Conférence de presse de Stefan Füle, commissaire aux négociations d’élargissement et à la politique européenne de voisinage (8 octobre 2014)

Stefan Füle, commissaire aux négociations d’élargissement et à la politique européenne de voisinage pour la période 2009/2014, a tenu la dernière conférence de presse de son mandat le 8 octobre. Cela a été l’occasion de faire une transition entre le bilan de son action lors des cinq dernières années et les dossiers qu’il lègue à son successeur, l’autrichien Johannes Hahn.

Le commissaire Füle a d’abord présenté le processus d’élargissement comme une « success story ». Il a insisté sur la nécessaire crédibilité de ce projet (renforcée, d’après le commissaire, par l’accent mis sur les Droits fondamentaux durant son mandat) qui implique de profondes transformations dans les Etats candidats et sur le fait que la notion d’Etat de droit en soit le cœur. Les chapitres couvrant ce sujet sont des chapitres décisifs dans la conduite de chaque négociation d’élargissement.

Se dégagent en fait trois catégories de conditions lorsqu’un Etat est dans la procédure de négociation d’adhésion à l’Union: celles relatives à l’Etat de droit, celles relatives à la gouvernance économique et celles relative à l’organisation administrative. Ce dernier point est particulièrement important pour mettre en œuvre les réformes nécessaires et la professionnalisation ainsi que la transparence de l’administration sont des vecteurs de renforcement de la démocratie.

Le commissaire a toutefois reconnu que dernièrement, c’était davantage les aspects économiques (compétitivité, emploi,…) qui étaient au cœur des discussions avec les candidats à l’accession mais cela s’explique par le fait que l’Union elle-même était en train de travailler à la redéfinition de sa gouvernance économique et il était donc logique de baser le processus d’adhésion sur ce qui était fait au sein de l’Union. L’idée est d’introduire une version allégée du semestre européen pour réduire les écarts entre les candidats et les pays de l’Union et renforcer les économies des pays voisins.

. Füle a répété que les candidats devaient mettre en oeuvre des réformes au plan économique mais qu’il ne s’agissait pas de leur imposer des politiques d’austérité ni de les ramener au même niveau que les Etats qui sont déjà membres, seulement de réduire les écarts.

Les engagements politiques sont des signaux importants pour attirer les investisseurs. C’est l’idée de faire un semestre européen appliqué à l’élargissement. Deux séries de données seront travaillées dans ces réunions: des statistiques macroéconomiques de moyen terme (croissance, emploi,…) et les réformes structurelles à mener, par définition des projets de plus long terme. Une importante conférence se tiendra à Belgrade fin octobre pour clarifier cela.

M. Füle s’est montré confiant sur le bon suivi de ces programmes par les partenaires de l’UE. L’amélioration de la situation dans les pays candidats par l’adoption des réformes nécessaires est ensuite censée permettre une plus grande attractivité desdits pays auprès des investisseurs.

Comme M. Hahn lors de son audition, il a été questionné sur la pertinence d’annoncer d’emblée qu’il n’y aurait pas d’élargissement dans les cinq ans. Le journaliste posait cette question en se référant au cas de l’Islande. M. Füle a répondu que l’élargissement était un projet politique, davantage encore que lorsqu’il est arrivé à la commission. C’est la meilleure garantie d’avoir de la stabilité dans le voisinage de l’Union. Toujours pour que le projet soit crédible, il faut que dès le début de son appartenance à l’Union, un Etat soit en mesure d’assumer pleinement ses responsabilités et cela implique un travail de fond relativement long qui repousse de facto la possibilité d’une adhésion dans les cinq ans.

Il s’est aussi dit fier d’avoir intégré un nouveau membre dans l’Union durant son mandat. C’est une preuve de la crédibilité du processus d’élargissement. L’adhésion de la Croatie est la conséquence d’une transformation réussie: le pays est dans un état très différent de celui qui était le sien lorsqu’il a candidaté pour devenir membre de l’Union. Il a ensuite fait le point sur l’état des négociations avec les sept pays candidats.

Bosnie :

Le travail le plus important de la Bosnie est un travail de respect des droits fondamentaux. Elle doit notamment aligner sa constitution sur la CEDH et améliorer le fonctionnement de ses institutions. Il y a un vrai besoin de progresser car, depuis un certain temps, la Bosnie reste immobile dans son chemin vers l’intégration européenne. La prochaine étape sera de discuter avec les vainqueurs de l’élection du 12 octobre pour sortir la Bosnie du statu quo et la mettre dans le groupe des pays qui avancent vers l’adhésion.

Monténégro :

M. Füle est apparu assez optimiste sur le Monténégro, il croit en la volonté du gouvernement de s’investir pour rapprocher le pays de l’Union. Ce pays a déjà fait des avancées importantes, douze chapitres ont été ouverts et deux fermés. Les thèmes principaux à discuter sont les droits fondamentaux, la justice et la sécurité. Questionné par un journaliste monténégrin sur le meurtre (il y a une dizaine d’années) non résolu du journaliste Dusko Jovanovic et la vive controverse juridique qui entoure cette affaire, M. Füle a déploré la situation et affirmé qu’il ne devait plus y avoir de retard dans le traitement judiciaire des violences contre les médias au Monténégro.

Serbie :

La Serbie est officiellement candidate à l’entrée dans l’UE depuis 2012. L’ouverture des négociations pour l’entrée de la Serbie dans l’Union a été un tournant dans les relations entre l’UE et la Serbie. La commission avait recommande d’octroyer le statut de candidat à la Serbie à condition que celle-ci normalise ses avec le Kosovo. De l’évolution de ce dialogue dépendra une grande partie du processus d’adhésion de la Serbie à l’Union.

Kosovo :

Des changements politiques majeurs doivent être faits au Kosovo. Le progrès achevés dans l’agenda des réformes sont limités. La Commission a même communiqué sur une régression de la situation du pays en vue de son adhésion du fait d’une absence de consolidation de ses institutions. M. Füle a bien rappelé qu’il ne s’agissait pas de fermer la porte mais cela montre bien que les initiatives des progrès doivent venir des partenaires de l’Union. Le nouveau gouvernement s’est cependant engagé dans une perspective plus européenne, il faudra donc voir les évolutions concrètes.

Albanie :

Cet Etat s’est vu accorder le statut de candidat à l’adhésion en juin dernier. L’Albanie a fait des progrès grâce, notamment, au bon dialogue entre le gouvernement et l’opposition. Un dialogue de haut niveau sur les priorités en vue de l’accession à l’Union a été proposé et M. Füle a exprimé sa satisfaction de voir que le Premier Ministre albanais a accepté cette proposition.

Macédoine :

La Commission a recommandé à plusieurs reprises d’ouvrir les négociations d’adhésion mais le Conseil ne l’a pas encore accepté. Depuis 2005, le pays a le statut de candidat mais les négociations d’adhésion n’ont toujours pas été ouvertes. Il y a peu de progrès dans les dernières années avec la Macédoine. Le processus d’adhésion est dans une impasse. Il y a même des régressions dans certains domaines (la liberté des médias et l’indépendance de la justice notamment). Le commissaire a aussi été questionné sur ce que pouvait faire l’Union devant une telle situation mais il a insisté sur le fait que ses moyens soient limités. L’Union peut aider les candidats mais il faut bien être conscient que sans la volonté politique de ces derniers on ne peut pas faire beaucoup a rappelé Stefan Füle. Le point positif en Macédoine est qu’il y a au moins eu une reprise des débats entre la majorité et l’opposition au Parlement.

M. Füle s’est positionné en faveur d’une stratégie régionale dans les Balkans : il faut stimuler la coopération régionale pour pouvoir réaliser les projets d’infrastructures nécessaires (routes et réseau énergétique notamment), renforcer la sécurité de la région et mieux la connecter au reste de l’Europe. Si l’on se fie à son audition (Cf. autre article dans Nea say), cela semble aussi être une idée défendue par son successeur, Johannes Hahn.

Turquie :

Concernant la Turquie, « personne ne peut être satisfait de la tournure actuelle des négociations » et « notre intérêt mutuel est que les négociations d’adhésion reprennent une bonne dynamique » a affirmé M. Füle qui a récemment rencontré les ministres turcs de la justice et des affaires européennes.

Alors que plusieurs évènements récents intervenus en Turquie éloignent cette dernière des exigences de l’Union (les scandales de corruption, la place de la minorité kurde, la tentative de bannir les médias sociaux,…), le commissaire a plaidé pour une relance du processus d’adhésion de la Turquie. Ouvrir les négociations sur les droits fondamentaux et l’Etat de droit donnerait une feuille de route selon le commissaire.

M. Füle a mentionné les progrès induits pas le « paquet démocratique » de 2013, des progrès constitutionnels notamment en terme de contre pouvoirs. Il fixe trois points comme constituant une base de négociations : la liberté d’expression, une réforme de la justice criminelle et l’indépendance de la justice. Interrogé sur les problèmes de corruption en Turquie, il a affiché sa confiance quant aux fait que ces affaires seront correctement enquêtées. Il a répondu qu’il y avait des progrès en la matière, que les enquêtes devaient être transparentes et conduites dans le cadre de la loi. Ensuite, c’est un tribunal indépendant qui doit juger.

L’adhésion de la Turquie est aussi liée à la situation à Chypre : il faut y poursuivre le dialogue entre les deux communautés déjà engagé sous l’auspice de l’ONU. Un accord apporterait une plus grande stabilité à la région et constituerait une avancée pour une possible adhésion.

Clément François

Pour en savoir plus :

     -. script de la présentation de Stefan Füle (8 octobre 2014) : http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-14-667_en.htm (only available in English)

     -. Espace dédié à l’élargissement sur le site de la Commission européenne :  http://ec.europa.eu/enlargement/index_fr.htm (FR)  http://ec.europa.eu/enlargement/index_en.htm (EN)

     -. résumé de l’affaire Jovanovic:  http://fr.rsf.org/serbie-montenegro-nouveau-proces-dans-l-affaire-du-03-04-2008,26435.html (FR) http://archives.rsf.org/article.php3?id_article=26439 (EN)

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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