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Refonte du Code des visas : « il ne faut pas se laisser influencer par les attentats de Paris »

La commission LIBE s’est réunie jeudi 19 novembre, afin de faire le point sur l’avancement des travaux concernant la refonte du Code des visas, la création d’un visa d’itinérance ainsi que la possibilité d’accroître le recours aux visas humanitaires. Des débats sur l’Espagne Schengen qui rendaient judicieux de décaler la commission de deux jours par rapport au calendrier initial. La députée Bodil Valero (Verts, Suède) n’a pas manqué de rappeler à ce sujet que le Parlement européen devait « veiller à ne pas se laisser emporter par ses sentiments ». Les législations en matière de liberté de circulation doivent se concevoir sur la durée et ne pas se laisser influencer outre mesure par les attentats.

Le souhait de Juan Fernando López Aguilar (S&D, Espagne), rapporteur pour la commission LIBE sur le projet de refonte du Code des visas, est de pouvoir proposer le rapport au vote en commission d’ici la fin de l’année, afin de commencer les négociations avec la présidence néerlandaise du Conseil début 2016.

Malgré le dépôt de 357 amendements depuis la présentation du rapport en commission le 14 septembre, le consensus semble en bonne voie. La plupart des assouplissements procéduraux concernant la délivrance des visas et l’organisation du travail consulaire ont été acceptés.

López Aguilar (S&D, Espagne) a tenu à rappeler que l’objectif de la refonte du Code des visas était, et devait rester, de faciliter et stimuler les voyages des ressortissants des pays tiers. En effet, à de nombreuses reprises les procédures de traitement des demandes de visa ont été décrites comme trop longues, lourdes et coûteuses.

Toutefois, la nécessité de « faciliter les procédures d’obtention des visas » ne doit pas pour autant amener à « relâcher l’attention sur les critères de sécurité publique » et de prévention de la migration irrégulière. Il est nécessaire de trouver en la matière le juste équilibre entre liberté de circulation et sécurité.

Assouplissements procéduraux : jusqu’à quel point peut-on faire confiance ?

La définition de « voyageur régulier enregistré dans le VIS » illustre bien les enjeux de la refonte du Code des visas et les divergences entre partis politiques. La proposition initiale de la Commission[i] exigeait du demandeur de visa à entrées multiples l’obtention de trois visas uniformes lors des 12 derniers mois. Le rapporteur, López Aguilar (S&D, Espagne), avait proposé d’assouplir une telle exigence à deux visas durant les 18 derniers mois.

Devant l’insistance du PPE à ne pas perdre de vue la dimension sécuritaire, un compromis a finalement été proposé : trois visas humanitaires lors des 18 derniers mois. De plus, Brice Hortefeux (PPE, France), qui s’est exprimé au nom du rapporteur fictif, a demandé qu’il n’existe aucune automaticité entre le respect des conditions d’octroi du visa à entrées multiples et sa délivrance. Une marge de manœuvre doit être laissée aux consulats, car la délivrance des visas relève d’abord de leur responsabilité et aussi au fait qu’ils connaissent leur travail.

Les assouplissements procéduraux pour faciliter les contacts familiaux restent également source de dissensions. La définition de « parents proches » doit être précisée. Le rapporteur souhaite l’étendre autant que possible, afin de faciliter l’obtention des visas familiaux. Il est soutenu sur ce point par Ignazio Corrao (EFD, Italie), qui estime que le regroupement familial doit bénéficier aux chômeurs, sans que leur absence de salaire soit un prétexte de refus. Il en va du respect du principe de non-discrimination inscrit dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le PPE, penche, comme à son habitude, pour une définition restrictive de « proches » qui limiterait le nombre d’entrées sur le territoire de l’Union.

De même, le PPE souhaite réintroduire l’obligation d’assurance médicale dont la suppression était proposée par la Commission en avril 2014. Pourtant, López Aguilar (S&D, Espagne) a rappelé que l’état de santé n’étant pas une condition exigée par le Code Schengen, une telle exigence serait à la fois disproportionnée et incohérente.

La Commission, pour sa part, a sous-entendu la mauvaise foi du PPE en faisant remarquer qu’aucune statistique n’existe qui permettrait de déterminer si les factures d’hôpitaux non-réglés le sont par des ressortissants de pays tiers ou par des citoyens européens qui se déplacent librement au sein de l’Espace Schengen. Ne sommes-nous pas en train d’accuser les « étrangers » de tous nos maux de manière excessive et injuste ?

Visas humanitaires : une proposition médiatique de plus ?

Les discussions relatives aux visas humanitaires semblent particulièrement loin d’aboutir. C’est le point du débat le plus épineux et le moins construits. Beaucoup de bonnes volontés achoppent sur peu de propositions concrètes.

López Aguilar (S&D, Espagne) souhaite vivement renforcer la possibilité d’obtenir un visa humanitaire. Il s’agit d’élargir les possibilités d’accès légales d’entrée sur le territoire de l’Union afin d’éviter les clandestins et le trafic d’êtres humains. Actuellement, « les réfugiés ne parviennent pas à demander l’asile dans de bonnes conditions » a dénoncé Marie-Christine Vergiat (Gue/NGL, France).

La proposition la plus concrète a été formulée par Ignazio CORRAO (Italie) au nom de l’EFD : l’amendement 137 demande une définition commune des « motifs humanitaires » exigibles pour délivrer un visa humanitaire.

Le PPE a rappelé son refus de réformer le système de visas humanitaires, considérant que les dispositions actuelles suffisent. De plus, le Code des visas ne lui apparaît pas comme le bon instrument pour gérer les flux migratoires. Il a été rejoint sur ce point par la Commission, qui en même temps à concédé au S&D la nécessité de faciliter les voies légales d’accès au territoire de l’Union européenne.

Des propos quelque peu contradictoires, qui soulignent bien les difficultés à s’imposer que rencontre la proposition d’un visa humanitaire en bonne et due forme. La réticence des États membres et de la Commission à mettre effectivement en œuvre un tel mécanisme reste forte, quelle que soit l’empathie exprimée dans les discours.

Visa d’itinérance : « optimisme béat » ou nécessité économique ?

Le rapporteur sur la proposition du visa d’itinérance, Brice Hortefeux (PPE, France), n’a pas hésité à dénoncer une « forme d’optimisme béat » devant les 157 amendements proposés. La création d’un visa d’itinérance révèle la faiblesse de l’Union dans la protection de ses frontières en période de crise migratoire.

Il a par ailleurs insisté sur le risque que représente l’impossibilité de connaître les déplacements et la présence sur le territoire des États membres des individus qui se sont vus remettre un visa d’itinérance. Il exige pour cette raison que les demandeurs indiquent l’itinéraire qu’ils ont prévu de suivre, et que celui-ci soit justifié de par leur profession (artistes en tournés, sportifs, …). Le risque d’une comparaison avec la Chine, qui applique de longue date une telle obligation, ne semble pas l’inquiéter.

Pourtant, l’idée derrière cette proposition est louable : plus de documents seront exigés, et plus le risque de fraude sera réduit. De plus, Brice Hortefeux (PPE, France) souhaite favoriser les professions entraînant des rtombées économiques importantes. Le visa d’itinérance ne concernerait donc pas les individus, alors que la proposition initiale de la Commission visait notamment les riches touristes russes, chinois ou émiratis. Par ailleurs, le rapporteur a mis en garde contre un risque de confusion avec les visas nationaux de long séjour : les visas d’itinérance ne doivent pas donner accès aux droits liés à la résidence sur le territoire d’un État membre. Brice Hortefeux (PPE, France) a cependant reconnu que même au sein de son propre groupe, sa position ne faisait pas l’unanimité : 72 des 157 amendements déposés (46%) l’ont été par ses collègues.

López Aguilar (Espagne), rapporteur fictif au nom du Socialistes & Démocrates, Bodil Valero (Suède) au nom des Verts et Ignazio Corrao (Italie) au nom du Parti de l’Europe et de la Démocratie Directe ont fermement rappelé leur soutien à la proposition initiale de la Commission. L’exigence de certains prérequis comme un contrat de travail, déjà dénoncée lors de la commission LIBE du 14 septembre, l’a été à nouveau. Cela pourrait conduire à une confusion entre visa d’itinérance et permis de travail. L’objectif premier doit rester celui d’alléger la charge de travail pour les administrations et les demandeurs.

Bodil Valero (Les Verts, Suède) a rappelé la nécessité « en tant que juriste, de ne pas se laisser emporter par ses sentiments » à la suite des attentats de Paris. Elle a également fait remarquer qu’une telle législation devra « se mettre en place petit à petit ». Introduire un nouveau visa, qui plus est, dans la législation de l’Union européenne, n’est pas une mince affaire. Le visa d’itinérance devra être évalué régulièrement par la suite, et amélioré en conséquence.

En fait, ce texte est révélateur d’une fracture de plus en plus grande entre deux approches divergentes de l’Espace Schengen : d’un côté, la Commission souhaite « ouvrir à tous » l’Union européenne, en y incluant les touristes. La libre-circulation qui prévaut au sein de l’Espace Schengen doit pouvoir bénéficier, dans une certaine mesure, aux ressortissants des pays tiers. Ce qui ne signifie pas que le volet sécuritaire est oublié. Simplement, l’Union ne doit pas se transformer en forteresse inaccessible et renfermée sur elle-même. Notre économie comme notre société ont besoin d’apports extérieurs.

D’un autre côté, de plus en plus de réserves sont formulées, notamment à droite du spectre politique. Plus de justifications sont exigées, avec un réflex défensif de suspicion générale. Comme si le danger ne pouvait venir que de l’extérieur. Pourtant, les combattants étrangers partis « se perfectionner » et combattre en Syrie ne sont-ils pas d’abord des citoyens européens ? N’ont-ils pas commencé à se radicaliser bien avant leur départ pour la Syrie ?

Ce qui ne signifie pas que l’attention aux frontières de l’Union doive être relachée pour autant. Parvenir à un texte équilibré entre liberté et sécurité demandera certainement encore du temps. Afin d’accélérer la recherche de compromis, Brice Hortefeux (PPE, France) a fait savoir qu’il prévoyait d’organiser rapidement une réunion avec les rapporteurs fictifs .

Lauriane Lizé-Galabbé

Pour en savoir plus

     -. Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au code des visas de l’Union (Code des visas) du 1er avril 2014 : (FR, EN) http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?qid=1442321664187&uri=CELEX:52014PC0164

     -. Débat en commission LIBE du 14 septembre à propos de la refonte du Code des visas, et connaître plus en détails les positions des parties, consulter l’article d’EU-Logos intitulé « Refonte du Code des visas : changements à la marge loin de la polémique de la crise migratoire » : (FR) http://eulogos.blogactiv.eu/2015/10/01/refonte-du-code-des-visas-et-nouveaux-accords-relatif-a-lexemption-de-visa-de-court-sejour-des-changements-a-la-marge-loin-de-la-polemique-autour-de-la-crise-migratoire/

     -. Débat en commission LIBE du 14 septembre à propos de la création d’un visa d’itinérance, consulter l’article d’EU-Logos intitulé « Visa d’itinérance : la confiance dans l’espace Schengen mise en examen » : (FR) http://eulogos.blogactiv.eu/2015/09/17/proposition-de-creation-dun-visa-ditinerance-la-confiance-dans-lespace-schengen-mise-en-examen/

     -. Les « visas humanitaires », et notamment l’aspect juridique, consulter l’article d’EU-Logos intitulé « Visas humanitaires : solution miracle ou mirage juridique ? » : (FR) http://eulogos.blogactiv.eu/2015/10/09/visas-humanitaires-solution-miracle-ou-mirage-juridique/

[i] Proposition de règlement de la Commission à l’attention du Parlement européen et du Conseil du 1er avril 2014 procédant à la modification du règlement (CE) n°810/2009 du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas (« Code des visas »)

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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