Droits fondamentaux : le rapporteur du Parlement européen, Louis Michel, refuse de vendre son âme à l’opportunisme politique.

C’est dans une atmosphère tendue que, le 28 novembre dernier, s’est ouvert le nouveau débat en commission LIBE sur le projet de rapport sur les droits fondamentaux de Louis Michel après le dépôt de pas moins de 371 amendements. Alors qu’une telle thématique laisse à penser qu’existe un consensus assez large, les Etats membres étant parties à nombre de Chartes et Conventions sur le sujet, les députés apparaissent bien réfractaires à réfléchir sur la mise en oeuvre effective de ces droits. Puisqu’il serait difficile de faire une synthèse d’un si grand nombre d’amendements, dirigeons-nous directement vers les débats qui ont eu lieu.

 D’emblée, Louis Michel (ADLE) constate l’attention que suscite son rapport au vu du nombre d’amendements déposés. Il affirme avoir déjà commencé à élaborer des propositions de compromis. De manière redondante, il n’aura de cesse de répéter son ouverture aux discussions et aux modifications du texte. D’ailleurs, lui même, freiné pour son projet de rapport par la longueur limite imposé « administrativement » aux rapports en a déposé environ 70. Cela lui a notamment permis d’évoquer la situation des personnes souffrant d’un handicap ou encore les droits des personnes LGTB, des femmes et des enfants. A ce titre, il invite la Commission des droits des femmes et la commission emploi et affaires sociales à donner leur avis. Pour autant, il apparaît difficile de pouvoir contenter tout le monde. La ligne directrice du rapport est simple : il faut un mécanisme neutre par rapport à ce que l’on a aujourd’hui afin que l’UE cesse sa politique de deux poids deux mesures vis-à-vis des Etats membres. Louis Michel s’amuse de l’absurdité de certains amendements.

 Pour n’en citer quelques-uns :

      -. Amendement n°7 : Edit Bauer, Véronique Mathieu Houillon et Marco Scurria souhaitent supprimer la mention dans le rapport : « vu le discours de M.Barroso sur l’état de l’Union au Parlement européen du 11 septembre 2013 et le discours de Mme Reding sur l’UE et l’état de droit du 4 septembre 2013 au CEPS ».

       -. Amendement n°8 : Anna Zaborska souhaite supprimer : « vu la lettre du 6 mars 2013 envoyée par les ministres des affaires étrangères de l’Allemagne, du Danemark, de la Finlande, et des Pays-Bas au président de la Commission, M.Barroso, dans laquelle ils appellent à la mise en place d’un mécanisme destiné à favoriser le respect des valeurs fondamentales dans les EM.

 Bref, le simple énoncé de ces deux amendements suffit à voir qu’il ne s’agit ici que de modifications de références factuelles et non portant sur le fonds même du texte. De même il s’étonne également d’amendements tels que le n°100 encore une fois de Scuria, Véronique Mathieu- Houillon et Bauer qui ne souhaitent pas une coopération plus systématique et coordonnée avec le Conseil de l’Europe et d’autres institutions. Vaidere et Zaborska, quant à elles, ne souhaitent pas un « nouveau mécanisme visant à garantir le respect, la protection et la promotion des droits fondamentaux et les valeurs de l’Union » de l’article 2 du TUE. Sur de telles remises en question, Louis Michel se demande comment il serait même envisageable de parvenir à un compromis dans la mesure où il n’est pas disposé à faire marche arrière sur ces dossiers.

 Kirkhope (CRE) est fortement opposé(pour ne pas dire totalement) au rapport qui pour lui fait du Parlement un juge et un jury se prononçant sur des violations relatives aux droits fondamentaux. A ce titre, aucun amendement n’a été déposé par son groupe, ce dernier refusant l’ensemble du texte. Ainsi, des éléments sont à son sens trop inacceptables pour que même un « joaillier du compromis » tel que Louis Michel puisse le faire basculer. C’est principalement au nom de la subsidiarité que le groupe des CRE refuse un tel texte : il est inapproprié pour eux de s’insérer dans la manière dont les Etats Membres ont décidé de régler la question des droits fondamentaux. De plus, ce texte est à leur goût un fourre-tout dont on ne perçoit même plus la finalité.

 Zdanoka (Verts/ALE) regrette quant à elle qu’aucun compromis n’ai été proposé. Si elle se réjouit que soient prévus des rapports comparatifs par pays sur les violations des droits fondamentaux, elle souhaite qu’y soit associé un ensemble de recommandations. Elle aimerait également que soit développé un examen par les pairs similaire à ce qui est pratiqué au sein de l’OCDE ou encore (pourrait-on ajouter)les Nations Unies dans le cadre du Conseil sur les droits de l’Homme. Quant à la question de l’introduction de nouveaux mécanismes, elle propose une approche horizontale de la question comprenant priorités et urgences. L’ensemble des services de la Commission doivent être sollicités.

 Göncz (S&D) trouve que les débats ont l’air bien difficiles une fois sortis du cadre économique et financier. Si les amendements doivent légitimement être pris en considération, il ne faut guère se détourner du coeur même du texte s’inscrivant dans une logique que les institutions européennes semblent elles aussi, dans leur ensemble, suivre.

 Enfin, Marie-Christine Vergiat (GUE) justifie le nombre d’amendements par un problème de philosophie quant à l’approche même à suivre sur la question des droits fondamentaux. Pourtant, le traité de Lisbonne, intégrant la Charte des droits fondamentaux, a été ratifié. A son sens, seules deux chemins sont possible : 

-. celui de l’acceptation et de l’exploitation maximale des dispositions existantes

-.  celui du frein à tout prix des avancées dans la matière

 Elle n’est qu’à demi-étonnée par le fait que nombre d’amendements déposés par les parlementaires consistent en des suppressions plutôt qu’en des preuves d’ambition. C’est donc dans la première lignée que s’inscrit la GUE, ayant déposé des amendements sur ce qui constitue, aux yeux du groupe, les éléments les plus urgents et sur l’urgence de l’adhésion à la Convention européenne des droits de l’Homme du Conseil de l’Europe par l’Union européenne. Ainsi, alors que cette question était présentée comme une formalité au début de la mandature du Parlement européen, à l’aube des nouvelles élections européennes, elle n’est à ce jour toujours pas réglée.

 Louis Michel rappelle également, pour conclure, que la Charte est une référence intangible et qu’il est inutile de ce fait, de chercher à se ranger derrière le principe de la subsidiarité. Il trouve ça curieux de ne pas vouloir de mécanismes pour que l’Union européenne soit à la hauteur des valeurs qu’elle s’est attribuée. Il avoue être gêné lors de ses visites à l’étranger, ou de débats en plénière sur les violations des droits fondamentaux (dernièrement au Qatar, Bolivie, Bangladesh) de lancer des discours moralisateurs dans un domaine où l’Union européenne est encore loin de l’exemplarité. S’il est ouvert aux compromis, il n’y perdra pas son âme et n’hésitera pas à se détourner de groupes qui tomberaient dans de l’opportunisme politique plutôt que dans les avancées réelles. Ce genre d’attitudes donnent pour lui une image détestable de l’Europe à laquelle il se refuse de participer.

 En conclusion, Louis Michel a été fidèle à lui même et à ses convictions : s’il souhaite un dialogue approfondi avec l’ensemble des groupes politiques, le débat n’est plus permis lorsque l’ambition d’un plus grand respect des droits fondamentaux n’est pas partagée. Espérons que dans ce dossier, Louis Michel ne sera pas le seul à ne pas vouloir vendre son âme mais que l’Union européenne suivra cette voie.

  

Louise Ringuet

Pour en savoir plus :

       -. Amendements 1-371 sur le projet de rapport sur la situation des droits fondamentaux dans l’UE – 19 novembre 2013 :(FR) : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+COMPARL+PE-524.505+01+DOC+PDF+V0//FR&language=FR (EN) :  http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+COMPARL+PE-524.505+01+DOC+PDF+V0//EN&language=EN

       -. Projet de rapport : (FR) : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+COMPARL+PE-519.501+01+DOC+PDF+V0//FR&language=FR (EN) :  http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+COMPARL+PE-519.501+01+DOC+PDF+V0//EN&language=EN

      -. Nea Say n°137 – « A l’affiche de LIBE cette semaine : Louis Michel et les droits fondamentaux » – 4 octobre 2013 : http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=2938&nea=137&lang=fra&lst=0

       -. Nea Say n°138 – « Audition au PE sur les droits fondamentaux : arrêtons la procrastination, privilégions l’action ! » – 19 novembre 2013 : http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=2983&nea=134&lang=fra&lst=0

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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