2,6 milliards de dollars : tel est le chiffre d’affaires de la corruption au niveau global. Ce qui représente 5 % du PIB universel selon les estimations de la Banque Mondiale. Pour la seule coopération au développement, les proportions sont dramatiques : chaque année un tiers de l’aide publique aux pays en développement, c’est-à-dire de 20 à 40 milliards de dollars, est détourné dans des activités de corruption. Indigné par ces chiffres, le Parlement Européen demande plus de transparence dans les flux d’argent vers les pays tiers, ainsi qu’une « loi Magnitski » pour l’Union, à l’image de celle adoptée par les Etats Unis à l’encontre de certaines autorités russes coupables de crimes liés à la corruption. Les recommandations, inclues dans le rapport Gomes, on été adopté à Strasbourg ce mardi 8 octobre.
Le principal acteur mondial dans la coopération au développement, l’Union européenne est aussi la plus affectée par la plaie de la corruption à ce niveau. D’autant plus que rien moins que 25 % des enquêtes ouvertes par l’Office Européen de Lutte Anti-Fraude portent sur l’aide extérieure de l’UE. Face à ce véritable cancer de la coopération au développement, la Commission avait adopté en 2011 un paquet de mesures contre la corruption dans l’Union, parmi lesquelles figuraient l’établissement d’un mécanisme de rapport annuel. A côté de cet instrument, la commission des Affaires Etrangères du Parlement Européen (AFET) a voulu approfondir la lutte contre la corruption dans le domaine spécifique de l’aide au développement, dans lequel l’Union joue un rôle de tout premier plan au niveau global.
Menée par la députée socialiste Ana Gomes, la proposition de résolution invite la Commission à adopter une approche plus stricte quant à la corruption dans la coopération au développement et plus généralement dans les relations de l’Union avec les pays tiers. Ainsi, la commission AFET demande à ce que la Commission européenne applique le principe de conditionnalité par l’inclusion d’une clause anti-corruption dans les accords internationaux, tels que les contrats de passation de marchés. Un point potentiellement plus controversé est la requête faite aux Etats Membres de dépénaliser la diffamation et la calomnie, du moins pour les allégations de criminalité organisée, de corruption et de blanchiment de capitaux, afin de permettre une plus ample dénonciation de ces crimes.
« L’Union est-elle complice du détournement des fonds aux pays tiers ? » a demandé de façon provocatoire Ana Gomes lors de la présentation du rapport à Strasbourg. Contre les possibles complices au sein de l’UE, la députée portugaise a plaidé pour la fin du secret bancaire et le renforcement de la législation contre le blanchiment d’argent. Par exemple en élaborant une liste noire européenne des entreprises ayant commis des crimes de corruption, pour qu’elles soient exclues des appels d’offre.
En évoquant une « loi Magnitski » européenne, le rapport de Ana Gomes puise dans l’actualité législative des Etats-Unis. La loi, promulguée par le Président Obama en décembre 2012, interdit l’entrée dans le territoire USA à 18 citoyens russes soupçonnés d’avoir violé les droits de l’homme en relation avec l’affaire Serguei Magnitski. Ce dernier était un avocat russe, qui avait accusé de fraude fiscale certains responsables de haut niveau en 2008. Inculpé du même crime peu après, il avait été incarcéré à Boutyrskaia, où il est mort en 2009. Plusieurs coïncidences entourent sa mort et plusieurs détails restent toujours à élucider : ce qui est certain c’est que les doutes sur son assassinat sont bien répandues parmi les défenseurs des droits de l’homme et à l’étranger.
En calquant la loi américaine, Ana Gomes souhaite établir une liste européenne commune des fonctionnaires impliqués dans la mort de Serguei Magnitski, auxquels interdire le visa à l’échelle européenne et, éventuellement, geler leurs avoirs financiers présents dans l’Union Européenne. Ces mesures devraient être étendues à tout individu coupable de ce genre de crimes, au-delà de la Russie. Cela permettrait, estime la rapporteure , d’établir un lien étroit entre la corruption et les droits de l’homme, lien nécessaire pour la construction d’une politique étrangère de l’Union cohérente avec ses propres valeurs.
Pas tout à fait du même avis le député portugais de la Gauche Unitaire, João Ferreira, a plutôt condamné les politiques de privatisation encouragées par l’Union Européenne et le Fond Monétaire International dans les pays en voie de développement. Le démantèlement du secteur publique, a-t-il dénoncé, augmente une promiscuité entre le monde politique et le monde économique favorable au développement de la corruption.
La réponse très prudente de la commissaire Maria Damanaki, présente au débat sur le rapport, a cependant freiné l’enthousiasme des eurodéputés. D’abord par l’insistance à concentrer la production normative dans la dimension interne de l’Union. Et après, par la constatation que pour une « loi Magnitski » à l’européenne, il faudrait l’unanimité entre tous les 28 Etats Membres. Une condition qui serait probablement loin d’être remplie aujourd’hui. Ana Gomes a fait remarquer que « le Conseil est réticent, mais nous allons maintenir le pression » et notamment pour une plus grande protection des « lanceurs d’alerte ».
Dans leur résolution (cf. « pour en savoir plus ») les parlementaires européens invitent la Commission à élaborer « un plan d’action en vue de créer un mécanisme recensant, d’une par, les fonctionnaires de pays tiers impliqués dans des violations graves des droits de l’homme et dans des manipulations judiciaires contre les dénonciateurs d’abus, les journalistes dénonçant la corruption et les militants des droits de l’homme et imposant, d’autre part, des sanctions ciblées similaires à leur encontre ». Ils invitent la Commission et les Etats membres à appliquer le principe de conditionnalité, à introduire une clause anti-corrupion dans les contrats de passation de marché. Les Etats membres de l’UE devraient contrôler les entreprises basées sur leur territoire qui sont impliquées dans des actes de corruption dans les pays tiers et si nécessaire leur imposer des sanctions. Les Etats membres doivent modifier leur droit pénal afin d’établir solidement leurs compétences sur les personnes sur leur territoire qui ont commis des actes de corruption ou de détournement de fonds publics, indépendamment du lieu où cela a été commis et cela dès que le produit des activités criminelles se trouve dans l’Etat membre où il a été blanchi.
Gianluca Cesaro
Pour en savoir plus :
– Enregistrement du débat sur le rapport Gomes en plénière – 07/10/2013 – http://www.europarl.europa.eu/ep-live/fr/plenary/video?debate=1381170715802
– Rapport Gomes sur la corruption dans les secteurs public et privé: incidences sur les droits de l’homme dans les pays tiers – 19/08/2013 – (EN) – http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+REPORT+A7-2013-0250+0+DOC+PDF+V0//EN (FR) – http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+REPORT+A7-2013-0250+0+DOC+PDF+V0//FR
– Commission Decision establishing an EU-anti corruption reporting mechanism for periodic assessment – 06.06.2011 – (EN) – http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/what-we-do/policies/pdf/com_decision_2011_3673_final_en.pdf
-. Texte de la résolution du Parlement européen (FR) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P7-TA-2013-0394+0+DOC+XML+V0//FR&language=FR (EN) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P7-TA-2013-0394+0+DOC+XML+V0//EN