Prévention du terrorisme et combattants étrangers, faire face à une menace nouvelle : un protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe

Le projet de protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme a été présenté en commission LIBE (Libertés civiles, justice et affaires intérieures) du Parlement européen mercredi 1er avril. Conformément à l’article 218 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatif aux accords entre l’Union et des pays tiers ou organisations internationales, « la Commission, ou le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité […], présente des recommandations au Conseil, qui adopte une décision autorisant l’ouverture des négociations ». Le représentant de la Commission, du Conseil et le coordinateur du Conseil de l’Europe pour la lutte contre le terrorisme ont donc présenté devant les eurodéputés de LIBE les recommandations de la Commission en vue de l’adoption d’une décision du Conseil autorisant l’ouverture des négociations.

             Pour rappel, le Conseil de l’Europe est à distinguer de l’Union européenne. En effet, celui-ci est une organisation internationale de défense des droits de l’homme créée le 5 mai 1949 par le traité de Londres. Aujourd’hui fort de 47 États membres dont les 28 États membres de l’Union européenne, le Conseil de l’Europe a pour objectif de défendre les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit sur le continent européen. Le Saint Siège, les États-Unis, le Canada, le Japon et le Mexique bénéficient du statut d’observateur tandis que la Turquie et la Russie, d’autres encore sont membres de plein droit, dépassant ainsi les frontières de l’Union européenne.Tous les États membres du Conseil de l’Europe ont signé la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme est la juridiction compétente pour statuer sur les violations des droits civils et politiques énoncés dans la Convention. Le cas échéant, elle sanctionne les États ayant manqué à leurs engagements. Ses arrêts sont obligatoires pour les États concernés qui sont ainsi amenés à modifier leurs pratiques voire leur législation. La Cour peut être saisie par des États ou des individus, indépendamment de leur nationalité. Pour atteindre ses objectifs, le Conseil de l’Europe s’appuie également sur un Secrétariat général, une Assemblée parlementaire, un Commissaire aux droits de l’homme et un Comité des Ministres. Ce dernier rassemblant les Ministres des Affaires étrangères des États membres ou leurs représentants permanents à Strasbourg est l’instance décisionnelle du Conseil de l’Europe. Il est également chargé du suivi du respect des engagements des États membres. L’article 15 du Statut du Conseil de l’Europe stipule que le Comité des Ministres « examine les mesures propres à réaliser le but du Conseil de l’Europe, y compris la conclusion de conventions et d’accords » et qu’il peut faire des recommandations aux États membres sur des questions pour lesquelles le Comité a décidé d’une « politique commune ». Si les recommandations ne sont pas obligatoires pour les États, les conventions le sont pour les signataires. La Convention pour la prévention du terrorisme en est un exemple. Cette Convention comme le rapport explicatif associé ont été adoptés par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 3 mai 2005. Le texte a ensuite été ouvert à la signature des États membres du Conseil de l’Europe ainsi que des États non membres ayant participé à son élaboration le 16 mai 2005.

Ce sont les attentats du 11 septembre 2001 qui ont conduit le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe à s’accorder sur la création d’un groupe multidisciplinaire sur l’action internationale contre le terrorisme en novembre 2001 (GMT). Ce groupe s’est alors vu chargé de revoir le fonctionnement des instruments internationaux du Conseil de l’Europe en matière de lutte contre le terrorisme et d’examiner les éventuelles mises à jour. A cette fin, le protocole amendant la Convention pour la répression du terrorisme a été approuvé par le Comité des Ministres le 13 février 2003 avant d’être ouvert à signature le 15 mai. D’autres travaux ont également été conduits. A la suite de l’expiration du mandat du GMT a été créé en 2003 le Comité d’experts sur le terrorisme (CODEXTER) qui est un comité intergouvernemental d’experts chargé de coordonner les actions du Conseil de l’Europe contre le terrorisme. Des réunions plénières, deux fois par an, réunissent les experts des États membres, des États observateurs, ainsi que des organisations internationales. La première réunion s’est tenue en octobre 2003. C’est sur la base des travaux du CODEXTER, après consultation de l’Assemblée parlementaire et du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, ainsi que la collecte des observations formulées par les organisations, que le Comité des Ministres a adopté la Convention pour la prévention du terrorisme le 3 mai 2005.

Concernant le contenu du texte, le rapport explicatif indique que « le but de la Convention est d’améliorer les efforts des Parties dans la prévention du terrorisme et de ses effets négatifs sur la pleine jouissance des droits de l’homme et notamment du droit à la vie […] ». Dès lors, « la Convention entend parvenir à cet objectif, d’une part, en qualifiant d’infractions pénales certains actes pouvant conduire à la commission d’infractions terroristes, notamment la provocation publique, le recrutement et l’entraînement, et, d’autre part, en renforçant la coopération pour la prévention » tant au niveau national qu’international. Au-delà de cette mission assignée au texte, celui-ci comporte plusieurs dispositions concernant la protection des droits de l’homme et libertés fondamentales dont une disposition relative à la protection et à l’indemnisation des victimes du terrorisme, et une autre soulignant que les droits de l’homme doivent être respectés à l’égard des victimes comme des personnes accusées ou condamnées. Trois nouvelles infractions sont aussi introduites par la Convention. L’article 5 incrimine la provocation publique à commettre une infraction terroriste, c’est-à-dire « la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition du public d’un message, avec l’intention d’inciter à la commission d’une infraction terroriste ». Dans la même veine, l’article 6 s’attaque au recrutement pour le terrorisme défini comme «  le fait de solliciter une autre personne pour commettre ou participer à la commission d’une infraction terroriste, ou pour se joindre à une association ou à un groupe afin de contribuer à la commission d’une ou plusieurs infractions terroristes par l’association ou le groupe ». L’article 7 quant à lui concerne l’entraînement pour le terrorisme, à savoir « le fait de donner des instructions pour la fabrication ou l’utilisation d’explosifs, d’armes à feu ou d’autres armes ou substances nocives ou dangereuses, ou pour d’autres méthodes et techniques spécifiques en vue de commettre une infraction terroriste ou de contribuer à sa commission ». Pour ces trois infractions, la Convention stipule que « chaque Partie adopte les mesures qui s’avèrent nécessaires pour [les] ériger en infraction pénale, conformément à son droit interne » lorsqu’elles sont commises « illégalement et intentionnellement. » La complicité et la tentative de commission d’un acte terroriste sont également érigées en infraction pénale.

Face à l’émergence de nouvelles formes de terrorisme et l’importance croissante du phénomène des combattants étrangers, la nécessité de compléter cette Convention s’est faite plus pressante. Le 21 janvier dernier, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a instauré un Comité sur les combattants terroristes étrangers jusqu’au 31 décembre 2015. Rappelons que l’expression « combattants étrangers » renvoie aux individus, Européens essentiellement, qui partent se battre aux côtés de l’organisation État islamique en Syrie et en Irak, et dont certains reviennent ensuite dans leur pays d’origine avec l’intention de commettre des attentats. Ce Comité sur les combattants étrangers s’est vu assigner la mission de préparer, sous l’autorité du CODEXTER, un projet de protocole additionnel visant à compléter la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme. Il se compose de 49 membres dont les représentants des gouvernements des États membres désignés par ceux-ci en raison de leur « expertise reconnue dans le domaine pénal et du terrorisme », un expert scientifique désigné par le Secrétaire général, ainsi que des experts envoyés par les États observateurs et des représentants d’autres organisations internationales. Trois réunions ont eu lieu du 23 au 26 février 2015, du 9 au 12 mars 2015 et du 23 au 26 mars 2015. Les textes qui en sont issus ont été rendus publics pour permettre aux organisations actives dans ce domaine de donner leur avis. De manière générale, le Comité a été chargé d’examiner la criminalisation d’un certain nombre d’actes, parmi lesquels : se faire recruter pour le terrorisme, recevoir un entraînement à cette fin, se rendre dans un autre pays dans le but de commettre ou de préparer des actes de terrorisme, fournir ou collecter des fonds destinés à financer ces voyages et enfin, organiser et faciliter ces voyages. L’idée qui transparaît est donc claire : prendre en compte les nouvelles formes de terrorisme. Le protocole additionnel entend ainsi favoriser la mise en œuvre, à l’échelle du continent européen, de la Résolution 2178(2014) du Conseil de Sécurité de l’ONU qui vise à contrer ce phénomène des combattants étrangers. On estime aujourd’hui entre 5 000 et 6 000 le nombre d’Européens combattant aux côtés de l’État islamique en Syrie, a indiqué Vĕra Jourová, Commissaire de l’Union européenne pour la Justice, les Consommateurs et l’Égalité des genres. Ceci étant, il s’agit d’une estimation à prendre avec précaution du fait de la difficulté à identifier ces individus. Dans ce contexte, le protocole permettra d’harmoniser les législations européennes de manière à faciliter la coopération entre les États dans leur lutte contre le terrorisme. La création de points d’échange d’information en est un exemple symptomatique. MmeJourava a indiqué que les chiffres qu’elle avançait sous-estimaient peut-être l’ampleur du phénomène.

Si les négociations sont déjà bien avancées à Strasbourg, l’Union européenne travaille toujours sur un mandat de négociation. L’ambition est d’essayer de négocier au nom de l’Union. Le représentant de la Commission européenne a souligné le 1er avril devant les eurodéputés de la commission LIBE que la Résolution de l’ONU devait être rendue opérationnelle. Aucun des États membres de l’Union européenne ne devrait prévoir de nouveaux délits autonomes si des dispositions prévoient déjà une pénalisation suffisante a-t-il ajouté. La Présidence lettone du Conseil (regroupant les Ministres des États membres de l’Union européenne) a mis en avant que le Conseil de l’Europe (organisation internationale distincte l’Union européenne) avait débuté ses travaux très rapidement et que dès que le mandat de négociation serait prêt, cette question serait considérée comme une priorité. Pour l’heure, ce sont les États membres de l’Union qui prennent part aux discussions. Pourtant, le représentant de la Commission européenne a fait valoir qu’une coordination ad hoc avait été mise en place à Strasbourg et que des briefing avaient lieu à l’occasion des « pauses café » de manière à dégager une position européenne. Dans le cadre de ces négociations, les débats se focalisent essentiellement sur l’équilibre entre protection des droits de l’homme et pénalisation des actes pouvant conduire au terrorisme, a expliqué le Coordinateur du Conseil de l’Europe pour la lutte contre le terrorisme, Ivan Koedjikov. L’adoption du protocole par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe est prévue pour le 29 avril prochain.

Plusieurs députés du Parlement européen membres de la commission LIBE comme Sophie In’t Veld (NL, ALDE) ou Judith Sargentini (NL, Verts) ont mis en avant les problèmes que pose la pénalisation d’une intention. Pour réponse, la Commission a indiqué que cet aspect constituait un élément important. Il s’agit d’utiliser des éléments objectifs comme des comportements ou des actes, même si la frontière est difficile à tracer entre ce qui relève d’une menace terroriste et ce qui y est étranger. Le Coordinateur du Conseil de l’Europe pour la lutte contre le terrorisme a quant à lui rappelé qu’une pénalisation de l’intention ne figurait en tant que telle, ni dans le protocole additionnel en cours de négociation, ni dans la Convention. Cependant, si d’ordinaire c’est le passage à l’acte qui compte, dans le cas du terrorisme, l’intention acquiert une importance particulière. D’autres députés se sont interrogés sur la plus-value du protocole au regard des textes existants. Pour la présidence lettone du Conseil, l’association des États membres de l’Union européenne et d’États tiers dans le cadre du Conseil de l’Europe constitue la valeur ajoutée de ce nouveau texte. Ceci étant, comme l’a rappelé Ivan Koedjikov, le protocole est négocié pour répondre à un sujet brûlant et ne peut régler tous les problèmes liés au terrorisme. Par ailleurs, certains États membres de l’Union européenne sont d’ores et déjà allés au-delà de ce qui figure dans le projet de protocole additionnel. C’est le cas de la France qui a créé par la loi du 13 novembre 2014 le délit d’ « entreprise individuelle terroriste », déjà prévu par les systèmes juridiques britannique et allemand, pour faire face au développement de l’auto-radicalisation notamment. Le protocole a tout de même le mérite d’essayer d’harmoniser les législations existantes en la matière et les récents événements de Paris et Copenhague ont révélé la nécessité d’une telle démarche.

Charline Quillérou

 

Pour en savoir plus

 

     -. Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:12012E/TXT (FR)

http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:12012E/TXT (EN)

      -. Statut du Conseil de l’Europe

http://conventions.coe.int/Treaty/fr/Treaties/Html/001.htm (FR)

http://conventions.coe.int/Treaty/en/Treaties/Html/001.htm (EN)

      -. Cour européenne des droits de l’homme en Bref

http://www.echr.coe.int/Documents/Court_in_brief_FRA.pdf (FR)

http://www.echr.coe.int/Documents/Court_in_brief_ENG.pdf (EN)

      -. Comité des Ministres du Conseil de l’Europe

http://www.coe.int/t/cm/aboutCM_fr.asp (FR)

http://www.coe.int/t/cm/aboutCM_en.asp (EN)

      -. CODEXTER

http://www.coe.int/fr/web/portal/home/-/asset_publisher/DibKFqnpE518/content/fight-against-terrorism (FR)

http://www.coe.int/en/web/portal/home/-/asset_publisher/DibKFqnpE518/content/fight-against-terrorism (EN)

      -. Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme

http://conventions.coe.int/Treaty/FR/Treaties/Html/196.htm (FR)

http://conventions.coe.int/Treaty/EN/Treaties/Html/196.htm (EN)

      -. Rapport explicatif sur la Convention pour la prévention du terrorisme

http://conventions.coe.int/Treaty/FR/Reports/Html/196.htm (FR)

http://conventions.coe.int/Treaty/EN/Reports/Html/196.htm (EN)

      -. Résolution 2178(2014) du Conseil de sécurité de l’ONU

http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/2178%20%282014%29 (FR)

http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/2178%20(2014)&TYPE=&referer=/fr/&Lang=E (EN)

      -. Projet de protocole additionnel à la Convention pour la prévention du terrorisme

http://www.coe.int/t/dlapil/codexter/COD-CTE/COD-CTE%20%282015%29%201prov%20Draft%20Protocol_FR%2012mars_publ.pdf (FR)

 

     -. EurActiv, « Jourová: Over 6000 Europeans waging jihad in Syria »

http://www.euractiv.com/sections/global-europe/jourova-over-6000-europeans-waging-jihad-syria-313712

      -. Intervention de C. Revault D’Allonnes-Bonnefoy en commission LIBE le 1er avril 2015

https://crevaultdallonnesbonnefoy.wordpress.com/2015/04/02/protocole-additionnel-a-la-convention-du-conseil-de-leurope-pour-la-prevention-du-terrorisme/

 

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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