La République à l’épreuve de l’islam, des islams, du religieux, de l’islamophobie

Le jeudi 14 novembre dernier s’est tenue la conférence de l’IRIS (1) (Institut de relations Internationales et Stratégiques) sur une  thématique ancienne qui n’a pas pris  une ride : la compatibilité entre la République française et l’islam. Ce colloque était divisé en trois panels : l’un sur les conséquences pour la France de la montée de l’islam politique dans le monde arabe, l’autre sur un état des lieux de l’islam en France et le troisième sur la menace ou l’opportunité ‘d’une menace éventuelle que constituerait l’islam pour la République. Face à un tel panel d’intervenants, nous ne pouvions douter de la qualité d’un débat dont on peut déplorer qu’il n’ai pas plus souvent lieu et dans le cas présent ne soit pas plus et mieux relayé par les médias. De ce fait, amalgames et phrases chocs se multiplient tandis que les français se divisent.

 C’est à Bariza Khiari, vice-présidente du Sénat qu’est revenu l’honneur de faire l’allocution d’ouverture du colloque. Elle commence par affirmer que plus que la question de la compatibilité de la République avec l’islam, c’est de la compatibilité de celle-ci avec le religieux dans sa globalité qu’il serait plus juste de traiter. Ainsi, lors des manifestations pour le Mariage pour tous, on a pu voir un regain notamment de la religion catholique sous la houlette de l’icône dont la crédibilité n’a d’égale que le nom qu’elle s’est donné, Frigide Barjot. Selon elle, les slogans bien connus du « Touche pas à mon pote! » ou de « Ni pute ni soumise » ont juste fourni un échappatoire pour les pouvoirs publics qui se sont fait une joie de déléguer ces thématiques à un ensemble d’associations. Pourtant, le politique tend à manquer aujourd’hui. D’autant plus que le contexte qui est le nôtre fragilise la cohésion sociale : crise économique, montée du populisme. Finalement, le musulman est devenu la nouvelle figure de l’Autre, cet autre à qui on aime attribuer les défauts de sa propre ignorance. Pas étonnant donc selon elle que « les jeunes s’emparent de la religion comme un bras d’honneur à tous ceux qui les rejettent ». Un bras d’honneur, c’est bien cela qui a manqué, à son goût,  dans l’affaire Taubira : le niveau d’indignation est ainsi tombé bien bas selon elle. On en viendrait à confondre « liberté d’expression et expression des préjugés ». L’intégration des musulmans est pour elle le test de notre République. En cette période de crise, il lui apparaît comme évident que beaucoup se retrouvent dans leur spiritualité au même rythme que la croyance en de meilleurs lendemains s’évapore. De même, la portée émancipatrice de la religion ne peut être oubliée : celle-ci permet d’être conscient de son origine pour mieux s’inscrire dans une histoire collective. Finalement, si pour Sartre, « l’antisémite fait le juif », aujourd’hui c’est bien « l’islamophobe qui fait le musulman ». Elle s’oppose également à tous les débats sur la pertinence ou non de l’islamophobie : la question est moins dans les termes que dans la nécessité d’un débat. De nos jours, l’identité s’efface, les mine dépitées des français pouvant être inter-changées à souhait. Si la profession a longtemps aidé l’individu à se définir, aujourd’hui il n’est plus maître du fruit de son travail, Charlie Chaplin ne croyait pas si bien dire (si le mot est ici approprié). La réponse est simple selon la vice-présidente du Sénat : soyons dans la connaissance de l’Autre et dans une « laïcité de sang froid » comme le promeut Jean-Louis Bianco.

 Pouria Amirshahi (député des Français de l’étranger, secrétaire de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale) a repris le flambeau des débats en ouvrant le premier panel de discussions sur les conséquences de l’islam politique dans le monde arabe sur la France. Il tient à remettre d’emblée les choses en place : l’affirmation de l’islam politique n’est ni un phénomène nouveau ni arabe. Pas nouveau donc car déjà, dans les années 1920, les Frères musulmans s’étaient construits autour du slogan « l’islam est la solution ». Ni arabe car l’islam est présent à des degrés divers, dans des constitutionnalités différentes, il commande la chose publique en Turquie ou en Iran par exemple. Deux thèses s’affrontent :

       -.  celle selon laquelle nous sommes face à un islam politique durablement implanté qui va modifier la donne géopolitique, et ce, pour longtemps : 

      -. celle selon laquelle nous serions au contraire face à un reflux

 Face à ces deux thèses, il tient à préciser que s’il existe effectivement une politisation de l’islam, il n’y a pourtant aucune référence à l’islam dans les printemps arabes. De ce fait, présenter les choses de manière binaire, comme cela est souvent le cas, pourrait avoir des conséquences politiques redoutables.

 Il insiste fortement sur la notion de diplomatie. Il est ainsi indispensable pour les relations diplomatiques de la France que celle-ci soit capable de prendre conscience qu’il n’y a guère de peuples absolument engagés dans un islam politique dans les pays à dominante musulmane. Pour lui, le printemps arabe c’est avant tout des masses en mouvement qui parlent d’autre chose que de leur appartenance à l’islam. C’est bien de « l’alliance du pain et de la liberté » dont il est question, bien plus que de convictions religieuses dont nombre d’entre eux préfèrent même s’en prémunir. Il résume son idée par le fait que « nous fantasmons beaucoup plus qu’eux-mêmes ». Alors que les revendications portent sur des aspects tout à fait rationnels, on aime y ajouter un brin de spiritualité et de conclusions simplificatrices rentrant dans les schèmes qu’on a pris habitude de se construire. Dans tous les cas, que l’islam politique, soit au coeur de ces sociétés ou non, il ne revient guère à la France de porter là-dessus un jugement : il est indispensable de saisir toutes les occasions de paix qui se présentent.

 Pouria Amirshahi a finalement lancé un appel à cesser toute vision binaire des événements : une grande responsabilité incombe à tous les canaux qui se font les relayeurs de ce qui se passe ailleurs. Il faut éduquer la population à penser, réfléchir, s’ouvrir, le tout hors du prisme de la peur. Il faut assumer nos liens avec l’Afrique et le Moyen-Orient. Le député français a conclut sur les mots de Robespierre : « rendons-les au bonheur, à la patrie, à la vertu, en leur rendant la dignité d’hommes et de citoyen ; songeons qu’il ne peut jamais être politique, quoiqu’on puisse dire, de condamner à l’avilissement et à l’oppression, une multitude d’hommes qui vivent au milieu de nous ».

Jean-Pierre Chevènement, que l’on ne présente plus, a ensuite pris la parole. Son maître mot sera la rationalité. Pour lui, pas de débats : les musulmans sont des hommes comme les autres et à ce titre, la République est parfaitement compatible avec la religion musulmane. Il a affirmé souhaiter un « islam de progrès ». Si la vice-sénatrice préférait parlait de la république à l’épreuve du religieux, Chevènement changerait le titre du colloque en « la République à l’épreuve des islams ». En effet, l’islam n’est pas un, il est infiniment divers. Pour lui, les révolutions arabes constituent un phénomène très sympathique au départ : il s’agissait alors pour eux de participer au devenir de leurs sociétés. Ce n’est qu’au moment des élections que l’islamisme politique est apparu. A la question du pourquoi, il répond sous l’angle de la globalisation. L’islamisme politique constitue pour lui une réaction identitaire à l’hyper individualisme de nos sociétés. Pourtant, sur la question des remèdes, Jean-Pierre Chevènement refuse toute ingérence française. Il prouve que lui aussi sait manier les citations à merveille s’agissant de Robespierre. Ainsi, « la démocratie ne s’exporte pas à la force des baïonnettes ». Ce sont aux sociétés de choisir leur propre trajectoire et de déterminer ce qui constitue une évolution ou pas. Ainsi, la République, ce n’est pas que des valeurs individualistes mais aussi collectives : s’il faut protéger les droits de l’Homme, n’oublions pas ceux du citoyen. De plus, il est nécessaire de développer une approche cohérente : pas question pour lui de soutenir les islamistes suivant l’intérêt géopolitique poursuivi dans la zone. De même, faisons la part des choses entre islam tolérant et islam radical afin d’être en accord sur les termes et « dégager ensemble les voies d’un projet partagé ».

 Jean-Pierre Filiu (professeur à Sciences-po Paris) a ensuite pris le relais, après quelques corrections sur les notions historiques avancées par Jean-Pierre Chevènement. Par ailleurs, il avance que l’état du débat provoqué par les révolutions arabes s’est grandement dégradé. Il explique cela par la difficulté de comprendre des gens qu’on ne voit pas, les choses sont toujours beaucoup plus compliquées quand on les voit de près. De plus, les diplomates sur place rencontre un certain nombre de difficultés, d’où un certain cloisonnement, de leur personne et de l’information. On ne parle que de djihadistes plutôt que d’évoquer l’UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens) par exemple, incarnation historique du mouvement social tunisien et acteur essentiel de l’indépendance tunisienne. Quant aux islamistes au pouvoir, s’ils ont beaucoup restreint les libertés publiques, ils ne l’ont en aucun cas fait au nom de la charia : du coup, il est difficile contrairement aux idées reçues de parler d’islamisme. Finalement, pour lui, tout cela n’a rien à voir avec l’islam mais tout avec la politique. La question de l’islamophobie est à ranger au rang des « querelles franco-françaises ». Il conclut donc sur un appel : « arrêtons de nous aveugler face à des sociétés très complexes, très vivantes, cherchons à voir derrière la douleur et la terreur quelle forme pourrait prendre leur émancipation ». Pour lui, nous avons au moins un devoir de conscience à leur égard.

 Pour clore ce panel, Majed Nehmé (directeur de publication Afrique Asie) prend à son tour la parole. Lui aussi conteste le terme d’islam politique. Ainsi, il est selon lui prématuré de parler d’une affirmation des forces de l’islam politique. Avant d’en arriver à de telles conclusions, ayons bien en tête le décalage existant entre le temps médiatique et le temps historique. C’est bien pour cela qu’il préfère parler de bouleversements majeurs plutôt que de révolution arabe. Le problème dans tout cela, ce n’est pas l’islam mais l’ensemble des organisations ou partis qui souhaitent réaliser leurs objectifs par la Terreur comme Al Quaeda. Ces organisations attirent les déçus de l’islamisme politique et ceux qui s’opposent aux politiques « deux poids deux mesures » de l’Occident. L’ensemble a été selon Nehmé favorisé par la myopie des régimes occidentaux qui n’ont pas hésité à courtiser ces mouvements pour des intérêts mercantiles. Il est donc impératif que la France ne joue pas avec les contradictions internes du monde arabe. Elle doit au contraire mener une politique audacieuse d’intégration et de plein accès à la citoyenneté. Si l’anti-racisme a été la bonne conscience de la gauche il est temps de se remémorer que la République, c’est avant tout le primat de la citoyenneté sur l’identité : pourtant, on ne cesse de renvoyer les individus à leur identité.

 Le deuxième panel sur l’état des lieux de l’islam en France s’est ensuite ouvert. Samir Amghar (chercheur associé à l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord) a d’abord consacré ses premiers mots au phénomène de réislamisation observable en France. Cela est notamment perceptible au travers de l’essor de « l’islam militant ». Celui-ci comprend des personnalités, organisations ayant une vision précise de l’islam, organisés en mouvements sociaux qui usent d’un argumentaire social illustrant un islam pleinement engagé. Si cet islam militant reste minoritaire, il dispose d’une capacité de mobilisation et d’influence très importante. A la question de l’accommodation possible de l’islam aux valeurs républicaines, il note une forme d’acculturation. Pour lui, il faut essayer d’enraciner l’islam des pays d’origine dans les réalités culturelles des pays d’accueil. Ainsi, il est tout à fait possible d’être un musulman tout en étant un bon citoyen, de promouvoir l’intégration plutôt que l’exclusion. Pour lui, c’est « au nom de valeurs empruntées à la société française que je tente au nom de mon appartenance citoyenne de défendre identité musulmane quand celle-ci est malmenée ». La question est finalement : « jusqu’à quel point peut-on accepter une pratique de l’islam sans que soit remise en cause la citoyenneté ? ».

 Marwan Muhammad (porte parole du Collectif contre l’Islamophobie en France) commence son intervention par le constat suivant : considérer les musulmans comme un problème relève de la construction plutôt que de la réalité. Cette question de la compatibilité ou non de l’islam avec la république est de toute façon une bonne occasion pour réfléchir aux nouvelles questions posées. Pour lui, la République n’est pas mise à l’épreuve par les musulmans mais par l’islamophobie. Cette dernière est définie par ce dernier comme « l’ensemble des discriminations et actes de violence qui visent les individus en vertu de leur appartenance supposée ou réelle à l’islam ». Ainsi, il n’y a pas que les musulmans qui seraient concernés par l’islamophobie mais aussi ceux qui sont perçus comme tels. S’il déplore les atteintes faites à l’encontre de Mme Taubira, il déplore d’autant plus ceux qui vivent cela au quotidien sans que leur statut ne leur permette une dénonciation en bonne et due forme. L’islamophobie affaiblit le lien social en montant les gens les uns contre les autres au travers d’une forme de déshumanisation de l’Autre. Il conclut brillamment son exposé sur la dénonciation du fait que « les gens sont témoins de tout mais responsables de rien ».

 C’est ensuite Jacques Myard (député UMP des Yvelines) qui est invité à intervenir. Pour lui, la problématique soulevée par l’IRIS est valable dans les deux sens : si la République est à l’épreuve de l’islam c’est aussi l’islam qui est à l’épreuve de la république. Pour lui, il n’y a pas de français musulman, il y a des français et des étrangers : la base pour les différencier est la citoyenneté. La République à son sens ne reconnaît aucun culte et l’intégration est pleinement réussie pour la plupart des citoyens, les exceptions étant à la règle ce que la laïcité est pour lui à la République. Finalement, ce sont aux musulmans eux-mêmes de répondre à la question de leur possible intégration dans une société laïque et non l’inverse. Nous nous permettrons ici une remarque, soulevée sous forme de question lors de la conférence : la laïcité n’est pas un concept statique, la preuve, nombre de journalistes évoquent une laïcité ouverte, fermée, entre autres qualificatifs. Les lois ne se doivent-elles pas d’être le reflet des gens qui vivent sur un territoire ? La laïcité ne doit-elle pas à ce titre elle aussi être redéfinie ?

 Tareq Oubrou (grand imam de la mosquée de Bordeaux) prend à son tour la parole. A son avis, il n’y a plus de civilisation musulmane, il est donc question aujourd’hui d’en préserver l’esprit. Cependant, il est primordial de réinterpréter le texte à la lumière du contexte. Le Coran n’est à son sens pas génétique, la foi étant une pratique du coeur, ce sont des principes qui doivent en être retirés. Il insiste fortement sur ce flou autour de l’islam : les individus sont aujourd’hui perdus, ils mélangent revendications et pratiques et se perdent dans des débats tels que le port du foulard. Pourtant, c’est bien sur les principes qu’il faut se retourner, l’âme d’un texte et ses valeurs. Pour lui, ce n’est pas à coups de lois que l’on va parvenir à une intégration réussie, cela n’aboutirait qu’à une perception crispée de la laïcité.

 Si Hocine (animateur de l’Egalité d’abord) est intervenu pour clore le deuxième panel d’intervenants. Pour lui, il est très difficile d’appréhender l’islam tant celui-ci est hétérogène. Ce qui le différencie des autres religions, c’est bien le niveau de polémiques qu’il est capable de susciter. Pour lui, il faut laisser le temps au temps : la communauté musulmane ne s’est implantée en France que récemment. Quant à la question du communautarisme musulman, il aura une réflexion très juste. A l’heure où les bretons agitent leur bonnet rouge comme symbole de leur appartenance commune des lésés par l’éco-taxe, qu’ils se rassemblent et clament leurs droits, oserait-on être encore choqués du fait que les musulmans s’organisent quand leurs droits à eux sont également menacés ? De plus, il s’amuse de cette redondance de la question de la compatibilité de la République avec l’islam, comme si celle-ci pouvait vaciller face à quelques centimètres de barbe ou de tissu. Il est nécessaire de se méfier également du rôle des médias qui façonne notre appréhension de nombre de phénomènes. Il termine sur une note d’espoir : la France a souvent été en avance sur beaucoup d’éléments, montrons que l’islam peut être dans une société moderne plutôt que de déplorer un manque d’intégration à coups d’inégalités et d’injustices.

 C’est ensuite à un troisième panel d’intervenants que l’IRIS nous invite sur la thématique de la menace ou de l’opportunité de l’islam en France pour le pacte républicain. Christophe Barbier (directeur de la rédaction L’Express) signale qu’effectivement les médias peuvent être des acteurs de raccourcis et d’incompréhensions. L’islam est pour lui à la fois une opportunité et un défi pour le pacte républicain dont le danger serait la sclérose, la stagnation. Ainsi, face à une République une et indivisible, pas question de laisser les replis identitaires prendre le dessus. Le danger est qu’on associe la montée en puissance de l’islam à l’immigration. Or en période de crise, cette association ouvre la porte à nombre d’amalgames.

 Christian Delorme (prêtre du diocèse de Lyon, acteur déterminant lors de la « Marche des beurs ») parle quant à lui de retours identitaires face à un religieux qui de tout temps a cependant était proche de la politique. Beaucoup d’individus sont aujourd’hui en demande de nourriture spirituelle face à un espace républicain où ils n’ont pu trouver leur place. Parfois même, l’islam apparaît comme une protection face aux dangers de la drogue, aux réseaux parallèles, à la haine ou la colère. L’islam surprend dans des sociétés où l’Histoire veut que nos visages aient été toujours à découvert. Le point crucial est celui de l’ouverture : n’enfermons pas les individus dans des cases, ne cherchons pas absolument à mettre des mots sur ce qui est observable car si on peut parler de réislamisation, d’autres aspects laissent penser à une désislamisation. Laissons donc les individus évoluer dans leur religion sans jamais laisser de côté la discussion et le dialogue. Ainsi, Chirac a, à son sens, commis une grave erreur lorsque sur la question du voile à l’école il a imposé la question avant d’en discuter avec les familles. Du coup, cela entraîne un réflexe de repli, dans une société à laquelle on peine à participer. De même, ne plaquons pas du religieux là où il n’y a que du réflexe culturel, notamment sur la question de la viande halal. Alors qu’on ne cesse d’insister sur une société française méfiante, intolérante, il insiste sur la recherche de paix sociale, beaucoup plus importante qu’on voudrait le laisser à penser. N’oublions pas que 10% des militaires français sont franco-mahgrébins : il est assez ironique en ce sens de constater que ceux qui nous font peur sont ceux qui nous protègent.

 Raphaël Liogier (professeur en sociologie) met en exergue le sentiment de menace qui met à mal nos institutions. D’ailleurs, le titre même du colloque signifie bien qu’il y a un arrière fond de menace, sinon une telle question ne se poserait pas. Il mentionne que dans les années 1980 déjà, on parlait de mauvaise intégration et de difficultés. La différence avec aujourd’hui, c’est qu’un facteur d’intentionnalité est apparu : les musulmans sont présentés comme « conscients de ce qu’ils font, ils sont plus nombreux et le font exprès ». Le tout tournerait en permanence autour du lexique de l’occupation, de l’invasion. C’est bien l’ensemble de cet aspect qui est inquiétant : ainsi, il n’est plus ici question de l’islam mais d’une défense culturelle généralisée. Il prend l’exemple des Roms qu’il aime à qualifier de « musulmans de substitution » : alors que les Roms à Paris ne sont pas particulièrement nombreux, on a utilisé l’idée que si on les laissait s’installer, alors « Paris deviendrait un camp de Roms ». Or, quantitativement, ce n’est juste pas possible. Autre exemple : le Mariage pour tous. Alors que celui-ci ne touchait qu’une minorité, l’argument clé était celui de la filiation : ainsi, autoriser le mariage homosexuel, c’était mettre à mal nos modes de vie, notre culture. L’analyse de Liogier sur l’ensemble est claire : vu que la communauté nationale est de plus en plus difficile à définir, on cherche à la définir négativement, en opposition par rapport à des petits groupes. De plus, plus ces petits groupes sont faibles quantitativement, plus on les présente comme dangereux. Pour lui, c’est dans ce constat que réside le populisme, qui n’est ni démagogie, ni proximité avec le peuple mais le fait de « parler au nom du peuple tout entier et de s’exprimer pour se justifier en ce basant sur le bon sens du peuple ». Par exemple, si l’on interroge Marine le Pen sur « l’horrible inflation galopante » qu’elle dénonce, face à des statistiques prouvant le contraire, elle se rangera derrière l’argument de « vous avez tort car cela, la ménagère le sait quand elle va faire ses courses ». Mais alors, pourquoi le musulman plutôt qu’un autre ? Pour lui, il y a deux raisons principales. D’abord, des raisons conjoncturelles basées sur le rapport complexé de la France avec le Maghreb en raison de l’Histoire coloniale récente. Ensuite, la montée du terrorisme qui se revendique expressément de l’islam. Liogier se moque de la laïcité, devenu un contenant plus qu’un contenu, cette partie du patrimoine national qu’on se plaît à défendre à tout prix sans savoir clairement la réalité qu’elle recouvre. Les Français ont finalement développé une croyance aveugle en la laïcité.

 Marwan Mohammed (chargé de recherche CNRS) clôt ce dernier panel sous la problématique de : « comment les élites fabriquent-elles le problème musulman ? ». Ainsi, aujourd’hui, le fait que les musulmans posent problème est presque devenu une évidence sociale (dégagé de tout élément de preuve et de rationalité). L’islam n’est dont pas un problème en soi mais un problème construit. Il rappelle cet événement du printemps 1982 où certains ouvriers maghrébins demandaient à Renault à avoir une salle pour prier, cela ayant été obtenu par d’autres. Le patronat, dérangé par ces mobilisations a produit des notes en dénonçant la présence d’intégristes parmi les syndicalistes. La presse est également entrée en jeu en publiant une caricature d’une Peugeot recouverte d’une burqa. Finalement, on est passé d’un problème ouvrier à un problème musulman. Une des spécificités de l’islamophobie est en effet de lier par une espèce de maillon musulman un ensemble d’événements. Or, on ne ferait jamais de liens entre les bouddhistes français et ce qui peut se passer en Birmanie. Or, dès qu’un acte violent implique des personnes se revendiquant de l’islam, l’ensemble de la communauté musulmane est questionnée, et on doit prendre position. Finalement, il s’agit d’opérer à une forme de réduction de l’individu musulman à son islamité, sans qu’il lui soit possible d’y échapper. Cela crée un raisonnement qui partirait du postulat que la communauté musulmane serait expulsable.

 Après ces interventions, toutes plus riches les unes que les autres, Pascal Boniface, directeur de l’IRIS a tenu à prononcer les quelques mots de la fin. Si effectivement les discriminations ne cessent de s’accroître, de même que les contrôles au faciès ou les problèmes à l’embauche, celui-ci reste optimiste : depuis une vingtaine d’années, les musulmans ont de plus en plus accès à l’université. Finalement, la société semble avoir peur, être enfermée dans ce souvenir colonial d’un peuple inférieur. De plus, la crise économique accentue encore cette peur : il est évidemment plus difficile de s’intégrer en période de chômage qu’en période de plein-emploi. Du coup, beaucoup utilisent l’ethnicisation pour cacher leur incompétence en générale et  à régler les problèmes sociaux en particulier. Les événements internationaux sont bien souvent instrumentalisés : alors qu’un attentat commis par un Norvégien ne remet pas en cause toute la population blanche, un attentat commis au nom de l’islam englobe l’ensemble de la communauté musulmane. Si les effets sont à déplorer, n’oublions pas les causes : c’est bien parce que la République n’a pas réagit avant et n’a pas su protéger tous ses enfants et les aimer au même titre que de tels problèmes se posent. Finalement, il s’agit pour Pascal Boniface plus d’incompétence que de mauvaises intentions. Deux raisons principales doivent nous pousser vers la lutte contre ce phénomène : d’une part, le rayonnement international de la France et son redressement. Ainsi, un pays ne peut être rayonnant à l’extérieur en étant rabougri de l’intérieur !

 Rendons donc à la République française son rayonnement, son charme, tous ces petits éléments qui faisait de la France « le pays des droits de l’Homme » et non « le pays de certains hommes ». Rendons la majuscule à l’Homme, car face aux difficultés, nous sommes tous avides de la même chose : d’une spiritualité où qu’on la trouve, dans un Dieu, un livre, un individu ou une émission télé. Nos frustrations créent de la désunion, nos peurs des rancoeurs. Détournons-nous de cette société malade, tendons à ses membres mal-aimés une canne sur laquelle ils peuvent se reposer.

 

Louise Ringuet

  

 

 

(1) Institut des Relations internationales et stratégiques (IRIS) http://www.iris-france.org/  (2) Programme du colloque, la République à l’épreuve de l’Islam http://www.iris-france.org/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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