Angela Merkel défend son « foutu » devoir européen ! Mais y-a-t-il une Europe des valeurs ?

« Foutu idéal européen » une expression qui revient en écho à celle prononcée en février dernier , lancée par Angela Merkel avec une verve inhabituelle lors d’une émission télévisée sur la chaîne publique ARD . Que disait-elle ? L’Union européenne ne peut laisser la Grèce « plonger dans le chaos » face à l’afflux migratoire(…)  Pouvez-vous sérieusement laisser croire que les pays de l’Euro ont combattu jusqu’au bout pour que la Grèce reste dans l’Euro (…) pour qu’un an plus tard, au final, on laisse pour ainsi dire la Grèce plonger dans le chaos ? » « Mon foutu devoir  (meine verdammte Plicht) et mon obligation sont que cette Europe trouve un chemin ensemble ».

Quelques mois plus tard, au lendemain d’élections régionales perdues Angela Merkel persiste avec d’autres termes il est vrai  à la veille comme au lendemain de ces élections. Quel but poursuit-elle ? cette chancelière pétrie de réalisme et de pragmatisme avec tous les accommodements imaginables mais aussi animée par un incontestable idéal, un idéalisme humanitaire consistant à éviter les catastrophes humanitaires, un idéalisme bien rare chez ses collègues chefs d’Etat et de gouvernement . Rare ? non, exceptionnel. Une nouvelle fois il m’est agréable de saluer la chancelière. Angela Merkel veut que l’Allemagne pour la première fois de son histoire après la catastrophe nazie, l’Allemagne porte au plus haut l’esprit universel comme la France, en son temps, a voulu et pu le faire avec la Déclaration des droits de l’homme. Angela Merkel veut assurer la rédemption de son peuple.

Des erreurs ont été commises (pas assez d’explications, politique du cavalier seul sans concertation avec les partenaires européens etc . Cependant « Je considère les décisions des derniers mois comme justes, mais il reste pas mal à faire (…) Nous devons tous désormais réfléchir à ce que nous pouvons faire pour regagner la confiance et naturellement, moi la première ». C’est ce qu’elle est venue jeter dans la balance au Bundestag le 7 septembre dernier, utilisant le débat budgétaire pour administrer vigoureusement aux députés une sévère leçon de bonne conduite politique qui mérite d’être connue, rapportée et commentée tant de telles leçons sont rares. Ce n’est pas un problème pour son parti ou pour elle-même : « c’est un défi pour tout le monde dans cette maison  (…) .Les responsables politiques devraient mesurer leurs propos, car si nous nous lançons dans une escalade, ce sont ceux qui jouent sur des paroles fortes et les solutions simplistes qui l’emporteront (…) Nous servons notre pays au mieux quand nous sommes guidés par nos valeurs : la liberté, la sécurité, la justice et la solidarité ». Elle reste persuadée que « l’Allemagne restera l’Allemagne que nous aimons et chérissons ». Elle estime son bilan perfectible, la situation est bien meilleure qu’il y a un an, a-t-elle poursuivi. Sa contre-attaque produira-t-elle les effets attendus ? « Je suis certaine que si nous disons la vérité, nous regagnerons ce dont nous avons besoin, la confiance des gens ».

Une mise en garde contre les extrémistes qu’on a rarement entendue. A un an de la fin de son mandat elle est consciente du reproche principal qui lui est fait : avoir consacré trop de temps et d’énergie aux réfugiés au risque d’oublier les allemands, après avoir rappelé les différents aspects de sa politique (réforme du droit d’asile, moyens supplémentaires pour les logements et les écoles) elle a conclu par un retentissant : « tout cela est bon pour tout le monde en Allemagne, et pas seulement pour les réfugiés ».La base électorale du parti lui fera-t-elle défaut ? Rien n’est moins sûr : on ne voit pas poindre un rival crédible qu’il s’agisse d’un parti ou d’un homme , ou d’une femme politique. Les commentateurs ont souvent passé sous silence le fait que dans c es élections tous les partis traditionnels ont perdu des voix souvent même, plus que la CDU. L’écart entre AFD et CDU est relativement faible même si incontestablement AFD a remporté un premier et grand succès. Dans ces commentaires transparait aussi avec évidence, cette « Schadenfreude », bien connue des allemands, cette joie mauvaise, malsaine que l’on éprouve en observant le malheur d’autrui, en la circonstance celui du meilleur élève de la classe européenne qui, enfin , rencontre des difficultés et subi des revers. Angela Merkel n’a pas peur de ses concitoyens à la différence de ses collègues qui n’osent leur dire que ce qui est acceptable et accepté par eux, croient-ils, souvent une simple supposition erronée.

Y-a-t-il une Europe des valeurs.

C’est une question, essentielle, cruciale, vitale. On ne peut la fuir, s’en détourner. Recommandons pour y répondre la lecture de l’analyse typologique de O Galland et Y Lemel : « Les frontières de valeurs en Europe. Evolutions et clivages » (ed A. Colin 2014) un des auteurs O Galland en donne dans Telos un résumé saisissant (cf. infra « Pour en savoir plus »).

Après le Brexit la question de ce qui fait l’unité est plus que jamais posée alors que les forces centrifugent sont à l’oeuvre et dans ce débat la question des valeurs est trop rarement évoquée pourtant il reste indispensable de savoir si les européens partagent un corps de valeurs communes seules susceptibles de cimenter leur unité souvent malmenée. Or des enquêtes et études existent à ce sujet et permettent de dégager des enseignements.

Tout d’abord un cœur central constitué des pays fondateurs, complété par l’Espagne, le Portugal et les pays scandinaves. Les valeurs auxquelles adhèrent une partie importante de ses habitants sont en phase avec le projet politique. Ce sont l’engagement dans la vie citoyenne, la politique, sociale, la sécularisation religieuse, l’ouverture aux autres, l’adhésion aux principes démocratiques, le libéralisme des mœurs. L’Angleterre paraît beaucoup plus éloignée de ce cœur et son détachement pouvait déjà se lire dans ce constat. L’Europe centrale appartient à la catégorie dite « individualiste » : faible attachement aux valeurs de solidarité et de respect des normes publiques, de défiance à l’égard des institutions et de l’autorité. Un troisième groupe les pays de l’Europe méridionale dont l’Italie et la Pologne . Ils adhèrent aux valeurs démocratiques mais avec un engagement citoyen plus faible, une forte adhésion aux valeurs religieuses et traditionnelles et avec une méfiance à l’égard de ce qui viendrait bouleverser, pensent-ils, leur cadre de vie. Un dernier groupe : l’Europe orientale et la Russie, beaucoup plus éloignées du cœur des valeurs européennes , éloignement dû à une attirance pour des systèmes politiques autoritaires . On ne peut ignorer la Turquie qui pousse les traits antidémocratiques à l’extrême dans ce qui mène à classer la Turquie dans le type « autoritaire-religieux » ou se rejoindraient Roumanie, Kosovo, Malte, Chypre. A ce titre on peut dire sans hésiter, souligne O. Galand, que « la Turquie ne fait pas partie de l’Europe des valeurs ».

Les Etats-Nations restent le cadre le plus prédictif concernant les valeurs : les jeunes d’un pays donné sont toujours plus proches de leurs adultes que d’autres jeunes appartenant à d’autres pays. Le phénomène Erasmus n’a pas autant joué qu’on pouvait l’espérer.Il n’y a pas de mouvement de convergences des valeurs, les écarts ne se sont pas resserrés. Un clivage très marqué sépare l’Est de l’Ouest : le type « Participatif-confiant » est présent à l’oust et presque totalement absent à l’est sauf en Slovénie .

De ces constats qui méritent d’être discutés, nuancés, approfondis, on peut cependant dégager des conclusions : l’Europe des valeurs existe mais principalement au cœur du continent et il existe bien un socle de valeurs qui peut rassembler et se distinguer par exemple d’un modèle nord-américain. Mais ce socle de valeurs est loin d’abolir les frontières. Plus on s’éloigne du cœur, notamment vers l’est, plus les écarts s’agrandissent, notamment au cours de ces dernières année, « au point de rendre illusoire, nous dit O. Galland, une quelconque unité de valeurs qui permettrait de rassembler la totalité la population européenne autour d’un projet commun ». A la veille du sommet de Bratislava qui va souligner cette réalité, ce constat est grave et il faudra en tirer les conséquences aussi douloureuses soient-elles. Pour compléter sa démonstration O Galand évoque le cas extrême de la Turquie : « à cet égard le projet d’adhésion de la Turquie à l’Union parait totalement irréaliste et presque absurde : l’immense majorité de la population turque n’a absolument rien de commun avec ce qui fonde le socle européen de valeurs. Elle adhère même à des valeurs qui lui sont largement antinomiques. Poursuivre ce projet conduirait à renoncer à fonder un esprit européen ». On peut se rassurer en faisant observer que la Turquie constitue un cas extrême, mais interrogeons nous pour savoir s’il n’existe pas déjà plusieurs « petites Turquie » à l’œuvre au sein de l’Union. L’alternative, l’ambitieux programme d’éducation civique européenne que nous avons présenté ici « un grand et beau projet éducatif pour l’Europe » http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=3913&nea=175&lang=fra&lst=0&arch=0n° 175 de Nea say. Le Conseil de l’Europe y propose une culture de la démocratie.

Ces considérations s’inscrivent dans un contexte préoccupant à quelques jours du sommet Bratislava : risque d’explosion de l’Union, crise des réfugiés, Brexit, austérité économique, clivage est-ouest grandissant. Un sursaut démocratique et politique s’impose avec urgence. Pendant ce temps là, se construit peu à peu « une Europe forteresse » celle du groupe de Visegrad que dénonce Alexis Tsipras : il y a en Europe « un déficit social qui permet à des personnalités marginales, à des racistes de devenir des faiseurs de beau temps (…) on ne peut pas admettre une telle ambiance d’intolérance, contraire aux principes fondateurs de l’union ( …) qui est comme un somnambule qui marche vers la falaise ». Le ton est tout aussi alarmiste chez Alain Duhamel, grand journaliste et essayiste politique : « comme dans l’entre-deux guerres, la poussée du populisme déconstruit le consensus démocratique(…)le populisme xénophobe a le vent en poupe ».Enumérant les pays où il sévit ou gouverne déjà Alain Duhamel constate « qu’il imprègne le camp victorieux du Brexit ». Comme dans les années trente « les gouvernements démocratiques se battent en ordre dispersé, incapables de s’unir pour résister (…) l’union européenne est tétanisée, pétrifiée, impuissante ». Un autre journaliste de renom , Gérard Leclerc, a qualifié la situation de « abracdabrantesque » une Europe qui dérive sans boussole. Orban et Kaczinki appellent « à une contre révolution dans l’UE », rien de moins !

Pour en savoir plus :

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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