Protection des données personnelles :7ème audition concernant la surveillance des citoyens européens par la NSA. Sous des airs civilisés, chaque Nation repose sur une part irrécusable de secrets portant atteinte à la confiance en l’Etat de droit ainsi qu’aux principes posés par les Traités

Martin Scheinin (Ancien Rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme de l’ONU), 3, dénonce le fait que depuis la démocratisation d’Internet, on se trouve face à un « trop plein de pouvoir » donnés aux agences de renseignement. Certes cela se justifie par l’obligation faite t aux Etats, de prendre toute mesure préventive ( interception des communications, surveillance secrète…) nécessaire pour protéger les personnes dont la sécurité pourrait être mise en danger. Les Etats s’efforcent  de donner aux citoyens la perception que c’est pour faire face à une situation de crise : sécurité nationale, lutte contre le terrorisme  et c’est cette justification qui est mise en avant En réalité ces arguments ne servent qu’à « blanchir » les actions secrètes de ces agences et à justifier des dépenses importantes dans la haute technologie de contrôle. 

 Maintenir et respecter les droits de l’homme et le contrôle démocratique,  il est une priorité pour les autorités américaines qui doivent agir dans le respect  des normes internationales et doivent rendre ompte de leurs actions, de leurs pouvoirs d’investigation spéciaux impliquant  l’agencement d’un cadre législatif précis et complet qui définisse leur mandat.  Car en effet, « l’élément de nécessité» reconnu  par le droit pénal de certains Etats, ne peut à lui seul servir comme outil de justification, de légitimation ex ante pour l’obtention d’informations.

 En l’absence d’une loi internationale générale interdisant ou limitant  explicitement la recherche de renseignements, des « critères de seuil » devraient être préalablement fixés par les Etats, évitant ainsi l’utilisation abusive de données dans  des cas ordinaires où la population n’est nullement exposée à une menace réelle. Il est impératif qu’une distinction se fasse entre une surveillance ciblée acceptable  et une « dataveillance » de masse systématique assimilable à une immixtion illégale dans la vie privée des gens.

 Martin Scheinin  réitère qu’un tel système de surveillance des personnes sur base de données s’accompagne d’un trop grand flou quant à sa nature et sa portée. Face au développement inexorable des nouvelles technologies de l’information et de la communication, il importe dès maintenant de mettre à neuf nos instruments de protection des droits de l’homme, insiste l’expert onusien. « Veiller à ce que les activités de ces agences de renseignement  ne sortent pas du cadre  du droit écrit, des directives administrative ou militaires et du droit jurisprudentiel, tel est l’objectif de demain ».

 Tout aussi important, les Etats se doivent de garantir des accès plus effectifs aux tribunaux et au droit fondamental des recours tout en supprimant certaines clauses d’impunité ; prévoir des mécanismes de supervision et contrôle ex post facto  permettant des enquêtes indépendantes lorsque des violations flagrantes des droits de l’homme sont rapportées ( l’idée étant de mettre sur pied de nouvelles instances permanentes et indépendantes qui contrôleraient ces services de renseignement).De même, les Etats devraient penser sérieusement à prévoir une législation qui imposerait de détruire  ou restituer toute information obtenue, une fois celle-ci utilisée pour l’objectif prévu.

 Aussi, ces agences de renseignement se limitent rarement  à la simple collecte et à l’analyse d’informations : dotées de pouvoirs exceptionnels,  elles interviennent en effet, à  d’autres niveaux tels que par exemple la possibilité d’arrestation, d’interrogation renforcée et de mise en détention des personnes suspectées  de détenir des informations sur des activités terroristes.

Un transfert de pouvoirs  et une sous-traitance a lieu subrepticement ce qui préoccupe le  Rapporteur spécial, y voyant un moyen de détenir une personne de manière arbitraire, injustifiée et prolongée et ce pour des motifs peu raisonnables et non suffisants au nom de la prévention. L’ensemble de leurs actes devraient être assujettis à un contrôle juridictionnel effectif, évitant ainsi que des pratiques anti-terroristes échappent au cadre de mécanismes visibles. Notre conception des Droits de l’Homme,  n’a pas encore eu le temps d’intégrer ces récentes méthodes de surveillance utilisées par l’Etat lequel peut, sans contrôle approprié, organiser le contenu de ces métadonnées reçues. 

 Martin Scheinin insiste pareillement sur l’urgence qu’il y a de mettre en place des mesures adaptées protégeant les lanceurs d’alerte contre des mesures de rétorsion juridique ou disciplinaire, d’où le besoin de rappeler aussi à chaque Etat, qu’ils ont  le devoir du respect du droit garanti sur le plan international, de chercher l’asile.  Implicitement, il s’agit ici d’une vive critique à l’égard du rejet instantané de la plupart des demandes d’asile qu’Edward Snowden avait adressé à une vingtaine de pays.

 La législation concernant la protection de ces personnes demeure encore fragmentaire et limitée si bien qu’il est à espérer que la commission d’enquête sur PRISM  puisse décider de lancer un rapport d’initiative  sur un tel statut. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le souhaitait déjà vivement en 2010 dans sa Résolution  1729 reconnaissant l’importance des « donneurs d’alerte », tant dans le privé que le public y compris les membres des forces armées et des services de renseignement dont font partie Snowden, Manning, Assange…

 Parmi les autres plans d’action permettant de garantir la protection  des données à caractère personnel et de la vie privée, il recommandé de mettre à jour l’article 17 du Pacte International relatifs aux droits civils et politiques dont les Etats-Unis sont signataires et ce de manière à ce qu’il puisse inclure dans sa définition, « la conduite des agences d’espionnage dans la sphère numérique ». Par ailleurs, Sheinin préconise fortement le recours à l’ article 41 du PIDCP  donnant le droit à tout Etat partie d’introduire un « plainte interétatique ou procédure d’arbitrage » contre les pratiques des agences d’espionnage (NSA et le GCHQ)  devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, aucune malheureusement n’ayant à ce jour été présentée.

 Par hasard, le Conseil qui se réunira en  mars 2014, va être amené à évaluer et donner son avis sur la conformité des lois domestiques des Etats-Unis avec le PIDCP, une évaluation qui risque bien de dévoiler  le mépris flagrant des droits de l’homme énoncés dans les articles 17 et 19 du Pacte International relatif aux droits civils  et politiques , révélant aussi plus simplement une incohérence entre la pratique et les déclarations publiques faites par l’Amérique.

 Les intervenants n’espèrent ici qu’une chose : que la politique des Etats-Unis puisse enfin s’aligner sur ses propres principes fondateurs et ce afin de regagner un semblant de crédibilité au sein de la Communauté internationale.

 Botsjan Zupancic, juge à la Cour européenne des droits de l’Homme, a également ajouté que s’il s’avérait que la NSA collabore illégalement aux activités d’écoute avec certains pays occidentaux et plus particulièrement l’Allemagne et la Grande-Bretagne,  grands pourvoyeurs de données personnelles, ceux-ci pourraient bien se voir attaqués par la CEDH pour avoir manqué de protéger la vie privée des citoyens européens alors qu’il s’agit bien d’une obligation positive. La Convention prévoit explicitement : « qu’un Etat ne doit pas simplement s’abstenir de porter atteinte à la vie privée, il doit aussi faire en sorte qu’il n’y ait pas de limitations arbitraires ». Autrement dit, un Etat ne peut ni commettre, ni tolérer une violation des droits de l’homme. Enfin, l’article 8 précise : « que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Ainsi, tout régime européen de protection des données révisé devrait commencer par la reconnaissance  explicite de nécessairement respecter les principes fondamentaux de la CEDH.

Mais il est fâcheux d’apprendre encore, que le ou les plaignants doivent prouver absolument l’incapacité des juridictions nationales à juger correctement les pratiques d’espionnage pour pouvoir espérer saisir la Cour de Strasbourg ( principe de la saisine conditionnée), ce que l’on appelle aussi ordinairement, dans le jargon juridique,  l’obligation d’épuiser d’abord toutes les voies de recours internes. Zupancic  soutient aussi que si l’on constate peu d’initiatives judiciaires portée devant la CEDH, c’est très probablement en raison du fait que cette dernière n’a pas l’autorité de «  renverser » les lois nationales et ne peut que constater les atteintes aux droits de l’homme et demander d’accorder les réparations appropriées aux personnes ayant été affectées. Ainsi, le problème réside dans le fait que la Cour n’a pas le pouvoir d’invalider les lois à l’origine de la violation et encore moins celui de mettre en doute, soit de réexaminer un jugement national, prononcé au mépris de la Convention.

 Pour Douwe Korff (Professeur de droit international à la London Metropolitan University et spécialiste de la vie privée), la possibilité d’utiliser la législation européenne pour contester ces systèmes de surveillance secrète doit à tout prix être saisie. La Cour européenne  des droits de l’homme elle-même met en garde contre de tels programmes destinés à protéger la sécurité nationale, qui ne peuvent que compromettre, voire détruire la démocratie, sous prétexte de vouloir la défendre.

Compte tenu des risques que comporte une telle hypothèse, des garanties adéquates doivent être apportées face aux  politiques publiques qui ne cessent de mondialiser la collecte et la diffusion d’informations dans une mesure sans précédent. Korff insiste pour que la primauté des droits consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme et développés dans la jurisprudence de la Cour du Luxembourg et de Strasbourg, soit réaffirmée. Ainsi que tout type de système de surveillance qui devrait être énoncé dans les sources écrites du droit européen et non pas dans des règles subsidiaires, des ordres ou des manuels. Des règles et interprétations inédites et secrètes sont fondamentalement contraires à l’Etat de droit, tout comme n’importe quelle règle qui serait trop imprécise que pour permettre au citoyen de prévoir dans quelles circonstances, il ou elle peut être placé sous surveillance. Raison pour laquelle la base juridique de toute immixtion dans la vie privée  ainsi que les principes de proportionnalité et de nécessité doivent clairement être définis.  « La vie privée n’a pas encore dit son dernier mot », a souligné  Martin Scheinin en conclusion.

 Dominique Guibert, Vice-Président de la « Ligue des Droits de l’Homme »  (organisation de défense des droits de l’homme), également présent lors de la session parlementaire du 14 octobre, nous explique que la LDH appuyée par la FIDH ont récemment dans une initiative collective,( cf. Nea say) saisi la justice française, en se fondant sur certains articles du Code Pénal venant sanctionner «  l’accès frauduleux à un système informatisé, la collecte de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, l’atteinte volontaire à l’intimité de la vie privée d’autrui et l’utilisation et conservation d’enregistrements et de documents obtenus par l’atteinte à la vie privée ». Ainsi une information judiciaire portant directement sur ces faits a été ouverte et ce dans le but de caractériser les infractions dénoncées. Il est à espérer maintenant que le jugement qui sera rendu par les magistrats instructeurs pourra servir de modèle aux autres systèmes juridiques européens, soit servir de jurisprudence positive pour l’avenir.

 D’ailleurs comme le soulignait Olivier Iteanu (avocat à la Cour d’appel de Paris) : « même si  une procédure n’aboutit pas, le simple fait de l’initier peut déjà constituer une alerte, un tir de sommation » qui montre de manière forte le refus de consentir à cette surveillance de masse appliquée par la NSA et d’autres sur nos terres européennes.

 Nick Pickles, co-directeur de Big Brother Watch Campaign (groupe de pression britannique de défense des libertés civiles et de la vie privée), a également élevé la voix contre tout projet du gouvernement britannique qui vise à renforcer de manière considérable l’échange d’informations et données personnelles outre-Manche. Il dénonce : « un pas sans précédent vers un système de surveillance comparable à ce qui se fait en Iran ou en Chine ».

Ainsi, l’Open Rights Group, Big Brother Watch, l’English PEN et l’universitaire allemande Constance kurz ont collectivement intenté une action contre le Royaume-Uni auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme. Ils accusent d’un commun accord les autorités britanniques d’avoir voulu illégalement contrôler, au travers des programmes PRISM et Tempora (programme de captation de données géré par le Government Communications Headquarters), les communications de leurs propres citoyens.

 Ils ont fondé leur action sur base de l’article 8 de la Convention relatif au respect de la vie privée, estimant que les autorités britanniques en avaient fait une interprétation trop large en termes d’exceptions. Le principal argument qu’ils ont fait valoir dans leur plainte était le suivant : « Le caractère nécessairement secret des interceptions, couplé avec la sensibilité et le spectre de certaines communications Internet, crée de sérieux risques d’intrusion arbitraire de l’Etat dans de nombreux aspects de la vie privée et des correspondances ».

Il s’agit, depuis le début des révélations faites par Snowden, d’un premier essai de condamnation  au niveau européen. Si le Royaume-Uni devait être sanctionné, cela pourrait favorablement influencer les autres Etats signataires de la CEDH et les amener à revoir leurs systèmes de protection.

 Les actions judiciaires par les collectifs contre les programmes d’espionnage se multiplient jour après jour, espérons que demain de telles initiatives pourront être menées d’un point de vue individuel. Pour changer la dynamique de pouvoir, un élan doit provenir pareillement de la société civile.

 Le Sommet Européen des 24 et 25 octobre, davantage consacré aux enjeux du numérique, permettra de revenir au plus haut niveau sur cette problématique.

 

Géraldine Magalhães

 

Pour en savoir plus :

        -. Parlement européen- Communiqué de presse « Le stockage massif des données viole le droit européen et international, selon des experts, 15 /10 /2013,http://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/content/20131014IPR22234/html/Le-stockage-massif-des-donn%C3%A9es-viole-le-droit-europ%C3%A9en-et-international

       -. Parlement européen : Press release- « Mass storage of data breaches EU  and international laws, experts tell  EP  inquiry, 14/10/2013,http://www.europarl.europa.eu/news/en/news-room/content/20131014IPR22234/html/Mass-storage-of-data-breaches-EU

       -. Slate- R. Gallagher- « NSA snooping exposed by Snowden breaches international law, experts say”,http://www.slate.com/articles/technology/future_tense/2013/10/martin_scheinin_u_s_u_k_surveillance_programs_violate_iccpr.html

      -. Slate- A.Fradin– « Vous pouvez porter plainte contre la NSA ! », 18 /06 /2013, http://www.slate.fr/story/74123/prism-nsa-france

       -. Voltaire- M.Sheinin- « Les méthodes spéciales  antiterroristes sont inefficaces et illégales », 29/03/2009, http://www.voltairenet.org/article159487.html

       -. LDH-Toulon-« affaire Prism : le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire, 29/08/2013, http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article5507  http://www.ldh-france.org/IMG/pdf/plainteprism-finale.pdf

       -. PCinpact- X.Berne, « Surveillance : le Royaume-Uni traîné en justice devant la CEDH », Première Manche, le 04/10/2013, http://www.pcinpact.com/news/82754-surveillance-royaume-uni-traine-en-justice-devant-cedh.htm

       -. Big Brother watch, « Press Comment: NSA spying, GCHQ and Prism, http://www.bigbrotherwatch.org.uk/home/2013/06/press-comment-nsa-spying-gchq-and-prism.html

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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