Bangladesh : une indépendance pas encore complètement digérée

Le 21 novembre dernier, le Parlement européen est sorti de ses enjeux purement européens et s’est projeté à Dacca, capitale du Bangladesh où l’approche des élections paralyse le pays. Nous saisirons cette occasion pour dépeindre au mieux le climat ambiant pour revenir à Strasbourg et au ressenti des différents députés sur la question.

 L’année 2013 commencera intensément au Bangladesh : dès le 5 janvier auront lieu les élections législatives. Deux partis s’opposent principalement : celui de Sheikh Hasina (au pouvoir depuis 2009), le parti de la Ligue Awami et le BNP (Bangladesh Nationalist Party) de Ziaur Rahman. Traditionnellement au Bangladesh, trois mois avant les élections, un gouvernement des affaires courantes est mis en place de façon à en assurer l’impartialité. Cependant, le gouvernement instauré par la ministre composé de membres de la Ligue Awami et de certains opposants n’a pas été jugé suffisamment neutre par le BNP qui demande de ce fait l’annulation des élections. Pour montrer son mécontentement, le BNP a organisé une vague de grèves pendant 48h. La police a déjà fait une trentaine de blessés : gardons à ce sujet en tête que l’année 2013 est d’ores et déjà la plus meurtrière depuis l’indépendance en 1971.

 Le climat politique est tendu, donc. Notons que le climat social n’est quant à lui pas plus paisible. En décembre dernier, un accord avait été conclu sur un nouveau salaire mensuel moyen pour les ouvriers du textile : celui-ci a été fixé à 68 dollars (soit une augmentation de 76%). Grande avancée diront certains. Pourtant, les syndicats avaient placé leur requête à 103 dollars. De ce fait, le 17 novembre dernier, plusieurs milliers d’employés de l’industrie textile ont manifesté : ainsi, au vu de l’inflation rampante, les 68 dollars sont d’autant plus insuffisants. Mais quel lien avec l’Union européenne ? Il est important d’avoir bien en tête que le secteur textile représente 80% des exportations du Bangladesh et que ce pays est le deuxième fournisseur de l’Europe. Le Bangladesh aurait largement profité du projet « Tout sauf les armes » mis en place en 2001 par l’Union européenne afin d’encourager les exportations des PMA.

 On le voit donc, le Bangladesh, s’il trouve rarement sa place dans les unes de nos journaux, semble embourbé dans une crise à la fois politique et sociale. C’est fort de ce constat, que le Parlement européen a décidé le 21 novembre dernier de débattre du contexte bangladeshi. De Keyser (S&D) a elle commencé son intervention en rappelant le triste événement du 24 avril dernier où l’immeuble Rana Plaza s’était effondré : dans cet immeuble, un atelier textile où s’affairait du matin au soir pour un salaire de misère. Plus de 1127 personnes avaient trouvé la mort lors de cet événement, symptôme des conditions laborieuses dans lesquels les ouvriers doivent s’insérer.

  Mme Vergiat (GUE), quant à elle, a fait allusion aux nombreuses condamnations à mort qui sévissent encore dans le pays. Souvenons nous de la condamnation à mort de 824 personnes pour mutinerie en 2010. Les principaux problèmes seraient liés à la corruption, l’accès restreint à une défense appropriée, et la politique du gouvernement souhaitant élargir le champ d’application de la peine de mort.

 Bennion (ADLE) souhaite en ce sens que la résolution ne se penche pas exclusivement sur les élections mais également sur les problèmes liés à la justice. Pour chacun, il est primordial que les deux principaux partis politiques s’éloignent du climat de méfiance dans lequel ils baignent pour aller vers le progrès déjà entamé lors des élections de 2008. De même, la société civile doit cesser d’être étouffée, et leurs revendications ignorées. La peine de mort est également un important sujet de préoccupation : les persécutions ne peuvent être utilisées en guise de sanctions. La résolution du Parlement met en évidence le fait qu’un gouvernement d’intérim n’est pas absolument nécessaire pour des élections justes : ce qui doit primer c’est que « le gouvernement bangladais et l’opposition doivent faire passer les intérêts du pays avant tout et trouver un compromis qui donne au peuple l’occasion de faire entendre sa volonté démocratique ». Il est également mis l’accent sur les minorités (hindous, chrétiens..) qui se doivent d’être protégées, particulièrement dans ce contexte électoral. La guerre d’indépendance de 1971 a laissé des traces, il est donc crucial de juger un ensemble d’individus s’étant rendus coupables de crimes de guerre afin que le Bangladesh retrouve sa cohésion perdue.

 En conclusion, les débats au Parlement européen auront au moins permis de mettre le Bangladesh sur le devant de la scène : si les députés n’auront rien apporté de bien plus concret dans leurs interventions que ce que le faisait déjà le texte de la résolution, on saluera cet état des lieux trop souvent négligé dans nombre de médias. La Commission européenne a formulé son espoir de pouvoir compter d’ici 2020 le Bangladesh parmi les pays à revenu moyen. Au vu du contexte politico-social, on peut en douter, mais qui sait ? Si les prochaines élections éloignent  toute corruption, la volonté démocratique pourrait alors porter le pays vers la réussite socio-politico-économique !

 

Louise Ringuet

 Pour en savoir plus :

       -. Le Monde.fr – « Bangladesh : l’opposition bloque routes et chemin de fer » – 26 novembre 2013 : http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/11/26/bangladesh-l-opposition-bloque-routes-et-chemin-de-fer_3520315_3216.html

       -. Le Monde.fr – « Au Bangladesh, les ouvriers sont parmi les moins bien payés au monde » – 19 novembre 2013 : http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/11/19/les-ouvriers-du-bangladesh-sont-parmi-les-moins-bien-payes-au-monde_3516282_3234.html

       -. Le Monde.fr – « Au Bangladesh, plus de 1700 morts depuis 1990 dans des ateliers textile » – 19 novembre 2013 : http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/05/14/bangladesh-plus-de-1-700-morts-depuis-1990_3176155_3216.html

       -. Libération – « Bangladesh, les fantômes sanglants de l’indépendance » – 19 novembre 2013 : http://www.liberation.fr/monde/2013/11/19/bangladesh-les-fantomes-sanglants-de-l-independance_948098

       -. « Ensemble contre la peine de mort » – Bangladesh : http://www.abolition.fr/fr/pays/bangladesh

 Résolution du Parlement européen du 21 novembre 2013 sur le Bangladesh : droits de l’homme et prochaines élections :  http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+TA+20131121+SIT-03+DOC+PDF+V0//FR&language=FR

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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