L’initiative citoyenne européenne (ICE) : un outil de démocratie directe en perdition !

  Le 13 avril dernier, le Comité économique et social européen (CESE) organisait la « Journée pour l’initiative citoyenne européenne 2015 – Revoir, Renouveler, Relancer ». L’intitulé de cette journée de discussion est symptomatique du tournant décisif où se trouve l’initiative citoyenne européenne (ICE) : être réformée ou disparaître. Face au constat selon lequel de nombreuses initiatives se heurtent aux formalités administratives à remplir, et suite à la publication le 31 mars du rapport d’évaluation de la Commission sur les trois premières années de mise en œuvre de l’ICE, des recommandations ont été formulées par le CESE.

 

Pour rappel, l’ICE est un mécanisme prévu par le traité sur l’Union européenne et opérationnel depuis le 1er avril 2012. Il vise à renforcer la légitimité démocratique de l’Union européenne et consiste, pour les citoyens européens, à inviter la Commission européenne à soumettre une proposition législative, au terme d’une procédure détaillée par le Règlement (UE) n° 211/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 relatif à l’initiative citoyenne. Avant toute chose, les personnes désireuses de proposer une ICE doivent constituer un comité de citoyens composé d’au moins sept citoyens de l’Union résidant dans sept États membres différents et ayant l’âge requis pour voter aux élections du Parlement européen. Ensuite, la proposition d’initiative doit être enregistrée par la Commission. Pour ce faire, celle-ci doit concerner un domaine relevant des attributions de la Commission, c’est-à-dire un domaine pour lequel la Commission peut présenter une proposition d’acte juridique. La proposition d’ICE doit également être conforme aux valeurs de l’Union européenne sans être « manifestement abusive, fantaisiste ou vexatoire ». Une fois l’enregistrement confirmé par la Commission, les organisateurs disposent d’un an pour recueillir le soutien nécessaire, par voie papier ou électronique. Le Règlement précise que s’ils décident de collecter des signatures en ligne, leur système de collecte doit être certifié par un État membre. Cependant, depuis le 22 décembre 2011, la Commission a mis au point un logiciel libre de collecte en ligne qui est disponible gratuitement. Le « soutien nécessaire » signifie que les signataires doivent être au moins un million, provenir d’au moins un quart des États membres, et que dans au moins un quart des États membres le seuil minimal de signataires est atteint ; seuil qui est proportionnel au nombre de députés européens élus dans les États concernés. Tout citoyen de l’Union en âge de voter aux élections du Parlement européen peut apporter son soutien à une ICE. Au moment de la signature, il doit tout de même fournir des informations à caractère personnel de manière à ce que l’Etat membre en charge puisse vérifier ses déclarations de soutien. Ceci étant, les exigences en la matière varient d’un Etat membre à l’autre. C’est là où le bât blesse. Si toutes ces conditions sont réunies, les organisateurs de l’ICE peuvent la présenter à la Commission. Une audition est ensuite organisée au Parlement européen avant que la Commission n’examine l’ICE et publie ses conclusions dans une communication.

Depuis le 1er avril 2012, la Commission a reçu 51 demandes d’enregistrement d’ICE. 31 ont été enregistrées dont 16 en 2012, neuf en 2013, cinq en 2014 et une pour le moment en 2015. Six comités de citoyens ont décidé d’intenter un recours contre le refus de la Commission d’enregistrer leur proposition d’initiative. Trois initiatives font toujours l’objet d’une collecte de signatures et 18 ont atteint la fin de la période de collecte. Parmi ces 18 ICE, trois seulement ont reccueilli les soutiens nécessaires : « Right2Water », « Un de nous » et « Stop Vivisection ». La Commission a d’ores et déjà publié sa réponse pour l’initiative « Right2Water » visant à faire du droit à l’eau et à l’assainissement un droit humain et, « Un de nous » qui concerne la protection juridique de la dignité, du droit à la vie et à l’intégrité de tout être humain depuis la conception. Ces communications demeurent floues quant aux suites apportées à ces initiatives par la Commission. La troisième initiative ayant satisfait aux conditions requises est en cours d’examen par la Commission qui devrait y répondre pour le 3 juin. Si la mise en place de l’ICE a suscité l’engouement dès 2012 et que six millions de citoyens européens ont apporté leur soutien à l’une d’entre-elles, les chiffres montrent une désaffection pour ce mécanisme complexe.

En effet, les organisateurs d’ICE et ONG ont dénoncé une procédure lourde et complexe dont l’issue demeure très incertaine et opaque puisque la Commission peut rejeter une ICE sans avoir à le justifier. De même, la communication de données personnelles sensibles lors de la déclaration de soutien effraie certains citoyens. C’est également ce qu’a critiqué le Parlement européen dans un rapport de mai 2014 consacré à la l’initiative citoyenne européenne. Cette étude recense les difficultés rencontrées par les organisateurs et adresse en conclusion des recommandations d’amélioration à la Commission. Les informations et l’assistance fournies aux organisateurs d’ICE, le logiciel gratuit mis à disposition par la Commission pour la collecte en ligne des signatures, la grande diversité des exigences et des formulaires correspondants pour la signature des ICE d’un État membre à l’autre, ainsi que les différentes manières d’envisager les objectifs de l’ICE, sont cités comme les principaux obstacles rencontrés par les organisateurs. Pour y remédier, le Parlement européen préconise la création d’un guichet unique d’information et d’assistance pour les organisateurs d’ICE, l’amélioration du logiciel de la Commission et l’élaboration d’un formulaire simplifié de déclaration de soutien unique.

De son côté, la Médiatrice européenne, Emily O’Reilly, a formulé le 6 mars 2015 des propositions destinées à renforcer le rôle des ICE dans le débat politique démocratique européen, après avoir pris l’initiative de lancer sa propre enquête sur le sujet en 2014. Ainsi, la Médiatrice plaide pour que les organisateurs d’ICE soient mieux orientés et que les décisions de rejet soient expliquées de façon cohérente et compréhensible, tout comme les suites données aux ICE recevables. Le débat public résultant d’une initiative citoyenne devrait également être plus transparent et inclusif. Emily O’Reilly appelle également la Commission à améliorer le logiciel de collecte des signatures ainsi que les contrôles qualité relatifs au financement et au sponsoring. Enfin, des critères plus simples et uniformes pour la collecte des signatures dans tous les Etats membres seraient une avancée importante, selon elle.

Ces recommandations rejoignent celles qui ont été formulées par le CESE à l’issue de la Journée de l’initiative citoyenne européenne le 13 avril. La Médiatrice y est intervenue, tout comme Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission européenne, les eurodéputés Beatriz Becerra (ADLE, Espagne) et György Schöpflin (PPE, Hongrie), ainsi que des organisateurs d’ICE, des experts du groupe de la Commission sur l’ICE et des membres du groupe ad hoc du CESE. Pour le Comité, la recevabilité d’une initiative européenne devrait être évaluée par un jury extérieur à la Commission européenne qui ne peut être juge et arbitre. Elle devrait ensuite, en cas de recevabilité, être contrainte de proposer un texte dans l’année suivante. La création d’un guichet indépendant pour guider les organisateurs, d’une plateforme officielle de débat sur l’ICE et d’une application pour faciliter la signature des ICE sont également des solutions proposées par le CESE.

La conclusion du rapport d’évaluation de la Commission du 31 mars précise que celle-ci « prend note avec intérêt de l’étude réalisée par le Parlement européen, des conclusions de l’enquête menée de sa propre initiative par le Médiateur européen et des résultats des « journées de l’ICE » organisées chaque année depuis 2012 par le Comité économique et social européen et un certain nombre de partenaires de la société civile ». Un tel rapport d’évaluation est prévu par l’article 22 du Règlement 211/2011 selon lequel le 1er avril 2015 au plus tard et ensuite tous les trois ans, la Commission soumet au Parlement européen et au Conseil un rapport sur la mise en œuvre du mécanisme de l’ICE. En 2015, « la Commission estime que le dispositif relatif à l’initiative citoyenne européenne a été pleinement mis en oeuvre » mais « est toutefois consciente que des améliorations restent possibles. » Ces améliorations concernent notamment l’absence de personnalité juridique des comités de citoyens, l’enregistrement, les exigences applicables aux signataires, le calendrier de parcours d’une ICE, la complexité de la procédure actuelle de certification, les fonctionnalités offertes par le logiciel de la Commission et l’insuffisance de dialogue et d’interaction avec la Commission au cours des étapes successives du parcours d’une ICE.

La Commission se dit prête à débattre de ces améliorations et comme le montrent les différents positionnements évoqués plus haut, les pistes sont nombreuses. En attendant une proposition en ce sens, l’initiative citoyenne européenne « Stop Vivisection » a recueilli plus de 1.1 millions de signatures certifiées conformes. Cette ICE demande l’abrogation de la directive 2010/63/UE relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques et invite la Commission à proposer une directive visant à mettre fin à l’expérimentation animale. Dans les prochains mois, les organisateurs seront invités à Bruxelles pour une audition au Parlement européen avant que la Commission ne décide des suites qu’elle entend donner à cette initiative. Cela porte à trois le nombre d’ICE ayant abouti en trois ans. La marge de progression est donc importante pour que les citoyens européens soient effectivement sur un pied d’égalité avec le Parlement et le Conseil pour demander à la Commission d’introduire une proposition législative.

Charline Quillérou

Pour en savoir plus

 

Règlement (UE) No 211/2011 du 16 février 2011 relatif à l’initiative citoyenne

http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:065:0001:0022:fr:PDF (FR)

http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:065:0001:0022:en:PDF (EN)

 Rapport de la Commission sur l’application du Règlement UE n° 211/2011 relatif à l’initiative citoyenne, 31 mars 2015

http://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2015/FR/1-2015-145-FR-F1-1.PDF (FR)

http://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2015/EN/1-2015-145-EN-F1-1.PDF (EN)

 Parlement européen, « L’initiative citoyenne européenne – Premières leçons tirées de la mise en oeuvre », étude de mai 2014

http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2014/509982/IPOL_STU(2014)509982_FR.pdf (FR)

http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2014/509982/IPOL_STU(2014)509982_EN.pdf (EN)

 

Recommandations de la Médiatrice européenne, mars 2015

http://www.ombudsman.europa.eu/en/cases/decision.faces/en/59205/html.bookmark (EN)

Recommandations du CESE, avril 2015

http://www.eesc.europa.eu/?i=portal.fr.events-and-activities-eci-day-2015-recommendations

(EN)

Articles sur les ICE parus dans Nea say de Eulogos http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=3470&nea=155&lang=fra&arch=0&term=0

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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