Le Trafic et la Traite des êtres humains : désorganiser la criminalité transfrontalière organisée.

Le 21 avril Europol a aidé les forces de l’ordre slovaques et britanniques dans le démantèlement d’une organisation criminelle impliquée dans le trafic des êtres humains. Les membres de l’organisation ont recruté plusieurs personnes originaires de la Slovaquie (la majorité des victimes sont des enfants) qui étaient à la recherche d’une protection ou de meilleures perspectives économiques, mais ce qu’elles ont trouvé a été l’exploitation de leur force de travail pour la finalité première du crime, le profit. Cependant l’action de démantèlement d’Europol n’est pas une nouveauté, le 17 mars l’organisation policière, au cours d’une opération à travers quatre Pays européens, a arrêté une organisation criminelle chinoise impliquée également dans la traite de victimes provenant de Chine.

Le trafic des êtres humains est un phénomène transnational très complexe, fragmenté, pas facile à le quantifier et trop difficile à gérer, qui exige une approche globale et urgente.

La traite des êtres humains est une grande violation des droits fondamentaux. Elle est expressément interdite par l’article 5 de la Charte des droits fondamentaux: « Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude.  Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire. La traite des êtres humains est interdite».

 Le trafic concerne l’ «assistance» à l’entrée illégale d’une personne sur le territoire d’un État afin d’obtenir une contrepartie financière ou tout autre bénéfice matériel. Au trafic est liée la traite, c’est-à-dire la forme d’esclavage moderne qui concerne différentes formes d’exploitation des victimes: l’exploitation sexuelle dans le cadre de la prostitution; l’exploitation économique dans le cadre du travail; le trafic d’organes; mais aussi l’exploitation dans le secteur de la construction ou encore du travail domestique.

La détection des personnes qui font objet de la traite est une mission très complexe. Un crime si caché et fragmenté cause beaucoup de problèmes à l’identification des victimes, en plus la détection est un aspect très difficile à évaluer puisque chaque État utilise des critères d’évaluation très différents.

Selon le deuxième document de travail Eurostat du 2015, il apparaît que, sur la base des données extraites par les États membres, les ONG et les autorités frontalières, la majorité des victimes (environ 69%) font objet de l’exploitation sexuelle. Par contre 19% font objet de l’exploitation au travail et 12% concernent d’autres formes d’exploitation tel que les activités criminelles, le prélèvement d’organes ou la vente d’enfants. Sur une période de trois ans, les Pays européens qui ont enregistré un nombre élevé de victimes, sont la Roumanie, la Bulgarie, les Pays-Bas, la Hongrie et la Pologne.

Ce sondage dans les États membres ont porté sur les victimes «identifiées» et sur celles «présumées». Conformément à la directive du 5 avril 2011 concernant la prévention et la lutte contre la traite des êtres humains, une victime identifiée se réfère aux personnes qui ont été formellement identifiées par les autorités judiciaires pertinentes. Par contre une victime présumée fait référence aux personnes qui, tout en rentrant dans les critères expliqués par la directive,  ne sont pas formellement identifiées par une autorité judiciaire.

L’action de l’UE en matière de lutte contre la traite des êtres humains

Une étape importante a été atteinte avec l’adoption de la directive 2011/36/UE concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes. La directive adopte une approche globale et intégrée mettant l’accent sur les droits de l’homme ainsi que sur les victimes.

Le texte définit les règles minimales communes déterminant les infractions qui relèvent de la traite et les mesures pour les sanctionner:

  • Caractère répressif : conformément aux principes de base des systèmes juridiques des États membres concernés, les victimes de la traite doivent bénéficier d’une protection contre les poursuites à travers les sanctions concernant des activités criminelles, telles que l’utilisation de faux documents ou des infractions visées dans la législation sur la prostitution ou l’immigration «(…) auxquelles elles ont été contraintes de se livrer en conséquence directe du fait qu’elles ont été victimes de la traite des êtres humains». Il faut garantir le bénéfice des droits de l’homme, leur éviter une nouvelle victimisation et les aider à fournir leur témoignage dans le cadre des procédures pénales. Une attention particulière dans l’assistance et l’aide des victimes doit être accordé aux enfants qui ne sont pas accompagnés.
  • Caractère préventif. les États membres doivent également renforcer la politique de prévention de la traite des êtres humains, à savoir adopter des mesures qui découragent la demande favorisant les formes d’exploitation et aussi celles visant à réduire le risque d’être victime. À ce sujet les États membres doivent adopter une approche tenant compte des spécificités liées au sexe et aux droits de l’enfant. En plus la directive prévoit la mise en place au niveau national de systèmes et des rapporteurs nationaux pour évaluer les tendances de la traite et de constituer des statistiques.
  • Un coordinateur européen de la lutte contre la traite des êtres humains a été introduit avec le but de fournir à l’UE et à ses États membres des informations stratégiques dans le cadre de la traite des êtres humains.

L’action de l’UE dans sa lutte contre la traite des êtres humains comprend la mise en place d’une stratégie en vu de l’éradication de la traite des êtres humains pour la période 2012-2016. L’objectif de cette stratégie est celle de fixer des priorités, de combler des lacunes et de compléter aussi la directive du 2011.

La stratégie définit les 4 priorités sur lesquelles l’UE doit s’engager:

  • Détecter les victimes de la traite est un engagement très difficile, pour garantir une meilleure détection il faut que les États membre adoptent des mécanismes d’orientation nationaux officiels et opérationnels. La stratégie prévoit que pour le 2015 la Commission met au point un modèle européen de mécanisme d’orientation transnational reliant les mécanismes d’orientation nationaux afin de mieux identifier, orienter et protéger les victimes. Le texte prévoit également le renforcement des systèmes de protection des enfants face aux situations de traite.
  • Renforcer la prévention de la traite doit commencer à travers un échange de bonnes pratiques. Pour faire ce qui vient d’être dit, il faut que les États membres développent une majeure coopération avec le secteur privé afin de réduire la demande qui favorise la traite des êtres humains et mettre en place une coalition européenne des entreprises afin de développer des modèles et des lignes directrices en vue de la réduction de la demande de services fournis par des victimes de la traite, particulièrement dans les domaines les plus dangereux : l’industrie du sexe, l’agriculture, la construction et le tourisme.
  • Plus de répression : poursuivre plus activement les auteurs d’infractions à travers une coopération plus grande avec les agences de l’UE tels que Europol, Eurojust et CEPOL. À commencer par la création d’unités nationales multidisciplinaires de répression de la traite des êtres humains, les États membres doivent garantir des points de contact pour les agences de l’UE, notamment Europol, afin de transmettre la collecte des données par les unités nationales Europol qui à leur tour les transmettent à Europol.  Renforcer la coopération policière et judiciaire transfrontalière et renforcer la coopération au-delà des frontières est également indispensable pour mieux connaître les réseaux criminels impliqués dans la traite.
  • Améliorer la coordination et la coopération entre les principaux acteurs et la cohérence des politiques à travers une approche multisectorielle et multidisciplinaire. L’objet est ce de renforcer les réseaux européens des rapporteurs nationaux, en outre coordonner les activités de politique extérieure de l’UE et renforcer et officialiser les partenariats avec les organisations nationales actives. Il est prévu aussi la mise en place d’une plateforme pour la société civile pour renforcer la connaissance des droits fondamentaux dans les politiques anti-traite.

Le 20-30 avril 2015 Europol a organisé une réunion d’experts dans le cadre de la Stratégie d’éradication du trafic des êtres humains concernant les enquêtes financières et le recouvrement des avoirs. La rencontre a réuni des experts sur le trafic et la traite des êtres humains, des experts en finances, des responsables fiscaux et des procureurs. Ils ont ouvert un débat sur l’importance des enquêtes fiscales pour lutter contre la traite. La réunion a analysé le modèle économique des affaires des groupes criminels, avec une attention toute particulière sur le flux d’argent, sur les objets et les bénéfices des investigations financières, le cadre judiciaire, les techniques d’enquête et aussi l’approche multidisciplinaire à adopter. De plus ils ont souligné l’urgence de promouvoir une coopération majeure entre les unités du renseignement financier et les forces de l’ordre.

 Le nouveau programme en matière de sécurité: lutter contre la criminalité transfrontalière organisée.

      Pour faire face à la dimension transfrontalière des menaces nouvelles et complexes , la Commission européenne a présenté le 28 avril le  programme européen en matière de sécurité pour la période 2015-2020. Le programme, partagé entre l’UE et les États membres, a pour objet de créer un espace européen de sécurité intérieure dans lequel les personnes physiques sont protégées dans le respect absolu des droits fondamentaux.

Une des priorités est de lutter contre les groupes criminels transfrontaliers organisés impliqués dans l’immigration clandestine, lesquels exploitent la vulnérabilité des personnes. Le cycle politique de l’UE comme but essentiel de désorganiser les réseaux criminels organisés participant à l’immigration clandestine et de renforcer les enquêtes transfrontalières avec les agences chargées de la protection de l’ordre dans l’UE. En premier lieu les services répressifs doivent cibler les capacités de financement de la criminalité organisée car les réseaux criminels internationaux utilisent des structures d’entreprises légales pour cacher l’origine de leurs profits, l’objet est donc de lutter contre l’infiltration de l’économie légale par la criminalité organisée.

L’UE a déjà adopté des instruments juridiques en matière, mais il faut collaborer plus efficacement, à travers un partage accru de responsabilités, une confiance mutuelle et une coordination entre toutes les parties concernées, mais aussi à travers la coopération internationale.

La sous-commission des droits de l’homme et les représentants de certaines organisations internationales (Organisation internationale du travail) et ONG (La Strada International) se sont réunis le 16 avril pour une audition concernant la lutte contre le trafic des êtres humains dans les relations extérieures de l’UE. Le débat a représenté une base importante à partir de laquelle la sous-commission parlementaire rédigera un prochainement un rapport concernant la lutte contre ce crime. La présidente Elena Valenciano a réaffirmé le rôle essentiel du Parlement Européen dans l’action extérieure de l’UE et sur le respect des droits humains fondamentaux. «Nous devons continuer à travailler pour transformer les engagements, les bonnes intentions et les attentes en actions réelles et concrètes», elle a ajouté que «le trafic des êtres humains est l’esclavage de notre époque. Une terrible plaie qui concerne environ 20 millions de personnes  et qui frappe en particulier les femmes et les petites filles à travers l’exploitation sexuelle. Il ne s’agit pas seulement d’une violence haineuse des droits de l’homme, mais également d’une source inépuisable de ressources  financières qui nourrit les réseaux de criminalité organisée. Il faut que la lutte engage une majeure coordination plus grande entre les niveaux nationaux, régionaux et internationaux. À ce sujet l’UE doit être un acteur essentiel».

L’action du Conseil d’Europe : la protection des victimes de la traite

Au niveau régional, le Conseil d’Europe a adopté la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains (entrée en vigueur le 1er février 2008), laquelle représente une première et réelle tentative de protéger les victimes de la traite. Par rapport aux autres instruments juridiques internationaux et régionaux, la Convention a une valeur ajouté propre car elle offre un cadre juridique complet et elle a permis la mise en place d’un mécanisme de suivi efficace et indépendant avec des mesures contraignantes qu’il reste à adopter.  La Convention concerne en plus l’application à toutes le victimes de la traite et à toutes les formes de traite liées ou non à la criminalité organisée.

Avec une résolution du Comité des ministres, le Conseil de l’Europe a crée le GRETA, un groupe d’experts sur la lutte des êtres humains qui a pour but de veiller à la mise en œuvre de la Convention.  GRETA publie des rapports évaluant les mesures adoptées par les Partis à la Convention et ceux qui ne respectent pas les principes de la Convention, seront invités à renforcer leur action.

Le 28 avril le Conseil d’Europe et l’OSCE ont organisé un séminaire conjoint sur l’implémentation des principes afin de ne pas sanctionner les victimes qui ont été obligées de se livre à des activités d’exploitation. La non-application de sanctions est une question essentiel pour améliorer la coopération entre le Conseil d’Europe et l’OCSE.

«More and more countries are adopting specific legal provisions concerning the non-punishment of victims of trafficking for offences they were forced to commit by the traffickers, but it is necessary to sensitise prosecutors and judges to the importance of applying these provisions» (Petya Nestorova, Secrétaire Exécutif de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains)

 

 

Annalisa Salvati

 

 

 

Pour en savoir plus

     -. Europol, «Police dismantle criminal gang exploiting vulnerable people through forced labour», 23.05.2015 https://www.europol.europa.eu/content/police-dismantle-criminal-gang-exploiting-vulnerable-people-through-forced-labour

     -. Europol, «Joint action to tackle chinese human trafficking networks, 20.03.2015»https://www.europol.europa.eu/content/joint-action-tackle-chinese-human-trafficking-networks

      -. Le rapport d’Eurostat du 2015 sur le trafic des êtres humains https://ec.europa.eu/antitrafficking/sites/antitrafficking/files/eurostat_report_on_trafficking_in_human_beings_-_2015_edition.pdf

     -. Directive du Parlement européen et du Conseil concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes. http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:32011L0036

      -. Communication de la Commission sur la Stratégie de l’UE en vue de l’éradication de la traite des êtres humains pour la période 2012-2016. http://ec.europa.eu/home-affairs/doc_centre/crime/docs/trafficking_in_human_beings_eradication-2012_2016_fr.pdf

      -. Communication de la Commission sur Le programme européen en matière de sécurité pour la période 2015-2010 http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/e-library/documents/basic documents/docs/eu_agenda_on_security_fr.pdf

      -. Sous-commission des droits de l’homme, «Audition sur le thème « Lutte contre la traite des être humains dans les relations extérieures de l’UE» http://www.europarl.europa.eu/ep-live/fr/committees/video?event=20150416-0900-COMMITTEE-DROI

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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