Armes à feu : après l’échec aux Etats Unis, l’Union « s’arme » contre les fusillades en Europe.

Aux Etats Unis, le carnage de dizaines d’enfants à Newtown en décembre 2012 avait relancé le débat sur le port d’armes à feu. Le fiasco d’une loi trop prudente et la rage d’Obama avaient fait la une des journaux dans le monde entier. Mais qu’est-ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique ? Tuusula et Kauhajoki (Finlande), Winnenden (Allemagne), Cumbria (Royaume Uni), Alphen aan den Rijn (Pays Bas), Liège (Belgique), Utoya (Norvège), Montauban et Toulouse (France). Voilà la liste des « Newtowns » européennes des dernières années. Hélas, elle n’est pas exhaustive.

 Chaque année, plus d’un millier de personnes dans l’Union est tué par des armes à feu. Un bain de sang qui n’épargne aucun Etat Membre et qui pourtant passe en sourdine. Les chiffres sur les armes à feu ne sont pas moins inquiétants : entre 10% et 20% des armes à feu détenues légalement est détourné vers les marchés criminels et près de 500.000 armes, perdues ou volées, manquent toujours à l’appel. Comme si ce n’était pas suffisant, les nouvelles technologies rendent plus facile la fabrication et le commerce de ces instruments de mort.

 Face à cette situation, Bruxelles se prépare à « armer » son appareil législatif : la Commissaire aux Affaires Intérieures Cecilia Malmström vient de présenter le 21 septembre dernier une communication sur le sujet. Ce premier pas s’est produit peu après le vote en commission LIBE la semaine passé sur la conclusion au nom de l’Union du protocole des Nations Unies contre les armes à feu illicites. Une ambiance que, l’on peut imaginer, le Président Obama aurait bien voulu au Congrès américain.

 Le dossier semble être sensible aux yeux de la population européenne. Selon un récent sondage de l’Eurobaromètre, publié par la Commission à cette même occasion, 55% des Européens pensent que la loi devrait être durcie quant aux autorisations à acheter des armes à feu. Près de 58% des interviewés s’est dit en faveur de standards communs minimaux au niveau de l’Union. Le moment semble mûr pour la Commission européenne pour entamer une première réflexion sur l’approche à adopter à l’échelle communautaire. Des pistes de réflexion : pour l’instant, il ne s’agit que de ça, tellement le dossier demeure sensible pour les Etats Membres. Toutefois, Mme Malmström a déjà présenté des propositions concrètes.

Un premier champ d’action concernerait le droit européen déjà existant. La norme européenne en la matière s’inspire largement du droit onusien, comme c’est le cas de la directive 2008/51/CE qui règle les transferts d’armes à feu au sein de l’Union ou du règlement 258/2012 encadrant le commerce d’armes à l’extérieur. Malgré ces instruments, des divergences persistent entre les Etats Membres et les vides juridiques qui se produisent profitent aux organisations criminelles opérant dans le territoire de l’Union. C’est pourquoi la Commission envisage des solutions permettant de remplir ces vides en renforçant la coopération entre les Etats Membres et avec les pays tiers.

 L’action de la Commission se fonderait sur quatre principes : la sauvegarde du marché licite des armes à feu civiles, la prévention du détournement d’armes à feu vers les réseaux criminels, une pression accrue sur les marchés de la criminalité organisée et le développement des connaissances sur le phénomène. Quant à la protection des marchés licites, la Commission européenne pense à un tour de vis sur les autorisations à délivrer pour les armes les plus dangereuses, ainsi qu’à un système commun de marquage permettant de retracer les armes tombées dans les mains des criminels. Et pour contrer le détournement de ces produits, l’Union s’engagerait à fournir de l’assistance technique aux pays tiers les plus affectés par ce phénomène, ainsi qu’à se doter de règles communes pour le stockage et la désactivation des armes à feu. Pas moins importants sont les nouveaux défis technologiques qui s’imposent à l’attention des législateurs : la possibilité d’acheter en ligne facilement des pistolets ou de fabriquer chez soi des parties d’armes à l’aide d’imprimantes 3D nécessite une intervention forte de la part les législateurs

.La Commission européenne prévoit d’octroyer des fonds afin d’accroître la coopération entre les autorités policières et les gardes-frontières par un meilleur échange d’informations et la direction d’opérations conjointes visant cette typologie de crime. Encore, l’action de la Commission s’attaquerait au secteur pénal, en proposant des sanctions minimales communes aux 28 Etats Membres. Dernier point d’intervention, l’amélioration des connaissances sur le phénomène : pour cela, il est proposé de mieux exploiter les bases de données déjà existantes au sein de l’Union, telles que le système de gestion du risque pour les douanes et son système d’information, ainsi que le système d’information d’Europol. La formation des autorités policières sera aussi renforcé à l’aide de CEPOL.

 Comme l’a précisé la Commissaire suédoise, les propositions énumérées demeurent à un stade embryonnaire. La Commission européenne va débattre du dossier avec le Parlement Européen, les Etats Membres et les différents stakeholders européens dans les mois prochains. Pour l’instant, l’ambiance semble favorable, du moins du côté de Bruxelles, la commission LIBE ayant déjà exprimé son soutien à la conclusion au nom de l’Union du Protocole des Nations Unies contre le trafic illicite d’armes à feu. Le projet de recommandation, confiée à la députée française Véronique Mathieu Houillon (PPE), sera voté le 10 décembre prochain à Strasbourg. Il reste à voir si une loi européenne aboutira à un sort différent que celui réservé à la loi américaine.

 Gianluca Cesaro

 

Pour en savoir plus :

–                  Communiqué de presse de la Commission – 21/10/2013 – (EN) – http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-980_en.htm   (FR) –  http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-980_fr.htm

 –                  MEMO de la Commission – 21/10/2013 – (EN) –  http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-13-916_en.htm

 –                  Proposition de Décision du Conseil relative à la conclusion, au nom de l’Union européenne, du protocole contre la fabrication et le trafic illicites d’armes à feu – 22.03.2013 – (EN) – http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/com/com_com(2013)0154_/com_com(2013)0154_en.pdf – (FR) –  http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/com/com_com(2013)0154_/com_com(2013)0154_fr.pdf

 –                  Projet de recommendation (rapport Mathieu) – 19.09.2013 – (EN) –  http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/libe/pr/1003/1003187/1003187en.pdf  – (FR) – http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/libe/pr/1003/1003187/1003187fr.pdf

 –                  Sondage Eurobaromètre « Firearms in the European Union » – Oct 2013 – (EN) – http://ec.europa.eu/public_opinion/flash/fl_383_en.pdf

      -. Article d’EU Logos « Contre le trafic illicite d’armes à feu, le feu vert de la commission LIBE » – 07/10/2013 – (FR) – http://europe-liberte-securite-justice.org/2013/10/07/contre-le-trafic-illicite-darmes-a-feu-feu-vert-de-la-commission-libe-du-parlement-europeen-le-scandale-va-t-il-cesser/

      -. Dossier des armes de Nea Say http://www.eu-logos.org/eu-logos-nea-recherche.php?q=armes&Submit=%3E

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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