Le Times titrait sur l’UE: « Unis dans l’hostilité » : a-t-il vu juste ?

En ce mois d’octobre 2013, a été publié le rapport annuel de l’ECRI : nous verrons en quoi consistent ses activités et les tendances globales relatives au racisme, à l’intolérance, à la xénophobie et aux discriminations relevées pour l’année 2012. Nous mettrons cela en relation avec la conférence organisée par ENAR le 17 octobre dernier : « Political participation of ethnic and religious minorities in the context of the European elections : pathways to empowerment ». Finalement, l’Union européenne mérite-t-elle la devise qu’elle s’est attribuée ? (« Unis dans la diversité »)

Si sa création remonte à l’année 1993, ce n’est qu’en 2002 que l’ECRI (European Commission against Racism and Intolerance) obtient un statut autonome. Il s’agit d’un pan du Conseil de l’Europe chargé de la surveillance de ce qui est relatif au racisme, à l’intolérance, à la discrimination raciale, la xénophobie et l’antisémitisme. Ses activités sont variées : l’ECRI rédige un ensemble de rapports pays par pays (en 2012, 10 rapports ont été réalisés), mais également des recommandations qui devront constituer des lignes directrices pour les gouvernements visés. Soulignons que l’ECRI mise sur une réelle stratégie de coopération : avec la société civile d’abord (participation aux événements des ONG, à des tables rondes), avec des organes spécialisés, avec le Conseil de l’Europe et d’autres organisations comme l’ONU, et enfin avec l’Union européenne (liens très étroits avec certaines DG, avec la FRA et coopération avec EQUINET).

Ce qui est particulièrement intéressant dans le rapport, outre les aspects plus organisationnels, est contenu dans les tendances globales observées pour l’année 2012. D’abord, l’ECRI souligne les effets néfastes de la crise économique. Ainsi, celle-ci ayant rendu vulnérables nombre de citoyens européens, ceux-ci sont rattrapés par des instincts les plus primaires : trouver un coupable. Les minorités sont de ce fait montrées du doigt, phénomène d’autant plus exacerbé que la rhétorique nationaliste s’étend dans des partis les plus traditionnels. Les Roms, par leur mode de vie ont constitué la cible idéale de l’ensemble de ces discours haineux. ECRI invite les gouvernements à accepter la multiculturalité qui les compose en acceptant une réalité simple : le continent européen a besoin de l’immigration. Puisque c’est une réalité avec laquelle il faudra de toute manière composer, que l’on soit partisan ou non du multiculturalisme, définissons-en dès aujourd’hui les contours pour un vivre-ensemble retrouvé.

Les partis xénophobes sont eux-aussi de plus en plus nombreux à s’insérer dans les parlements nationaux, la Grèce n’étant à ce sujet qu’un exemple.

Il est également impératif de s’assurer que le principe de non-refoulement soit respecté pour les demandeurs d’asile, Lampedusa devant servir à ce titre d’exemple.

L’ECRI pointe du doigt également ceux qui, parce qu’ils n’ont pas d’Etat, sont souvent oubliés : les apatrides. Pourtant, ils ne sont pas moins de 700 000 à travers l’Europe.

On peut, par ailleurs, se féliciter que dans de nombreux gouvernements, des organes officiels aient été crées pour l’égalité ou les droits de l’Homme : cela permet un accroissement de l’expertise et de l’impact politique. Cependant, nous pouvons craindre que des organes à la base critiques vis-à-vis des bavures gouvernementales dans certains domaines deviennent des organes complices et bienveillants car dépendants de celui-ci.

L’ECRI déplore également la hausse des discours haineux sur internet.

 

Pour la situation des Roms, le cadre européen se doit d’être appuyé par des mesures concrètes de la part des Etats membres.

Pour ECRI, la liberté d’expression est cruciale et il est nécessaire de lutter contre le peur de l’islam : il est largement répandu que la volonté ultime des musulmans serait de reconnaître la charia. Finalement, ces postulats reposent sur un manque de dialogue chronique : de ce fait, chacun pose des jugements, a des a priori, des scénarios bien ficelés.

Le milieu du sport est particulièrement touché par des actes racistes. Citons par exemple les débats récurrents en France sur le nombre de joueurs à la peau noire qui composent l’équipe. Des codes de conduite doivent être élaborés pour pallier à cela.

Les discriminations multiples doivent également faire l’objet de réponses appropriées et le protocole 12 de la Convention européenne des droits de l’homme sur les discriminations se doit d’être ratifié en masse (jusqu’ici 18 Etats sur 47 l’ont fait).

L’ensemble de ces actes d’intolérance, de ces marques racistes et de ces discriminations sont particulièrement inquiétants au vu des élections européennes qui se profilent. C’est donc à cette thématique qu’ENAR s’est attelé.

Pour Kinga Göncz (S&D), nous avons une responsabilité partagée face au risque de la montée des partis extrémistes. Il est nécessaire d’augmenter le nombre de candidats issus de minorités de manière à stimuler celles-ci au vote, se sentant enfin représentées.

Raïl Romeva i Rueda (Verts/ALE) met la représentation au centre du débat : le Parlement se doit d’être représentatif de la population européenne. On assimile trop souvent pour lui la diversité européenne à celle qui existe entre les 28 EM, pourtant on oublie que la diversité est présente dans chacun même de nos Etats. Si nous avons besoin de la candidature de plus de personnes issues des minorités, c’est bien parce que la société est ainsi composée. La seconde notion est celle d’ « empowering » : il faut donner le pouvoir à ces minorités de s’insérer dans les institutions. Ainsi, ce serait un leurre d’imaginer que cela pourrait se faire naturellement : il n’est ici nullement question de capacités mais plutôt du manque de possibilité de recours aux mécanismes permettant d’être formellement reconnus. Pour lui, si notre devise est « Unis dans la diversité », l’identité que nous cherchons à construire doit être basée sur de multiples identités qui s’emboîtent les unes aux autres de manière dynamique.

Simon Woolley (Operation Black Vote) faisait également parti du panel d’invités de prestige de cette conférence. Pour lui, lors des prochaines élections, nous devons voir la solidarité en action. Si les minorités disposent de faibles ressources, les aspects quantitatifs sont de leur côté. Car aujourd’hui, ce ne sont pas tant les arguments qui comptent mais le nombre de ceux qui les portent. Il évoque le fait que nombre de politiques préféreraient que, comme c’est souvent le cas, les minorités prennent peu part au vote pourtant il insiste sur le fait que si chaque minorité s’exprimait, ce serait « un game over pour eux tous ».

Pour Karima Zahi (Lobby européen des femmes), la clé pour les minorités est l’accès aux réseaux : tout cela dans le but de visibilité accrue.

Mouwan Muhammad (CCIF) évoque quant à lui les obstacles liés à la représentation : l’auto-perception que les individus ont d’eux-mêmes constitue un frein en soi. Ainsi, avant de passer à l’action se pose la question de : « En suis-je capable ? ». Malheureusement, se sentant comme étrangers au système, comment penser qu’y prendre part soit même possible ? Le préjudice est alors double : il y a le préjudice mesurable et celui qui ne l’est pas, celui que s’infligent elles-mêmes des centaines de personnes et qui ne se réglera pas à coups de lois. La solution se trouve selon lui peut être dans l’éducation mais surtout dans l’organisation de ces minorités.

Zelijko Jovanovic (OSF) insiste sur la différence entre l’organisation et la mobilisation : l’organisation est bien plus sérieuse puisqu’elle suppose la création de structures. Si les personnes les plus extrêmes parlent fort, le problème réside dans le silence des modérés. Il propose un système de quotas pour une représentation plus juste.

En conclusion, le rapport annuel de l’ECRI l’a mis en évidence : la montée du racisme et de l’intolérance sont largement perceptibles que ce soient dans les médias, les milieux sportifs, le monde politique. Cette hausse est tellement perceptible que l’on peut s’inquiéter au vu des élections européennes : la conférence d’ENAR offre certaines pistes de réflexions à ce sujet. Les minorités doivent prendre conscience de la puissance de leur nombre, de leur auto-capacité à faire valoir leurs idées, l’ensemble devant être encouragé par la classe politique en place. Ainsi, comment s’identifier à une Europe qui ne serait pas le reflet des identités qu’elle abrite ? Comment parler de valeurs dans une construction où chacun n’aurait pas son mot à dire ? Comment donner un futur à une Union européenne qui ne serait pas capable d’être fière de son présent ?

 

Louise Ringuet

 

Pour en savoir plus :

       -.Site web de l’ECRI : http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ecri/default_en.asp

      -. Rapport annuel de l’ECRI  : http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ecri/activities/Annual_Reports/Annual%20report%202012.pdf

      -. Article du Times – « United by hostility » – Réservé aux abonnés : http://www.ft.com/intl/cms/s/ad0d6aee-31ad-11e3-817c-00144feab7de,Authorised=false.html?_i_location=http%3A%2F%2Fwww.ft.com%2Fcms%2Fs%2F0%2Fad0d6aee-31ad-11e3-817c-00144feab7de.html%3Fsiteedition%3Dintl&siteedition=intl&_i_referer=#axzz2iurnZHNd

      -. ENAR – Press Statement – « Increasing minorities representation in the EP : Time to act ! » : http://cms.horus.be/files/99935/MediaArchive/2013-10-15%20political%20participation%20press%20release.pdf

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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