La peine de mort et l’Union européenne : le débat continue …

Qualifiée de « grande priorité de la politique des droits de l’homme de l’Union européenne », l’abolition de la peine de mort est un acquis sur le territoire de l’Union européenne et constitue même l’une des conditions à remplir par les Etats préalablement à leur entrée dans l’Union européenne.

Cette dernière se veut en outre particulièrement active dans la lutte contre la peine de mort dans le monde.

La peine de mort au sein de l’Union européenne : une double prohibition/protection

ü Protocole n°13 à la CEDH : l’abolition de la peine de mort

Que dit le protocole n°13 ?

« La peine de mort est abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine, ni exécuté ».

« Aucune dérogation n’est autorisée ». « Aucune réserve n’est admise ».

Les articles 1 à 4 du protocole prohibent la peine de mort de manière claire, ferme et définitive. Aucun écart n’est permis.

Une des conditions à l’entrée dans l’Union européenne

Ce protocole a été signé par l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne qui se sont ainsi engagés à abolir la peine capitale sur leur territoire. La peine de mort n’a donc plus court sur le territoire de l’Union européenne.

Par ailleurs, la Commission européenne a rappelé à plusieurs reprises que « l’abolition de la peine de mort était une condition et un préalable pour rejoindre l’UE et pour y demeurer » (cf traité d’Amsterdam ; signature du protocole n°6 à la CEDH).

ü Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

Cette Charte a valeur contraignante depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009. Cela signifie que tous les Etats membres de l’Union européenne y sont liés et qu’ils sont tenus de respecter les droits fondamentaux qu’elle proclame. Au nombre de ceux-ci figure d’une part l’article 2 relatif au droit à la vie qui stipule que « nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté », et d’autre part l’article 19 en vertu duquel « nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort ». Ainsi, l’Union européenne ne fait pas que prohiber la peine de mort sur son territoire, elle étend d’une certaine manière l’application de cette prohibition aux pays tiers qui pratiqueraient la peine de mort puisqu’elle s’engage à ne pas éloigner un individu vers un Etat qui risquerait de le soumettre à la peine capitale.

Deux Conventions, deux Cours :

La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et la Charte des droits fondamentaux (« la Charte ») prohibent toutes deux la peine de mort sur le territoire de leurs Etats parties.

La Convention européenne des droits de l’homme fut rédigée dans le cadre du Conseil de l’Europe (49 Etats parties), alors que la Charte se borne à l’Union européenne. Néanmoins, tous les Etats membres de l’UE ont adhéré à la CEDH ; ils se sont donc engagés à respecter les deux textes et relèvent des deux juridictions : la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne. La peine de mort fait donc l’objet d’une double prohibition et corrélativement, d’une double protection.

L’influence de l’Union européenne sur les Etats tiers concernant la peine capitale

« Principal acteur institutionnel » et « premier donateur mondial en matière de lutte contre la peine de mort », l’Union européenne ne cache pas son engagement dans ses orientations concernant la peine de mort.

Parce que la peine de mort est « une sanction cruelle et inhumaine », et qu’elle n’a « aucun effet dissuasif sur la criminalité », l’Union européenne considère que son abolition est « essentielle pour la protection de la dignité humaine, de même que pour le développement progressif des droits de l’homme ».

Le 21 décembre 2012, l’Assemblée générale des Nations Unies avait adopté une résolution concernant un «moratoire sur la peine de mort», par 111 votes favorables et 91 cosignataires. L’UE a « conduit une campagne intensive de plaidoyer » en faveur de cette résolution.

En outre, le 10 octobre a été institué « journée mondiale et européenne contre la peine de mort ».

Dans ses relations avec les pays tiers, l’Union européenne promeut la lutte contre la peine de mort, considérant que son abolition « contribue au renforcement de la dignité humaine et au développement progressif des droits de l’homme ».

Ainsi, concrètement, l’Union œuvre en faveur de son abolition universelle « ou pour qu’un moratoire soit au moins appliqué ». Dans les pays où la peine de mort existe encore, elle demande à ce que son application soit « progressivement limitée », tout en insistant sur la nécessité de l’exécuter « selon les normes minimales » internationales et avec « transparence ». Dans ses orientations pour la politique de l’UE à l’égard des pays tiers en ce qui concerne la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Conseil européen a précisé que l’Union devait « veiller à ce que, outre les restrictions prévues à l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les exécutions ainsi que les conditions de détention dans le couloir de la mort causent le moins possible de souffrances physiques et mentales ». Il s’agit là d’objectifs « intrinsèques » à sa politique en matière de droits de l’homme.

L’Union européenne témoigne d’une certaine faculté d’adaptation en la matière. Elle n’aura pas la même approche selon que le pays tiers concerné aura « un système judiciaire transparent, qui fonctionne correctement », ou se sera « engagé au niveau international à ne pas appliquer la peine de mort, par exemple, dans le cadre d’organisations et d’instruments régionaux », ou dans le cas où le pays concerné échapperait par son système juridique et l’application qu’il fait de la peine de mort « à l’observation de l’opinion publique et internationale de la communauté » alors qu’il existerait « des éléments donnant à penser que la peine de mort est largement utilisée en violation des normes minimales ».

Garanties d’un condamné à mort …

La résolution n°1984/50, approuvée par le Conseil économique et social de l’ONU, établit les garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort. Lorsqu’un pays n’a pas encore aboli la peine capitale, il ne peut « que » l’imposer aux personnes ayant commis « les crimes les plus graves », sous-entendu « au moins » des crimes intentionnels qui auraient des conséquences fatales ou extrêmement graves. Il faut en outre que la peine de mort ait été prescrite au moment de la commission du crime.

Par ailleurs, la peine de mort ne doit pas être appliquée aux personnes âgées de moins de 18 ans au moment où elles commettent un crime, ni dans le cas où il s’agirait d’une femme enceinte, ni encore lorsque la personne visée serait la mère d’un jeune enfant, ni enfin dans le cas où les personnes visées seraient des personnes frappées d’aliénation mentale.

La culpabilité de la personne devra reposer « sur des preuves claires et convaincantes ne laissant place à aucune autre interprétation des faits » et la peine capitale ne pourra être exécutée qu’en vertu « d’un jugement final rendu par un tribunal compétent après une procédure juridique offrant toutes les garanties possibles pour assurer un procès équitable, garanties égales au moins à celles énoncées à l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, y compris le droit de toute personne suspectée ou accusée d’un crime passible de la peine de mort de bénéficier d’une assistance judiciaire appropriée à tous les stades de la procédure ».

Concernant la possibilité de recours, tout condamné à mort devra avoir le droit d’interjeter appel du jugement de condamnation, de se pourvoir en grâce ou de présenter une pétition en commutation de peine. La procédure de recours/demande de grâce ou de commutation de peine suspendra l’exécution de la peine capitale.

Si enfin, la peine de mort est appliquée, elle devra être exécutée de manière à causer « le minimum de souffrances possibles ».

Qu’en est-il de la peine de mort pratiquée dans certains Etats des Etats-Unis ? Le débat sur l’efficacité du produit anesthésiant normalement injecté au condamné à mort préalablement à l’injection létale remet en cause la notion de « minimum de souffrances possibles ». A titre d’exemple, en janvier 2015, l’exécution par injection létale du détenu Charles Warner avait fait scandale lorsque ses derniers mots avaient été « mon corps est en feu ».

Considérant que les souffrances occasionnées et que pouvaient en conséquence se poser la constitutionnalité de l’injection létale aux Etats-Unis, 4 détenus condamnés à mort de l’Oklahoma saisirent la Cour suprême.

La peine de mort aux Etats-Unis, constitutional or not ?

Lundi 29 juin 2015, la Cour suprême des Etats-Unis a confirmé la constitutionnalité de la méthode d’exécution par injection létale.

Pour rappel, la Cour avait en 2008 déjà prononcé la constitutionnalité de la méthode d’injection létale.

Dans l’affaire sur laquelle statuait la Cour suprême le 29 juin dernier, était invoquée l’inefficacité du midazolam, sédatif utilisé préalablement à l’injection létale pour endormir le condamné. Sur ce point, la Cour estima qu’il ne suffisait pas qu’une méthode d’exécution puisse « provoquer de la douleur, par accident ou comme conséquence inévitable du processus menant à la mort » pour la rendre inacceptable. Elle reporte par ailleurs sur les détenus la responsabilité « d’identifier une méthode d’exécution différente et disponible qui procure un moindre degré de souffrance ». Pour la Cour suprême américaine, cette méthode d’exécution est conforme au 8e amendement, lequel prohibe les souffrances « cruelles et inhabituelles ».

Autrement dit, il appartiendra désormais au condamné à mort et à son avocat de trouver un moyen de ne pas souffrir avant de mourir…

Là encore l’Union européenne intervient. Au nom du combat mené pour l’abolition de la peine de mort, les laboratoires européens refusent depuis 2010 d’exporter du thiopental aux fins d’exécution. Le 29 juin était l’occasion pour la Cour suprême de se servir de ce refus d’export de l’anesthésiant à l’encontre de celle qui l’avait décidé, l’Union européenne. En effet, les juges conservateurs siégeant à la Cour ont estimé qu’en empêchant l’accès des détenus à des produits plus fiables, les opposants à la peine de mort étaient en fait responsables de la cruauté infligée aux détenus. Le doute est néanmoins permis quant à la solidité de cet argument, lorsque l’on observe par exemple le Nebraska qui, subissant le refus d’exportation de thiopental (anesthésiant) prononcé par l’Union européenne, a décidé la suspension forcée des procédures …

La lutte de l’Union européenne pour l’abolition de la peine de mort ou, à tout le moins imposer un « moratoire » aux Etats qui la pratiquent encore, est loin d’être finie dans le mesure où bon nombre de pays voient la peine capitale régulièrement pratiquée sur leur territoire. Etats-Unis, Iran, Chine ou encore Arabie Saoudite continuent à l’heure actuelle de procéder à l’exécution de leurs citoyens.

Aurélie DELFOSSE

Pour en savoir plus :

Conseil de l’Europe, Protocole n° 13 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances, Vilnius, 2002 http://conventions.coe.int/Treaty/fr/Treaties/Html/187.htm

F SEAE, Journée mondiale et européenne contre la peine de mort, 9 octobre 2014 http://eeas.europa.eu/top_stories/2014/101014_dp_fr.htm

F Orientations de l’UE concernant la peine de mort http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=URISERV:r10106&from=FR

F Orientations du Conseil européen pour la politique de l’UE à l’égard des pays tiers en ce qui concerne la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants https://www.consilium.europa.eu/uedocs/cmsUpload/8590.fr08.pdf

F Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:12012P/TXT&from=FR

F Conseil économique et social de l’ONU, Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort, résolution n°1984/50 du 25 mai 1984http://www.peinedemort.org/document.php?choix=3266

   -. Dossier des articles de Nea say sur la peine de mort http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=3562&nea=158&lang=fra&arch=0&term=0

   -. Death Penalty Information Center (DPIC) le meilleur des Centres d’information sur la peine de mort http://www.deathpenaltyinfo.org/

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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