Espace de liberté,sécurité et justice :un nouveau départ ? Quelles perspectives réelles?

Un nouveau cycle politique européen vient de s’ouvrir. De nouveaux acteurs et des institutions renouvelées s’apprêtent à reprendre les lignes directrices et les politiques menées par les protagonistes de l’ancienne législature et de l’ancienne Commission. Pour ce qui concerne l’espace de liberté sécurité et justice, les orientations stratégiques que le Conseil Européen a approuvé, à la fin du mois de juin 2014, seront le cadre d’actions à mener pour les années prochaines, vraisemblablement jusqu’au 2020, lors de la définition du prochain budget financier pluriannuel.

Même si elles sont la suite des programmes de Tampere (1999), la Haye (2004) et Stockholm (2009) qui jusqu’au présent avaient défini le plan d’action, les conclusions du Conseil, signée à Ypres en juin dernier , en prennent leurs distances avec ces programmes, notamment du point de vue procédurale et contextuel.

 Tout d’abord, elles relèvent d’une procédure différente décrite à l’art. 68 du TFUE, pas encore en vigueur lors de Stockholm, qui invite le Conseil Européen à définir ‘les orientations stratégiques de la programmation législative et opérationnelle dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice’. En effet, il est ainsi devenu le moteur officiel et unique, selon une lecture circonscrite à l’article même, de la mise en œuvre de l’espace de liberté sécurité et justice. La procédure suivie, même de façon faible ou marginale,a pour ces guidelines exclu le Parlement Européen lors des travaux préparatoires des guidelines et la marginalisé la Commission même, en fin de mandat. Ces faits ont été l’objet de critiques fortes d’autant plus qu’intervenant après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne.

 En effet, le moment choisi n’est pas négligeable : la période électorale concomitante, malgré la demande, sans écho, du renvoi de la date d’approbation, a empêché le Parlement de s’exprimer facilement. En même temps, la nomination du nouvel président de la Commission a détourné l’attention, au détriment des questions liées à l’espace de liberté, sécurité et justice. De plus, les orientations ont été approuvées par des institutions sortantes, sans qu’il y ait une continuité des travaux, ni une volonté politique effective.

 L’ensemble de ces aspects s’oppose à une lecture élargie du titre V du TFUE, laquelle promeut une approche plus inclusive dans la mise en œuvre de l’espace de liberté sécurité et justice. En particulier pour le Parlement qui bénéficie de la procédure de codécision et à l’extension des compétences de la Commission et de la Cour de Justice en matière de coopération policière et judiciaire, en liaison avec la fin de la période transitoire.

Néanmoins, chaque institution a pu donner sa contribution au processus, chacune à sa façon. D’une part la Commission grâce à la Communication qui reprend le résultats des consultations publiques du début de l’année ; d’autre part la Résolution du Parlement européen du 2 avril 2014 sur l’examen à mi-parcours du programme de Stockholm. (cf. « Pour en savoir plus ».Enfin il faut remarquer positivement l’alignement des positions du Conseil de l’UE et du Conseil Européen, qui a adopté sans trop de changements le document préparatoire du début Juin.

Le lignes directrices, donc, ne font pas objet d’un programme spécifique mais rentrent dans des conclusions qui traversent des domaines différentes. L’accent, en effet, est mis, dès les premiers points, sur la promotion d’une action cohérente entre les différents acteurs et politiques impliqués. Cette approche innovatrice concerne en premier lieu la coordination entre dimension interne et externe, aspect appelé à prendre de plus en plus d’importanceà laquelle le texte fait référence à plusieurs reprises. Il faut en tenir compte, toutefois, que cette dernière repose sur des instruments politiques souples où l’Union n’a pas de compétence exclusive, comme les partenariats pour la mobilité et les programmes de protection régionaux.

 Deuxième élément prioritaire est la nouvelle phase de transposition et mise en œuvre des instruments normatifs et politiques existants, constamment reprise dans le document. Même si la demande de plus d’effectivité a été soulevée également par les autres institutions européennes, le Conseil ne précise pas les instruments d’évaluation et consolidation qui pourraient garantir cette efficacité. On pourrait, donc, se demander comment assurer une nouvelle phase d’implémentation sans avoir prévu une évaluation au-delà des analyses d’impact actuellement insuffisantes. De plus le calendrier des échéances ne fixe pas de dates précises, exception faite en matière de protection des données et sécurité intérieure, en 2015, et d’une évaluation globale à mi-parcours qui aura lieu en 2017.

 Pour ce qui concerne les politiques prises singulièrement, le texte reprend la terminologie traditionnelle : les contenus restent généraux et ne présentent pas des grandes nouveautés. Ils relancent, pour la plupart, les discours classiques sans déterminer l’élan décisif, qui aurait été nécessaire face aux défis actuels et aux limites évidentes des instruments en place. Cet ainsi qu’on retrouve le principe de solidarité énoncé à l’art. 80 TFUE, restée lettre morte jusqu’au présent, mais aussi l’éventualité de la création d’un système européen de gardes-frontières, auquel on fait allusion depuis longtemps sans le moindre début de concrétisation.

 Le contenu des conclusions a déjà fait l’objet d’un article publié à la suite de leur approbation.(cf. « Pour en savoir plus ») Dans les prochains paragraphes seront mis en évidence ceux qui ont été les points critiques.

 Premièrement, afin d’attirer plus de talents et de compétences des pays tiers, la promotion du dialogue avec le monde des entreprises et les partenaires sociaux, constitue un aspect positif en matière de migration légale. En effet, l’inclusion de ces acteurs pourrait ouvrir des perspectives nouvelles pour une amélioration qualitative en cette matière, en particulier vers une réponse plus adéquate aux nécessités réelles du marché du travail.

En matière d’asile les Etats donnent la priorité à la solidarité, la coopération et au rôle d’EASO; par contre, ils n’ont pas réussi à parvenir à un accord sur la reconnaissance mutuelle des décisions sur les demandes d’asile, point qui toutefois était présent dans le document préparatoire du Conseil de l’Union, ce qui constitue un signe très négatif de leur part. Les représentants des Etats membres ont plutôt préféré laisser ouverte l’interprétation de ce qui sera les ‘étapes suivantes’ de cette politique.

 Un autre élément controversé se retrouve au premier plan : il est relatif au contrôle des frontières extérieures, où le Conseil relance la gestion intelligente des frontières. La proposition a été très critiquée par le Parlement et d’autres acteurs de la société civile, en particulier pour l’impact sur les droits fondamentaux et la protection des données. Face à cette situation contrastée il est à voir comment ces dispositions, parmi les plus précises, pourraient avoir des conséquences concrètes dans l’avenir.

 Ensuite, les points relatifs à la coopération policière relancent les grandes thématiques liées à la lutte contre la criminalité (les mafias) et le terrorisme, comme la stratégie de sécurité intérieure, prévoyant son évaluation en 2015, ainsi que la prévention de la radicalisation et de l’extrémisme. Deux points qui ont retenu l’attention des députés européens membres de la Commission LIBE lors de leur réunion de rentrée des 3 et 4 septembre. Même dans ce domaine le Conseil reste vague sans préciser les normes et les politiques à améliorer, ni les mesures spécifiques à prendre. Cela vaut également pour la coopération judiciaire qui aborde de façon générale les différents éléments abordés, à l’exception du renforcement des droits de la personne, notamment pour les enfants et du droit de la famille et des matières civiles et commerciales ayant des incidences transfrontières.

 Cependant, les droits fondamentaux constituent un des aspects le plus décevants à cause de la place très limitée qui leur est réservée dans tous les domaines, contrairement aux requêtes des acteurs intervenus pendant la période de réflexion, y compris les autres institutions. On constate, en effet, l’absence de références à la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union, ni à l’adhésion de cette dernière à la CEDH qui, pourtant, a eu un rôle moteur dans les évolutions de l’ELSJ. Ces points ont également été soulevés lors de la réunion de rentrée de LIBE ;

 En conclusion, dans son ensemble le résultat est un document plus concis que ceux des programmes précédents, qui pour cette raison évoque la consistance de Tampere. Toutefois, le contexte différent duquel il ressort laisse des doutes sur les ambitions de l’Union, certainement à la baisse par rapport au 1999. Il en va de même pour la volonté politique des états membres : de nombreuses questions sont adressées de manière générale, principalement à cause du manque d’un consensus fort entre les 28. La valeur et la portée des actes et politiques développés jusqu’aujourd’hui en résultent, sont à revoir à la baisse même si l’espace de liberté sécurité et justice reste parmi les priorités stratégiques de l’Union.

Finalement si d’un côté le bilan des nouvelles lignes directrices est insatisfaisant, il reste cohérent en ce moment historique de l’Union, qui doit faire face à une crise économique sévère , aux euroscepticismes croissants dans la plupart des états membres; d’autre part, son caractère nuancé laisse une marge d’action plus ample à la nouvelle Commission chargée d’en assurer le suivi de manière plus précis et, on espère, de façon plus concrète, efficace et véritablement ambitieuse.

 

 

(Elena Sbarai)

 

Pour en savoir plus:

FR http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/fr/ec/143492.pdf

 Conseil Européen, Conclusions: Strategic agenda for the Union in times of change, 26/27 Juin 2014 EN http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/en/ec/143477.pdf

 

 Commission Européenne, Communication du 11 mars 2014, An open and secure Europe: making it happen EN http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/e-library/documents/basic-documents/docs/an_open_and_secure_europe_-_making_it_happen_en.pdf FR http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/e-library/documents/basic-documents/docs/an_open_and_secure_europe_-_making_it_happen_fr.pdf

  

 

Alison Koweth-Deemin, Programme Post-Stockholm : Les Orientations Stratégiques, enfin, fixées par le Conseil Européen, 30 juin 2014 http://europe-liberte-securite-justice.org

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Laisser un commentaire