L’Union européenne en lutte contre la traite des êtres humains et le trafic des migrants

Dans un contexte général de routes de plus en plus encombrées et mouvantes, il faut parer au plus pressé, gérer l’urgence tout en visant le long terme. 2015, nouvelle année, nouvelles voies migratoires, nouvelles stratégies sophistiquées. C’est ainsi, que le 2 janvier dernier, l’Union européenne, et Triton en première ligne, ont sauvé des centaines de migrants en détresse, dont beaucoup de femmes, certaines enceintes, et de mineurs, la plupart non accompagnés. En grande majorité ils sont d’origine Syrienne, mais ils fuient aussi l’Afghanistan, l’Iran, ou l’Erythrée. Le débarquement des migrants a eu lieu au port de Corigliano Calabro au cours de ces derniers, mais leur voyage continue : des bus conduisent, ceux qui ont introduit une demande d’asile, dans les centres d’accueil italiens. Ici ils seront identifiés et resteront, jusqu’à l’aboutissement de la fin de la procédure.

Cette intervention du 2 janvier, est la deuxième intervention de sauvetage dans la même semaine. Les navires de marchandises ‘Ezadeen’, battant drapeau de la Sierre Léon, et le cargo moldave ‘Blue Sky M’ transportaient respectivement 502 et 970 migrants, abandonnés par les trafiquants d’êtres humains au large des côtes italiennes.

Malgré les plaintes déposées au mois de décembre par le directeur de la division opérationnelle de Frontex, Klaus Rösler, depuis le 1er novembre 2014 Triton est intervenu dans 77 opérations de Recherche et de Sauvetage, soustrayant à la mort 11.400 migrants. Bien que le contrôle des frontières demeure la mission principale de l’agence, elle doit respecter les obligations imposées par le Droit International, notamment la Convention SAR du 1979.

L’action prompte de Frontex en Méditerranée a permis d’éviter de nouvelles victimes, il n’en est pas de même pour les stratégies des trafiquants d’êtres humains. Déjà au mois d’octobre de premières alertes avaient été lancées, à cause de la dernière tendance à économiser sur le carburant des navires provenant principalement de Lybie et d’Egypte.

En revanche, le point de départ du ‘Ezadeen’ et ‘Blue Sky M’ était Mersin, en Turquie. En effet, comment expliquer la note de l’agence Frontex, ainsi que les témoignages récoltés par la presse européenne, ainsi que les coûts plus élevés du voyage, entre 4000$ et 8000$, pour compenser les risques du long voyage vers la Lybie et l’Egypte. En particulier, les États du Moyen-Orient sont en train de renforcer les contrôles de leurs frontières, ce qui explique le détournement des voies migratoires habituelles. Comme l’a déclaré Joel Millman, porte-parole IOM à Genève, la récente décision du Liban d’imposer des visas à l’égard des Syriens qui cherchent à entrer dans le territoire libanais, détourne le trafic des migrants vers la Turquie. De plus en plus ,la situation libyenne est chaque jour à un pas vers la faillite, et semble être devenue trop dangereuse, même pour les demandeurs d’asile fuyant des conflits les plus graves du monde.

Cependant, la route turco-européenne n’est pas la seule nouveauté. Les navires détectés ont été rapidement appelés Ghost Boats’, car les migrants sont abandonnés en détresse dans la mer, alors que l’équipage des trafiquants s’enfuient. La méthode est très simple : les instruments d’identification restent éteints, afin de garantir plus de temps pour la fuite des trafiquants, échappant ainsi aux contrôles des garde-côtes. De son côté , le cargo suit sa route, dans la mesure où le carburant le permet, seulement guidé par un GPS.

Une stratégie qui alerte l’Union européenne. Le Commissaire Dimitris Avramopoulos à la suite des évènements a déclaré : ‘la lutte contre le trafic des migrants est une priorité absolue et selon une ’approche de la migration qui soit holistique’. Lors de la plénière du Parlement européen, du 13 janvier 2015, il a mis l’accent sur la durabilité des conflits et des guerres, ainsi que sur les nouvelles astuces des trafiquants. Face à ces actes criminels des actions décisives au niveau européen doivent être prises, car ‘il est inacceptable que les migrants risquent leur vie pour demander la protection internationale’, affirme-t-il.

D’ailleurs, la porte-parole du Conseil de l’UE, sous présidence lettonne, Mme. Zanda Kalniņa-Lukaševica a fait part des inquiétudes des Etats membres : ‘Ces questions’, dit-elle, ‘seront prioritaires au Conseil’. Elle promet, dès lors, des mesures efficaces qui seront prises afin de démanteler les réseaux criminels qui exploitent la situation de désespoir des migrants.

Pendant les débats du 13 janvier dernier, les eurodéputés ont envisagé plusieurs solutions pour le futur. Elles seront probablement intégrées dans l’Agenda pour la Migration qui sera approuvé par la Commission dans les prochains jours (voir le Programme de travail de la Commission pour l’année 2015). Les pistes suggérées par les députés incluent l’ouverture des voies légales d’immigration, à des fins d’emploi et de regroupement familial; ainsi que des mesures concernant les demandeurs d’asile, à travers le programme de fourniture des visas humanitaires dans les délégations européennes dans les pays tiers, mais aussi un plan de réinstallation des réfugiés, véritablement européen.

Pour le moment la position prise par l’Union européenne reste encore faible. Tout d’abord, la coopération avec les pays d’origine et de transit des migrants, selon le commissaire Avramopoulos, pourrait prévoir des campagnes d’information sur les risques des voyages en mer dans les navires des trafiquants. Cependant, il faut considérer que souvent, avant un départ effectif, les migrants entreprennent plusieurs tentatives. Dès lors, il est très difficile de croire qu’ils ne connaissent pas les dangers qu’ils encourent. Si les migrants entreprennent ce choix extrême de remettre sa propre vie dans les mains des criminels, c’est parce que la gravité des conflits et des guerres qu’ils fuient est insaisissable par les européens qui vivent dans la paix depuis longtemps.

La porte-parole de l’agence Frontex parle de nouvelles opportunités pour des individus en Turquie, déniant tout lien avec un réseau plus complexe des trafiquants. Mais, il parait très évident que l’action en réseaux soit un des caractères structurels de la criminalité organisée, y compris de la traite et du trafic d’êtres humains. Comment peut-on ainsi sous-estimer un phénomène d’une telle portée ?

Le moment est venu pour l’Union européenne de renforcer sa stratégie de lutte contre la traite des êtres humains et le trafic des migrants.

Il est bien de rappeler qu’il s’agit d’un business extrêmement rentable. Un article du Guardian rapporte le témoignage de Abu Hamada, un des cerveaux du trafic des Syriens en Egypte. D’après lui, un trafiquant gagne un montant de l’ordre de plusieurs millions de dollars par an, et plus précisément des dizaines de milliers par navire. Un commerce qui a évolué énormément au fil du temps, jusqu’à utiliser les réseaux sociaux comme Facebook. Une véritable industrie. Une entreprise ingénieuse. Un marché bien consolidé où l’écart profond entre l’offre et la demande d’un laissez-passer pour l’Europe fait monter le prix de façon incroyable. Les déclarations d’Abu Hamada le confirment: ‘What’s wrong of making profit? (Migrants) are nothing but money’.

Si l’Union européennes veut lancer une stratégie efficace de lutte contre la traite et le trafic des migrants, elle devra réfléchir en termes économiques. Il faut, donc, s’attaquer aux facteurs qui créent la demande, et notamment aux causes des conflits et des guerres qui perdurent dans les pays d’origine des migrants. Par conséquence, il n’y aura plus d’intérêt à offrir certains services et le marché des êtres humains subira un contre coup considérable.

Afin de saisir la complexité des enjeux, l’approche holistique promue par la nouvelle Commission pourrait effectivement être une alternative viable et adéquate. D’ailleurs, l’implication de la Turquie offre davantage d’opportunités dans la lutte contre la traite et le trafic des migrants, et notamment par rapport au recentrage de la stratégie vers l’extérieur. Il ne faut pas oublier qu’un des points les plus faibles de la stratégie de coopération consiste dans l’asymétrie des intérêts en jeux entre l’UE et les pays tiers, ce qui affaiblit l’efficacité et la crédibilité des engagements conclus.

Inversement, depuis 1963 l’Union européenne et la Turquie sont en train de négocier les accords d’adhésion. Par conséquence, le cadre politique de coopération, notamment en matière de lutte contre le trafic et la traite des êtres humains, s’imbrique à d’autres questions, aboutissant à des compromis plus crédibles. En plus, les données statistiques sur la traite des êtres humains, récoltés par Eurostat (voir en savoir plus) comprennent la Turquie, donnant une base plus solide à la surveillance du phénomène.

D’ailleurs, en ce qui concerne les autres pays tiers, comme l’Egypte, il faudra renforcer les mécanismes du contrôle du respect des engagements pris par les autorités partenaires. Même si la plupart des trafiquants dénient tout lien avec les autorités locales, la réalité est bien différente. En Egypte, par exemple, les monassek sont spécifiquement chargés de régler les relations avec le pouvoir politique, de manière à garantir les profits, tout en s’efforçant de démontrer l’apparent respect des accords européens. Abu Uday, trafiquant égyptien, révèle: “It’s normal that if I want to smuggle 300 [migrants] the authorities will take 50 and let 250 go, to show the Italians that they are doing some work.

Traite des êtres humains et trafic : une piège juridique fatale.

La Commission européenne est très claire sur ce point. Le trafic des migrants est différent de la traite des êtres humains, même s’il s’agit de deux crimes liés entre eux. On trouve une explication claire dans le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, entré en vigueur en 2004, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée de 2003 (voir « Pour en savoir plus). Les aspects de divergences sont les suivants :

  • Le consentement: les migrants victimes du trafic ont volontairement consenti au crime subi, malgré les conditions dangereuses et dégradantes. En cas de traite s’il y a un consentement de l’individu, il a été obtenu par le biais de la force ou d’actions trompeuses ou abusives.
  • L’exploitation : la traite est un crime bien plus grave du trafic, car l’exploitation de la victime perdure plus longtemps, causant des traumas et des abus plus sérieux. Au contraire, l’acte du trafic termine au moment du débarquement des migrants dans le pays de destination.

Sources de profit : alors que les trafiquants des migrants gagnent leurs revenus des voyages organisés, les crimes des traites tirent profits de l’exploitation des victimes dans les pays où les migrants sont transportés.

  • Dimension du crime : le trafic a toujours une dimension transnationale, tandis que la traite ne l’a pas forcément. Cette dernière, en fait, n’implique pas nécessairement le franchissement des frontières.

Cette distinction établie une hiérarchie de gravité entre les deux crimes qui pourrait causer le risque d’une sous-estimation des violations des droits fondamentaux subies par les victimes. Mais au-delà des considérations d’ordre substantiel, la confusion entre les deux phénomènes a provoqué des graves déséquilibres juridiques, comme démontre l’état du Droit de l’Union européenne.

Alors que la traite des êtres humains fait l’objet d’une Directive modifiée en 2011 (voir « Pour en savoir plus »), la lutte contre le trafic fait référence à la conclusion du Conseil UE de 2006, qui rend juridiquement contraignantes les obligations internationales du ‘Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer’ des Nations Unies, qui, par conséquence, appartient au Droit de l’Union.

Par ailleurs, dans les Conclusions du Conseil européen de juin 2014 (EUCO 79/14), pour la première fois, à côté de la traite des êtres humains, les plus hautes représentants des États membres ont considéré comme nécessaire d’introduire la lutte contre le ‘trafic’. Les deux phénomènes sont abordés conjointement au chapitre relatif à la lutte contre l’immigration irrégulière (§8), ainsi qu’à celui concernant la sécurité intérieure, et notamment en lien avec la criminalité organisée (§10).

Le Conseil européen a donc donné une impulsion forte qui doit être accueillie par les Etats membres et l’Union dans sa totalité. La volonté manifestée à la suite des évènements de la première semaine de janvier dernier semble s’inscrire dans ce nouvel élan. Pour l’instant, les mesures opérationnelles principales qui ont été envisagées, concernent l’intensification des échanges d’information et le renforcement de l’agence Europol. Cependant, si l’Union veut maintenir à un niveau élevé ses valeurs, elle devra également tenir compte du respect des Droits fondamentaux des victimes d’un crime grave comme le trafic des migrants.

Le nouveau patron de Frontex, le français Fabrice Leggeri (cf. article à son sujet dans Nea say de Eulogos), devra améliorer les capacités opérationnelles de l’Agence Frontex, avoir également la capacité de contraindre les Etats membres à s’engager selon un planning plus prévisible concernant la mise à disposition des moyens, notamment les moyens maritimes et aériens. Il devra améliorer le travail opérationnel avec les pays d’origine et de transit. Frontex ne doit pas perdre de vue qu’il dispose déjà et en fait d’un assez large pouvoir décisionnel et au fil des ans il a vu son champ d’action s’élargir. Frontex devra augmenter aussi la transparence de son fonctionnement et la transparence sur la nature des actions effectivement engagées.

Elena Sbarai

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Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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