Amnesty International. Nouveau rapport 2014-2015 : « Situation catastrophique pour les droits humains dans le monde »

Le rapport 2014 – 2015 publié par Amnesty International, le 25 février 2015, sonne l’alarme sur les droits humaines dans le monde et rend compte de la situation des droits humains avec une analyse menée dans 160 pays. L’ONG reproche à la communauté internationale d’être inopérante : « les dirigeants politiques se sont montrés incapables de protéger les personnes qui ont subi les conséquences des conflits, des déplacements forcés, de la discrimination ou de la répression. Les attaques ne doivent jamais viser les civils. Le principe de la distinction entre civils et combattants est une garantie fondamentale. »

2014 a été une « année terrible », a déclaré Salil Shetty, secrétaire général de l’ONG. Pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, le monde compte plus de 50 millions de personnes déplacées. Quel que soit le continent et le pays, « les dirigeants politiques se sont montrés incapables de protéger les personnes qui en ont le plus besoin ».

Amnesty International sollicite les leaders mondiaux à agir immédiatement en face de la nature changeante des conflits et à protéger les civils de la violence terrible de la part des États et des groupes armés. Si les dirigeants du monde ne donnent pas un réponse efficace et imminent, la perspective des droits humains dans la période 2015-2016 sera sombre, avec :

  • de plus en plus de civils contraintes de vivre sous le contrôle de groupes armés pro-gouvernementaux ou non-étatiques et soumises à des persécutions, des attaques et des discriminations ;
  • des menaces croissantes pour la liberté d’expression et pour d’autres droits humaines, y compris les violations dues à de nouvelles lois anti-terroristes et la surveillance de masse injustifiée ;
  • une détérioration des conditions humanitaires et une crise des réfugiés avec un nombre croissant de personnes fuyant les conflits, des gouvernements toujours engagés dans la clôture des frontières et une communauté internationale de plus en plus incapable de fournir assistance et protection.

Préoccupations pour la puissance de groupes armés non-étatiques

En ce qui concerne la montée en puissance de groupes armés radicaux et la prolifération constante des armes légères Amnesty International se déclare très inquiète, tout particulièrement, de la montée en puissance de groupes armés non-étatiques, dont celui qui se donne le nom d’État Islamique au Sahel, en Lybie, en Irak et en Syrie, Boko Haram au Nigeria, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et El Shebab en Somalie.

L’ONG a notamment souligné le niveau record de la sauvagerie des groupes armées en Afrique et au Moyen-Orient, qui « infligent des châtiments tels que des exécutions publiques, des amputations et des flagellations pour punir ce qu’ils considèrent comme des transgressions de leur version de la loi islamique ». L’EI fait régner la terreur, exécute sommairement des membres de l’armée régulière, des minorités (plusieurs centaines de Yézidis, en août), des musulmans chiites (plusieurs centaines de détenus de la prison de Badouch près de Mossoul, en juin) et tous ceux qui s’opposent à lui, tels les 320 membres de la tribu sunnite de Albu Nimr en Irak, en octobre. Au Nigeria, les massacres de Boko Haram ont pris une ampleur sans précédent en 2014. « Certains de ces actes constituent des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre », selon Amnesty International qui cite les 393 villageois tués à Gamboru Ngala, le 5 mai dernier, ou les près de 600 civils de Gwoza assassinés le 6 aout.

En Somalie, pendant le conflit entre les forces pro-gouvernementales et le groupe armé islamiste, plus de 100.000 civils ont été tués, blessés ou déplacés en commettant des violations du droit international relatif aux droits humains et du droit international humanitaire. Les groupes armés pratiquaient le recrutement forcé, y compris d’enfants, et ont enlevé, torturé et tué illégalement des personnes. Le viol et les autres formes de violence sexuelle étaient très répandus. En raison du conflit, de la sécheresse et du manque d’accès à l’aide humanitaire, la situation humanitaire s’est rapidement dégradée. À la fin de 2014, plus d’un million de personnes étaient en situation de crise humanitaire et 2,1 millions avaient besoin d’aide.

Préoccupations pour la situation des refugiés

Conséquence tragique de l’incapacité de la communauté internationale à faire face au nouveau visage des conflits, la crise des réfugiés est l’une des plus graves que le monde ait jamais connues, alors qu’au cours des quatre dernières années de la crise syrienne, plus de 200.000 personnes, essentiellement des civils, sont mortes et environ quatre millions de Syriens ont fui leur pays pour se réfugier à l’étranger. Il y a à l’intérieur de la Syrie plus de 7,6 millions de personnes déplacées.

Moins de 2 % de réfugiés syriens avaient bénéficié d’une réinstallation à la fin de 2014 – c’est un pourcentage qu’il faudrait au minimum multiplier par trois en 2015.

« Il est insupportable de constater que les efforts déployés par les pays riches pour maintenir ces personnes hors de leurs frontières prennent le pas sur ceux visant à les maintenir en vie. La crise mondiale des réfugiés ne peut que s’aggraver si l’on ne réagit pas de toute urgence », a déclaré Salil Shetty.

« Les dirigeants ont toutes les cartes en main pour alléger la souffrance de millions de gens : ils doivent consacrer des ressources financières et politiques à l’aide et à la protection de celles et ceux qui fuient le danger, leur offrir une large assistance humanitaire et réinstaller les plus vulnérables. »

Situation en Italie et Mare Nostrum

Pendant ce temps, un grand nombre de réfugiés et de migrants perdent la vie en mer Méditerranée lorsqu’ils essaient par tous les moyens de gagner les rivages de l’Europe. Le choix fait par certains États membres de l’Union européenne de ne pas soutenir les opérations de recherche et de sauvetage a contribué à l’augmentation du nombre de morts.

En effet, Amnesty International a critiqué le gouvernement italien pour la clôture de l’opération de patrouille du détroit de Sicile, Mare Nostrum, qui selon l’organisation a permis le sauvetage de 150.000 réfugiés et migrants. « Nous avions demandé au gouvernement, et le premier ministre aussi s’était engagé publiquement dans cette direction, de ne pas suspendre Mare Nostrum jusqu’à quand on n’avait pas mis en service une opération aussi efficace. Nos demandes n’ont pas été entendues, avec des conséquences amplement prévues de nouveaux décès tragiques en mer, malgré le disposition complète des moyens et de l’engagement de la garde côtière italienne, laissé seul par la communauté internationale », a déclaré l’ONG.

En outre, beaucoup de problèmes sont liés à l’absence du crime de torture dans la législation nationale, la discrimination envers la communauté rom, la situation dans les prisons et dans les centres de détention pour les migrants en situation irrégulière et l’incapacité d’établir – en dépit des progrès constatés sur certains cas – la responsabilité des décès de personnes détenues par la police, à la suite d’enquêtes incomplètes et les faiblesses dans les procédures judiciaires.

Renonciation au droit de veto par les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU

Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (États-Unis, Grande-Bretagne, France, Chine, Russie), ont « constamment abusé du pouvoir et des privilèges du droit de veto pour promouvoir leurs propres intérêts politiques ou géopolitiques au détriment de la protection des civils », dénonce l’ONG. Pour cette raison Amnesty promeut l’adoption d’un « code de conduite par lequel les membres du Conseil de sécurité décideraient de renoncer volontairement à faire usage de leur droit de veto pour bloquer l’action du Conseil de sécurité en cas de génocide, de crimes de guerre ou de crime contre l’humanité ». Pour Philip Luther, directeur pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord chez Amnesty, un tel renoncement aurait par exemple permis à la Cour pénale internationale de poursuivre les responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Syrie. « En renonçant à leur droit de veto, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité élargiraient la marge de manœuvre des Nations unies et feraient clairement savoir aux responsables d’atrocités massives que le monde ne restera pas les bras croisés », a déclaré Salil Shetty.

La convention contre la torture des Nations unies

En 2014, 30 ans s’étaient écoulés depuis l’adoption de la Convention contre la torture des Nations unies. Pour ce traité-là également, Amnesty International avait fait campagne pendant de longues années, et c’est en partie grâce à cette action que le prix Nobel de la paix lui a été décerné en 1977. Cet anniversaire méritait d’être célébré, mais il a aussi permis de souligner que la torture est toujours monnaie courante dans le monde entier, ce qui a incité Amnesty International à lancer sa grande campagne Stop Torture en 2014.

Le message formulé contre la torture a acquis une résonance particulière après la publication en décembre d’un rapport du Sénat américain, d’où se dégageait une propension à approuver le recours à la torture au cours des années suivant les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Il était étonnant de voir que certains responsables d’actes de torture semblaient encore penser qu’ils n’avaient nullement à en avoir honte.

Traité du commerce des armes

En ce qui concerne le Traité international sur le commerce des armes entré en vigueur le 24 décembre 2014, le seuil des 50 ratifications ayant été atteint trois mois plus tôt. Cependant l’extraordinaire victoire, l’ONG exhorte tous les états à signer et ratifier le traité, y compris le Canada, les États Unies, la Chine, l’Inde, Israël et la Russie, après des dizaines d’années de mobilisation d’Amnesty International et d’autres organisations en faveur de son adoption. L’année 2014 a vu un grand commerce d’armes, surtout vers l’Iraq, Israël, le Soudan du sud et la Syrie. Les armes ont été utilisées par les force armées ordinaires et par les groupes armés qui ont été utilisées contre des populations civiles en situation de conflit.

Nouvelles restrictions pour les armes explosives

Amnesty International demande aux dirigeants mondiaux d’imposer de nouvelles restrictions pour lutter contre l’usage d’armes explosives (telles que des bombes aériennes, des obus de mortier, des tirs d’artillerie, des roquettes et des missiles balistiques) dans des régions peuplées. En 2014, elles ont fait quantité de morts dans la population civile.

Pour protéger les civils en situation de conflit, il serait souhaitable de limiter davantage le recours aux armes explosives dans des régions peuplées. Une telle mesure aurait sauvé de nombreuses vies en Ukraine, où les séparatistes appuyés par la Russie (même si ce pays affirme de façon peu convaincante ne pas s’ingérer dans ce conflit) et les forces favorables au pouvoir de Kiev ont pris pour cible des secteurs habités par des civils.

L’importance des règles sur la protection des civils est telle que l’obligation de rendre des comptes doit s’imposer dans un esprit de justice chaque fois que ces règles sont violées. Dans ce contexte, Amnesty International salue la décision prise par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève, en vue d’ouvrir une enquête internationale sur les allégations de violations des droits humains et d’atteintes à ces droits au cours du conflit du Sri Lanka, lors duquel, dans sa période finale en 2009, des dizaines de milliers de civils ont été tués. Depuis déjà cinq années, Amnesty International fait campagne pour une telle enquête. Sans obligation de rendre des comptes, nous ne progresserons jamais.

En ce qui concerne les lois sur la sécurité internationale, Amnesty International appelle les gouvernements à assurer que leur réponse aux menaces contre la sécurité ne mette pas en péril les droits fondamentaux ou alimente de nouvelles violences. En 2014 de nombreux gouvernements (Afghanistan, Kenya, Nigéria, Pakistan, Russie, Turquie) ont essayé de justifier les violations des droits de l’homme avec la nécessité de défendre la «sécurité» international.

Si l’année 2014 a été marquée par des conflits violents et l’incapacité de nombreux gouvernements à protéger les droits et la sécurité des civils, des progrès non négligeables ont tout de même été accomplis en matière de protection et de garantie de certains droits humains. Des dates clés, telles la commémoration de la fuite de gaz de Bhopal en 1984 ou celle du génocide rwandais de 1994, ainsi qu’une réflexion sur les 30 années écoulées depuis l’adoption de la Convention des Nations unies contre la torture, nous rappellent qu’il y a eu des avancées notables mais qu’il faut poursuivre le travail afin de rendre justice à tous ceux dont les droits humains sont gravement bafoués. Enfin, ce rapport rend hommage aux hommes et aux femmes qui, partout dans le monde, défendent les droits humains dans des conditions souvent difficiles et dangereuses. Il reflète les principaux motifs d’inquiétude d’Amnesty International dans le monde entier et constitue une lecture indispensable pour les décideurs, les militants et toute personne intéressée par la question des droits humains.

(Irene Capuozzo)

En savoir plus :

Amnesty International – Rapport 2014/2015 : La situation des droits humains dans le monde – 25/02/2015 – (FR)

Amnesty International – Annual Report 2014/2015 – 25/02/2015 – (EN)

Amnesty International – Avant-propos au rapport annuel 2015 – 25/02/2015 – (FR)

Le monde – Réfugiés, Roms, violences policières…Amnesty International critique la France – 25/02/2015 – (FR)

Azeca – Amnesty International : Rapport Annuel 2015 – 25/02/2015 – (FR)

Le soir – Droits humains bafoués : les principaux chiffres du rapport d’Amnesty International – 25/02/2015 – (FR)

L’express du Faso – Droits humains dans le monde : Amnesty International lance son rapport annuel – 26/02/2015 – (FR)

L’express – Pour Amnesty International, « nous traversons la crise la plus grave depuis la Seconde Guerre Mondiale » – 25/02/2015 – (FR)

Sen360.com – Sénégal : Rapport 2014/2015 sur les droits humains – Amnesty International note des actes concrets, malgré des cas de violation – 28/02/2015 – (FR)

fr.allafrica – Afrique : Rapport 2014 d’Amnesty International – Interdiction et répression de marches, bavures policières, impunité, Crei.. – Le Sénégal pris en flagrant délit – 26/02/2015 – (FR)

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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