Rapport du Conseil de l’Europe (CEPEJ) sur l’évaluation des systèmes judiciaires en Europe : pas de bonne économie sans une bonne justice !

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Tel était le leitmotiv repris par Nea Say dans son numéro 132 du mois d’avril 2013 pour présenter le premier Tableau de bord de la Commission européenne sur la Justice dans l’UE. C’est un exercice similaire mais d’une autre ampleur que le CEPEJ vient de rendre public, un exercice qui est devenu un rituel (tous les deux ans) depuis de nombreuses années.

La Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej), est un outil d’une incroyable richesse : plus de 3 millions de données sur les 47 Etats du Conseil de l’Europe (45 cette année, le Lichtenstein et Saint-Marin ont fait faux bond) et sur les quelque 820 millions de justiciables européens. Elle compare et ne classe pas des systèmes judiciaires très différents, des Etats de droit romain à ceux de la common law ou du groupe de l’Est, à la richesse et la situation géographique fort dissemblables. Pour cela, le groupe de travail de la CEPEJ évolue avec d’infinies précautions méthodologiques – longuement détaillées dans le volumineux rapport. L’ancienneté de l’exercice avec un rapport tous les deux ans permet, sur des données solides, d’apprécier avec rigueur l’efficacité des systèmes judiciaires. Crée en 2002 la Commission européenne pour l’évaluation de la justice(CEPEJ) est l’institution intergouvernementale du Conseil de l’Europe qui a pour mission de promouvoir l’efficacité du service public dans 47 pays européens. Le but est de voir comment les systèmes judiciaires fonctionnent au quotidien, faire le point afin de vérifier s’ils progressent ou pas, ou s’ils régressent. Pour la « petite histoire » signalons que le Liechtenstein et San Marin, membres du Conseil de l’Europe, n’ont pas accepté de voir leur justice être passée au cible. Israël, pays observateur a participé à l’enquête.

La méthodologie (cf. « Pour en savoir plus ») se fonde sur un questionnaire relatif aux moyens budgétaires, (humains, informatiques …) accordés au système judiciaire, en regard du flux d’affaires traités par les tribunaux ou restés en instance. Sont également abordées les relations entre procureurs, avocats et greffes de même que l’exécution des procédures judiciaires. Plus de trois millions de données vérifiées figurent dans la base publique du CEPEJ.

Le point qui rejaillit le premier et la constante progression budgétaire en direction « d’une justice qui ne connaît pas la crise », selon l’expression des responsables du CEPEJ. C’est un constat qu’il faut nuancer en ce qui concerne la Grèce, le Portugal et l’Espagne où le budget a dû participer à l’effort général demandé, mais cependant on assiste dans ces pays à une reprise ascendante.

Autre élément intéressant à signaler, relève la CEPEJ, la participation financière accrue demandée aux citoyens qui s’adressent à la Justice. Celle-ci n’est plus gratuite en Europe, à l’exception de la France et du Luxembourg. La tendance à l’autofinancement, pour partie, se généralise et un pays comme l’Autriche dégage même un bénéfice sur les frais de justice qu’elle encaisse. Ce n’est pas scandaleux mais à la condition que cela s’accompagne de systèmes d’aide juridique solide pour les personnes dont la faiblesse des ressources financières pourrait constituer un handicap sérieux à leurs démarches auprès de la justice. C’est une démarche que tous les Etats européens ont mis en place que ce soit en matière pénale ou civile.

A noter aussi l’usage accru des technologies de l’information pour la gestion des affaires : video conférences lors des procès, échanges de pièces administratives. La prise en compte des besoins du citoyen fait l’objet d’efforts croissants. L’attention portée aux victimes est devenue une préoccupation majeure dans les différents systèmes analysés, de même que l’attention portée aux justiciables, notamment dans la réduction des délais d’attente pour l’indemnisation des victimes.

Globalement les tribunaux font face aux volumes d’affaires à traiter. Une grande majorité des Etats membres maîtrise l’arriéré judiciaire pour qu’il n’augmente pas, mais sans pour autant être résorbé. D’importantes disparités existent selon le type d’affaires et selon le pays. Il faut encourager les Etats à mieux équilibrer leur organisation judiciaire.

L’indépendance fonctionnelle (et statutaire) des procureurs n’est pas un principe partagé par tous les Etats, un pays comme la France reste dans le collimateur. Le rapport souligne la persistance du « plafond de verre » dans le domaine judiciaire, même si l’on constate une féminisation de la magistrature, qui n’assure toujours pas un égal accès aux postes hiérarchiques. Autre tendance lourde dont tout laisse à penser qu’elle va se développer : la diminution du nombre de tribunaux que confirment les différentes réformes en cours, c’est parfois spectaculaire et donnent lieu à des tensions importantes. Cette tendance à la concentration par la fermeture de tribunaux se généralise de plus en plus en Europe.

Où se situent les systèmes judiciaires dans les pays membres du Conseil de l’Europe ? Au niveau des affaires civiles, plutôt bien. Si l’on considère la question centrale des délais de jugement, c’est la justice administrative qui a plus amélioré ses performances en dix ans. Les bénéficiaires de l’aide judiciaire sont encore trop peu nombreux, et le mode d’indemnisation des avocats devrait être pourrait être repensé. Trop de disparités en Europe. Des progrès sont à faire dans l’information donnée aux citoyens. L’organisation reste encore un peu partout trop désordonnée.

Le faible nombre et la charge de travail des procureurs sont-ils une spécificité française ? Objectivement oui, si on voit l’ampleur des tâches des procureurs français et les faibles moyens dont ils disposent. Les évolutions procédurales en Europe amplifient le rôle des procureurs dans la phase préparatoire au procès, sous contrôle d’un juge. L’Autriche et la Suisse par exemple, en supprimant le juge d’instruction, ont donné à la fois des moyens et des garanties statutaires aux procureurs. »

Le budget : le budget de la justice est évidemment une variable décisive. Celui du ministère de la justice français est pour 2015 de 7,98 milliards d’euros, en hausse de 2,3 %, qui fait suite à une augmentation de 1,7 % en 2014 et de 4,6 % en 2013. Mais le retard est tel que la France reste loin du compte. La France consacre ainsi 1,9 % de son budget à la justice, pour une moyenne de 2,2 % dans le reste de l’Europe : un budget prioritaire ne l’est encore pas tout à fait. Et depuis 2012, plus de la moitié de cette somme (50,4 %) est consacrée à l’administration pénitentiaire, et non aux tribunaux ou à l’aide judiciaire : le mouvement n’a fait que s’accélérer depuis, tant la charge pénitentiaire est lourde et plombe l’ensemble du système.

Le chiffre le plus communément retenu reste le rang de la France, en matière de budget, dans l’ensemble européen : la France est 37e sur 45 pays, derrière la Géorgie, la Turquie, Chypre. Il faut se méfier d’une comparaison en fonction du en % du PIB par habitant, en 2012 : les Etats les plus riches peuvent apparaître, à tort, comme allouant un faible montant du PIB au système judiciaire à cause justement du niveau élevé de leur PIB. C’est notamment le cas de la Norvège, l’Irlande, du Luxembourg, de la Finlande, de la France, de la Suède et, dans une certaine mesure, de l’Autriche et de la Belgique. Des correctifs s’imposent doc: ainsi, la Suisse est à la fois le pays le plus riche et celui qui consacre le plus gros effort à sa justice. L’Espagne, un peu moins riche que l’Italie, consacre beaucoup moins que les Italiens à ses tribunaux. Pour des pays de PIB comparable – Autriche, Belgique, France, Finlande, Allemagne , Irlande, Islande, Pays-Bas , Angleterre et Pays de Galles , l’Ecosse, la France est loin de consacrer autant de moyens que la Belgique et surtout que l’Allemagne. Les Pays-Bas et l’Allemagne fournissent le plus gros effort budgétaire, l’Islande ou l’Irlande investissent proportionnellement beaucoup moins. Un Français verse ainsi 61,2 euros par an pour la justice, un Allemand 114,3 euros, un Suisse 197,7 euros. Les effectifs concernant les juges qui « jugent », donc pas les procureurs, varient considérablement entre les pays d’Europe occidentale et ceux de l’Europe centrale ou orientale. Au contraire, la Norvège, le Danemark, la Suède, l’Allemagne ou le Royaume-Uni confient un rôle considérable aux juristes non magistrats. La France est à mi-chemin, les juges non professionnels siègent dans les juridictions du travail et du commerce en première instance. Mais les professionnels restent peu nombreux et leur nombre est remarquablement stable : on compte 10,7 juges en France pour 100 000 habitants, contre 24,7 en Allemagne et une moyenne de 21 pour l’ensemble de l’Europe. Les procureurs : la situation des procureurs est bien pire. Le plus grand nombre de procureurs se trouve en Europe de l’Est. A l’Ouest, la France et l’Italie détiennent une sorte de record dans la pénurie : 1901 procureurs en France en 2012 (soit 2,9 pour 100 000 habitants…), 1900 en l’Italie (3,2 pour 100 000), la moyenne européenne étant de 11,8 pour 100 000 citoyens. Mais l’Italie compte 2000 procureurs non professionnels en soutien. Dés lors il n’est pas surprenant que les procureurs français sont aussi de loin les plus chargés par le travail.

En ce qui concerne les avocats et les notaires : on comptait en 2012 en France, 85,7 avocats pour 100 000 habitants – dont la moitié à Paris. C’est peu. La moyenne européenne est de 139,5, l’Allemagne en compte 200,5, la Norvège 140,9, la Grèce 300,7 pour 100 000. La France, en revanche, ne manque pas de notaires: 14,5 pour 100 000 habitants, en augmentation de 3,87% en deux ans, quand la moyenne européenne est de 7,5. C’est loin de la Suisse (33,3), mais plus encore de la Suède, du Royaume-Uni ou de la Norvège .

L’accès à la justice, un point particulièrement douloureux ! L’accès au droit se mesure de multiples façons. En nombre de tribunaux disponibles : la réforme de la carte judiciaire, qui par exemple a été conduite de façon spectaculaire par Rachida Dati, s’inscrit dans un mouvement européen plus large. Le nombre d’emplacements géographiques a baissé de près de 10% en Bulgarie, Croatie, Finlande, France, Géorgie, Irlande, Serbie et Suède entre 2008 et 2012 ; une baisse compensée en partie par l’utilisation croissante de la vidéo conférence( pourtant décriée par les professionnels de la défense et par les justiciables), et la mise en place- d’un guichet unique qui permettra à un justiciable de suivre son dossier dans n’importe quelle juridiction depuis le tribunal le plus proche de chez lui. L’autre variable, décisive, est l’aide juridictionnelle, c’est-à-dire la possibilité d’obtenir pour les vraiment plus démunis un avocat gratuit – mais pas choisi (la prise en charge, en France, des frais de justice à 100% est réservée pour une personne seule qui gagne moins de 936 euros mensuel). La situation européenne est très contrastée: certains pays donnent beaucoup à peu de justiciables, d’autres donnent peu à beaucoup de demandeurs. Nombre d’affaires portées devant les tribunaux bénéficiant de l’aide judiciaire pour 100 000 habitants, et montant alloué pour l’aide judiciaire. Par exemple, la France accorde l’aide judiciaire (juridictionnelle) à 1396 personnes, à peu près comme l’Irlande (1319) quand l’Italie en délivre à 320 ou la Lituanie à 1654. En revanche, la France verse 337 euros par justiciable, quand l’Irlande en accorde 1 373 euros.

L’efficacité de la justice en terme de rapidité dans le traitement des affaires : en matière civile, comme d’autres Etats, la France se situe plutôt bien : 2575 nouvelles affaires se présentent tous les ans, 2555 sont jugées, le stock évolue peu. En revanche, c’est la catastrophe en Grèce, où 5834 nouvelles affaires arrivent devant les tribunaux, qui n’arrivent qu’à en juger 3365. L’Allemagne, elle, réduit doucement son stock : 1961 affaires nouvelles, pour 1968 jugées en 2012. Nombre de nouvelles affaires civiles et commerciales et d’affaires terminées en premier instance  : sur une période plus longue, 2006-2012, la tendance est plutôt rassurante, toutes les nouvelles affaires sont gérées. En 2012, la France est tout près d’absorber ses nouveaux dossiers, l’Italie est un cas particulier: devant l’ampleur de la catastrophe et de l’augmentation des stocks, l’Etat a introduit une taxe sur certaines procédures, ce qui a diminué leur nombre, et permet en 2012 de résorber plus vite les dossiers en retard. La France en revanche est particulièrement bien placée pour la justice administrative : en 2006, il arrivait plus de dossier que les tribunaux administratifs n’en pouvaient traiter, en 2008, la situation s’était inversée, puis renforcée en 2010, la gestion de la justice administrative en 2014 est désormais confortable.

En conclusion nous pouvons dire à nouveau que l’exceptionnelle richesse du rapport décourage une synthèse rapide, une appréciation en peu de mots, une perception globale. Peut-être peut-on dire que compte tenu du climat morose en Europe on est surpris de constater que la qualité de la Justice se maintient tant bien que mal avec même quelques progrès que l’on ne peut nier. Mais en même temps, une inquiétude : n’a-t-on pas atteint le maximum de ce que l’on pouvait faire et l’état général de la justice ne peut que se dégrader à l’avenir sous la pression de l’évolution générale de l’économie, des technologies, de la politique et de la société ?

Pour en savoir plus :

       -. Revue de presse  http://www.coe.int/T/dghl/cooperation/cepej/evaluation/2014/revue%20presse.pdf

       -. Vidéo de la Conférence de presse http://clients.dbee.com/coe/webcast/index.php?id=20141009-1&lang=lang

     -. Rapport   http://www.coe.int/t/dghl/cooperation/cepej/evaluation/2014/Rapport_2014_fr.pdf

     -. Document de présentation du rapport http://www.coe.int/t/dghl/cooperation/cepej/evaluation/2014/Synthese2014_fr.pdf

     -. Communiqué de presse http://www.coe.int/t/dghl/cooperation/cepej/evaluation/2014/Communique_press_pub_rapport_2014_fr.asp

     -. Interview de Stéphane Leyenberger, Secrétaire de la CEPEJ http://play.webvideocore.net/popplayer.php?it=dr38z67o51c0&is_link=1&w=720&h=405&pause=1&title=ITW%2BCEPEJ%2BStephane%2BLEYENBERGER&skin=3&repeat=&brandNW=1&start_volume=100&bg_gradient1=%23fff&bg_gradient2=%23e0e0e0&fullscreen=&fs_mode=2&skinAlpha=80&colorBase=%23202020&colorIcon=%23FFFFFF&colorHighlight=%23fcad37&direct=true&no_ctrl=&auto_hide=1

     -. Plus d’informations et réponses par pays http://www.coe.int/T/dghl/cooperation/cepej/evaluation/2014/par_pays_fr.asp

     -. « Pas de bonne économie sans une bonne justice », Nea say N° 132 1.4.2013 http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=2760&nea=132&lang=fra&lst=0

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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