_fr.htm

 

 

 

 

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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