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Accord EU-Turquie : le droit d’asile blessé à mort.

Samedi 23 avril le Président de la Commission Européenne Tusk, la chancelière Angela Merkel et le vice-président Timmermans se sont rendus en visite en Turquie, dans le camp Nizip-2 de Gazantiep, proche de la frontière avec la Syrie, qui accueille environ 5000 refugiés syriens.

A cette occasion, le Président Tusk a déclaré que la Turquie est « le meilleur exemple au monde » pour ce qui concerne l’accueil et le traitement des refugiés, en soulignant que l’Union doit être fière de collaborer avec ce pays.

Ces déclarations ont été fortement critiquées par de nombreuses ONG, qui en fait s’étaient déjà exprimé en s’opposant aux accords entre l’UE et la Turquie du 22 mars. Si le camp de Gazantiep s’est montré à l’hauteur des standards des visiteurs européens, il n’en demeure pas moins vrai que les autres camps d’accueil et de détention des refugiés du pays ne se trouvent dans des conditions aussi dignes.

Pendant la conférence de presse qui a suivi la visite, le Président Tusk est même allé plus loin, en affirmant que « personne n’a le droit de juger la Turquie » pour sa façon de traiter les refugiés.

Actuellement, le pays est parmi ceux qui accueillent le plus grand nombre de refugiés au monde, environ 2,7 millions.

La visite en question s’est déroulée dans le cadre du maintien des bonnes relations entre l’Union et la Turquie après les accords du 22 mars concernant les refugiés. Ces accords, comme nous le savons, ont suscité beaucoup de critiques, même sur plusieurs fronts, le plus délicat étant celui du respect du droit d’asile et des principes de droit international relatifs aux refugiés et aux immigrés en général. Dans cet article, nous allons expliquer le contenu des accords, notamment par rapport aux refugiés et aux demandeurs d’asile, en envisageant aussi et surtout les points les plus obscurs, qui pourraient, ou bien sont en train de, frapper mortellement le respect du droit d’asile et des droits fondamentaux non plus seulement ailleurs, mais en Europe aussi.

Dimanche le 3 avril le premier bateau de migrants expulsés des iles grecques est arrivé en Turquie. Le bateau transportait 202 migrants, parmi eux des syriens aussi. Selon le quotidien turc Hurriet, ce bateau était composé d’un même nombre de migrants et de policiers, ces derniers en provenance de FRONTEX et de la police anti-émeute grecque.

Les renvois vers la Turquie ne représentent qu’une partie des mesures décidées dans le cadre de l’accord entre UE et Turquie de fin mars.

Les accords, conçues avec le but de mettre fin à la crise des refugiés, même en luttant contre les réseaux des passeurs et des trafiquants d’êtres humains, se composent de différents mesures, tout en cherchant de réduire la pression migratoire sur l’Europe en recourant à la collaboration avec la Turquie.

En premier lieu, les accords prévoient que tout migrants irréguliers arrivés en Grèce de la Turquie à partir du 20 mars 2016 seront renvoiyés en Turquie. Selon le texte, ces refoulements vont se dérouler dans le plein respect du droit international et en excluant une quelconque forme d’expulsion collective.

Tout migrants arrivant en Grèce y seront enregistrés et leur demande d’asile serait traitée individuellement. Pourtant, les immigrés qui ne déposent pas une demande de protection et encore les migrants dont les demandes d’asile sont infondées ou irrecevables seront de même renvoyés en Turquie.

De plus, les mesures de réinstallation : pour chaque syrien renvoyé en Turquie, un autre sera transféré de Turquie dans l’Union Européenne, selon les critères de vulnérabilité établies par les Nations Unies. Le nombre de personnes réinstallé devra se limiter à 72000. Selon la Commission, cette mesure va favoriser les canaux d’arrivée légaux et la lutte contre les passeurs et les trafiquants.

La Commission n’a pas encore expliqué quels sont les pays disponibles à accueillir les refugiés syriens objet de ces mesures.

Quand les flux de demandeurs d’asile de la Turquie vers l’Europe se seront arrêtés, voir au moins réduits, dit le texte, l’Union activera un programme d’admission humanitaire volontaire. Les états membres, en fait, sont libres d’y adhérer sur une base volontaire.

Comme nous avons déjà mentionné, plusieurs critiques ont été soulevées lors de l’approbation et de l’entrée en vigueur des accords. Déjà le 15 mars, la plus grande ONG allemande Pro Asyl a blâmé la légalité des propositions de l’accord par rapport aux refoulements et aux réinstallations, sur la base de la constatation que la Turquie ne peut pas être considérée comme pays tiers sure. De même, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les refugiés, Filippo Grandi, s’est déclaré fortement inquiet à cause du la manque de base légale pour les accords. Enoutre, le ministre à l’immigration et à l’asile luxembourgeois Jean Asselborn a appelé à une évaluation approfondie de la légalité des accords.

Les condamnations se sont renforcées avec la décision de plusieurs ONG de quitter la Grèce et d’arrêter une partie de leurs activités dans les hotspots mises en place dans le pays. Parmi eux, MSF (Médecin sans Frontieres) a délogé un des hotspots, celui de Lesbos, parce que, selon les portes parole de l’organisation « l’accord UE-Turquie convertit les centres d’accueil en centres d’expulsion. En continuant nos opérations dans ces centres, nous participerions à un système que nous jugeons injuste et inhumain », « Si cet accord cynique est appliqué, pour chaque Syrien qui risque sa vie en tentant de traverser la Méditerranée, un autre Syrien aura la possibilité d’être accueilli dans un pays européen. Cette équation glaçante réduit les gens à de simples numéros et les prive à la fois d’un traitement humain et du droit de chercher une vie meilleure », et encore, « Environ 88 % de gens qui arrivent de Turquie sont des réfugiés et plus de la moitié d’entre eux sont des femmes et des enfants. Ils devraient être traités de façon humaine, dans le respect de leurs droits et de leur dignité ».

De la même manière, l’UNHCR a annoncé, le 22 mars, d’avoir décidé la suspension d’une partie de ses activités dans les hotspots grecs, tout en dénonçant que ces centres étaient en fait devenus des centre de détention après l’entrée en vigueur des accords.

En même temps, l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe a rédigé, le 19 avril, une proposition de résolution par rapport aux accords. Le rapporteur, la socialiste Tineke Strink, dénonce dans ce cadre le manque d’efficacité et de capacité de gérer les nombreuses demandes d’asile du système grec et la détention illégale des migrants dans les hotspots. De même, le rapport souligne aussi plusieurs doutes par rapport à la légalité et à la conformité au droit international et de l’Union Européenne des mesures de renvoi des migrants en Turquie, comme le système turc ne s’est pas démontré suffisamment capable d’assurer une protection efficace aux demandeurs. En plus, la Turquie ne respecte pas le principe de non-refoulement, or il y a des preuves que le pays a refoulé des syriens dans leur pays pendant ces derniers mois.

Pour ce qui concerne le droit d’asile en Turquie, il est évident que le pays ne remplit pas les standards internationaux en la matière. La Turquie a en fait ratifié la Convention de 1951 sur le statut de refugiés avec les protocoles additionnels mais en gardant la réserve géographique, qui implique que elle reconnaît en tant que refugiés uniquement les ressortissants des pays européens, dont les demandes sont donc traitées par le ministère de l’intérieur. Les demandes des ressortissants des autres pays sont par contre traitées pat le UNHCR. Si une protection est obtenue, ils sont ensuite réinstallés dans un pays tiers. En même temps, ceux qui demandent une protection au sein de l’UNHCR doivent également demander une protection temporaire au ministère de l’intérieur turc.

Les lois turques relatives à l’immigration sont celle de 1994 sur l’asile, amendée en 1999 et 2006 pour y inclure l’asile temporaire et une série de lois relatives aux étrangers en général mais qui ne relèvent pas du droit d’asile. En plus, il n’existe pas un ministère consacré uniquement à l’immigration : le système d’asile temporaire est géré seulement par le ministère de l’intérieur.

Pour ce qui concerne la détention, les ressortissants étrangers sont mis en détention par décision administrative, ce qui exclut la validation et le contrôle judiciaire.

La Cour européenne des droits de l’homme a condamné deux fois, en septembre 2009 et janvier 2010, la Turquie pour les conditions de détention des étrangers et des migrants.

Pendant la session plénière du Parlement européen le 28 avril, l’institution a présenté ses réserves par rapport aux accords. Selon la plupart des eurodéputés, l’Union ne doit pas utiliser les refugiés comme monnaie d’échange en baissant les standards de protection offerts par l’Union.

Il y a un mois, une vidéo diffusée par la BBC montrait les gardes côtes turques qui étaient en train d’essayer de faire sombrer un bateau de migrants qui cherchait à rejoindre la Grèce.

Le 20 avril les gardes frontières turques ont tué huit syriens, la plupart femmes et enfants, qui tentaient de rejoindre le pays à travers une montagne près la frontière ouest avec la Syrie.

En 1955 Césaire Aimé écrivait concernant l’Europe que « une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente ; une civilisation qui ferme les yeux sur ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte ; une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »

Les années ’50 étaient marquées par la fin de la Seconde guerre mondiale et du nazsmei-fascisme et les débuts des luttes anticoloniales, où les pays coloniaux ont montré toute leur férocité et mépris pour l’être humain.

Malgré ces évènements, l’Europe, la « patrie » des droits de l’homme, semble les appliquer uniquement à des catégories très strictes d’êtres humains. Cette Europe qui, comme Frantz Fanon écrivait dans les « damnés de la terre » : « n’en finit pas de parler de l’homme tout en le massacrant partout où elle le rencontre, à tous les coins de ses propres rues, à tous les coins du monde.»

Francesca Rondine

Pour en savoir plus :

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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