Bruxelles, le jour après le veto wallon

Première constatation : Ce ne sont pas le Conseil Européen ni la Commission ni les gouvernements des Etats membres qui ont défendu l’intérêt du citoyen européen vis-à-vis des intérêts étrangers. Mais une région belge, la Wallonie. On ne peut plus se moquer impunément de la bonhomie et de l’art du compromis belge. Est-ce que la Wallonie est la seule entité de l’Europe à pouvoir ou à vouloir le faire ?

 La presse écrite, notamment la Libre Belgique a donné la parole aux partenaires canadiens. On cherche à protéger les multinationales, en faisant l’économie des ordres judiciaires nationaux. Le public canadien l’a bien compris et se félicite du courage wallon.

http://m.lalibre.be/actu/international/vu-du-canada-l-objectif-du-ceta-est-de-proteger-les-interets-des-multinationales-58052979cd701eed8fcefd25

Les enjeux sont multiples. On fait miroiter des créations de commerce, de GDP et d’emplois. On parle de simplification des procédures en ajoutant une strate supplémentaire, qui pourrait devenir à terme une alternative à la bonne justice nationale. On oublie aussi les laisser pour compte des désinvestissements.

Existe-t-il une décision d’une autorité publique sans risque ? Interdiction de substances nocives, arrêt de certaines activités, telles que le nucléaire ? Existe une concession de service public perpétuel ? Peut-on prévoir les conséquences des guerres, des catastrophes industrielles et/ou naturelles parfois combinées (au hasard Bhopal, Chernobyl, Fukushima)

Peut-on envisager une activité sans responsabilité ? L’investisseur prend rarement un risque sans l’étudier.

Comme l’a confirmé mon libraire, la littérature internationale sur le règlement des différends dans les accords de libre échange (TTIP, CETA) et encore moins le Journal Officiel de l’UE n’ont la faveur des kiosques ou des comptoirs du bistrot où les journalistes pianotent de leurs tablettes des dépêches angoissantes. Un journaliste d’une radio locale a pu dire sur antenne, que finalement le CETA ou le TTIP , son cousin américain ne sont qu’ un problème de communication ; mais bien sûr, les gens ne savent pas de quoi ils parlent.

C’est navrant car il y a une presse européenne et internationale à deux pas de leurs studios, qui fait un travail d’analyse quotidien un peu plus profond.

Je cite « Les résultats de la consultation publique sur la clause de règlement des différends entre investisseurs et États du TTIP ont fait ressortir une opposition quasi-unanime. …Cette consultation a permis de récolter quelque 150 000 avis, un record, pour une consultation publique européenne. La majorité des répondants (88 %) s’opposent à l’inclusion de la clause de règlement des différends dans l’accord de libre-échange…. »

Avec les commentaires des élus européens qui s’y rapportent http://www.euractiv.fr/section/commerce-industrie/news/l-opinion-publique-vent-debout-contre-la-clause-d-arbitrage-du-ttip/

CETA est en quelque sorte le Cheval de Troie du TTIP, qui permettra, selon les ONG canadiennes, aux « filiales des entreprises américaines au Canada de faire appel aux tribunaux d’arbitrage pour contester des législations européennes » Mais pour cela, il faudrait avoir l’accord de l’UE pour accepter le détournement de cette procédure ; dans ce cas, on espère que les décideurs européens se rappelleront de la jurisprudence Barcelona Traction.

CETA deviendrait aussi une deuxième avenue de contestation des réglementations nationales relatives à l’alimentation humaine, à la biotechnologie, à la santé publique.

La brutalité de la fermeture par Caterpillar de leur site de Gosselies a marqué les esprits wallons. Conséquences sociales et économiques, image dégradée d’une région par le choix d’une entreprise, absence de concertation préalable. Et les Belges pensent que d’autres secteurs aux infrastructures vieillissantes pourraient aussi subir les décisions d’investisseurs étrangers. Et de voir d’étendre des contentieux contre la résistance des autorités.

 

Dans le secteur de l’énergie en l’Allemagne, la construction de nouvelles lignes à haute tension du Nord vers le Sud permettra d’acheminer l’électricité éolienne ou hydraulique selon les conditions climatiques et amortira la sortie du nucléaire en 2020, mais rien n’empêchera des opérateurs de chercher à combler les manques à gagner par la voie contentieuse.

Les délibérations ou les décisions des politiques susceptibles d’avoir des effets économiques sont transparentes et rarement surprenantes. Justifiées ou non, proportionnées ou non, ces décisions sont bien anticipées par les entreprises privées ou publiques surtout celles ayant des concessions. La clé pour l’investisseur est donc la diversification de ses obligations, de ses revenus et de ses risques

On ne peut reprocher à des travailleurs ou à des pouvoirs publics qui ne siègent pas parmi avec les actionnaires dans un conseil d’administration de voir venir la cause d’un conflit. On comprend bien que dans le cas de Caterpillar, les décisions du siège sont unilatérales et sa production en Belgique n’est pas assez diversifiée pour y rester présent. Et les conséquences sociales seront portées par le système social belge.

S’agit-il de la protection de l’investissement contre les « abus de souveraineté » ?  Avec Internet, ce n’est pas si difficile de chercher. On peut retrouver certains enseignants de droit international (je vous laisse les trouver vous-même) qui ont eu l’occasion de conseiller des entreprises nationales ou étrangères dans leurs litiges avec des Etats souverains.

On se souviendra d’un arrêt de la Cour Internationale de Justice dans une affaire opposant la Belgique à l’Espagne. Des investisseur belges mécontents des conséquences pour la valeur de leur portefeuille d’actions, du contrôle des devises établi par l’Espagne, sont de fait renvoyés vers le Canada, où a été fondée l’entreprise « Barcelona Traction ».

http://www.icj-cij.org/docket/index.php?p1=3&p2=3&k=1a&case=50&code=bt2&p3=5

 

Le GATT puis l’OMC ont des dispositions sur le règlement des différends, mais seraient elles insuffisantes puisqu’on s’escrime à en créer de nouvelles pour chaque accord international ?

 

Il y a des observatoires de l’investissement étranger et nombre publications sur le règlement des différends. Par exemple, la revue Investment Treaty News Quarterly publié par The International Institute for Sustainable Development à Genève.

http://www.iisd.org/sites/default/files/publications/iisd-itn-aout-2016-francais.pdf

S’agit-il des contradictions internes à l’UE entre la souveraineté constitutionnelle interne à chaque Etat et la compétence exclusive qu’ils ont dévolu à l’UE en matière de commerce et d’investissement ?

Les gouvernements/parlements nationaux ne sont pas nus devant l’UE, puisque rien de ce que l’UE propose ou décide, résulte de travaux préparatoires et de décisions où les Etats sont consultés, présents et en mesure de bloquer ou de dire non.

Comme le note Stéphanie Schacherer (dans la revue précitée), « depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en 2009, l’investissement étranger direct (IED) relève de la politique commerciale commune de l’Union européenne, et à ce titre, il est passé sous la compétence exclusive de l’Union européenne ». Mais les Etats membres retrouvent leur droit de conclure de tels accords s’ils le demandent à la Commission en vertu du

Règlement 1219/2012 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2012 établissant des dispositions transitoires pour les accords bilatéraux d’investissement conclus entre des États membres et des pays tiers.

http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32012R1219

L’Etat membre doit solliciter l’assentiment de la Commission avant d’activer à l’encontre d’un pays tiers tout mécanisme de règlement des différends figurant dans un accord bilatéral d’investissement et, si la Commission le lui demande, il active ces mécanismes. Ces mécanismes comprennent la consultation de l’autre partie à l’accord bilatéral d’investissement et le règlement des différends, si l’accord le prévoit.

 

Conclusions

Dans l’état actuel de l’ordre juridique de l’UE, il est légitime qu’une entité constitutionnelle d’un gouvernement fédéral utilise sa compétence exclusive interne pour ne pas accepter les dispositions relatives au règlement des différends dans un accord international. Il n’est pas exclu qu’une telle entité puisse négocier et conclure des accords avec des pays tiers selon le processus du Règlement 1219/2012, puisqu’un Etat membre peut le faire, et que le Règlement ne peut ignorer les équilibres constitutionnels internes.

La mise sous boisseau européen des velléités nationales et la répétition, le copier/coller de clauses de règlement des différends dans tous les accords de commerce et d’investissement de l’UE apparaît comme une manœuvre non démocratique qui ne va pas non plus au fond des problèmes auxquels sont confrontés les administrations des Etats membres dans leurs litiges avec des investisseurs étrangers.

En novembre 2013, la Commission publie une fiche technique qui ne peut qu’accentuer la méfiance à l’égard de ces clauses car le Commission envisagerait de faire des propositions de « création d’un mécanisme d’appel en vue d’assurer la cohérence et la légitimité du système en soumettant les sentences à un contrôle ».

http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2013/december/tradoc_152016.pdf

Qui paiera l’entreprise qui gagne son « différend » ? Le contribuable ? L’entité ou le Ministère national compétent (sur leur budget propre ou un fonds d’assurance et de garantie)? Pour les accords existants, chaque Etat restera responsable financièrement de ses actes (arrêt d’activités dans certaines zones à protéger ou certains secteurs dans la chimie, extraction minière, nucléaire). Mais pour les accords futurs sous label UE, est ce que l’UE paiera la facture ?

Qui contraindra l’exécution par un investisseur privé de ses obligations contractuelles, au titre d’une autorisation de mise sur le marché d’un produit ou d’un service, de fournitures ou travaux publics, de concession de service public ? L’Etat membre ou l’UE ?

 

Cela donne donc l’impression que l’investisseur est mieux protégé qu’un travailleur. L’investisseur est indemnisé dans un cas et il échappe aux conséquences financières de ses actes via les cotisations versées au système social.

 

Si l’Europe revendique une compétence exclusive pour les investissements, pourquoi ne propose t’elle pas sa garantie des investissements étrangers en Europe ? D’où l’idée d’une obligation d’assurance au niveau de l’UE pour les investisseurs, qui sera la contrepartie de la garantie de leur investissement par l’UE. Avec la gestion d’un fonds d’assurance/indemnisation des investisseurs provenant d’un autre Etat membre ou d’un pays tiers? Alimenté par la récupération des aides d’Etat illégales ou des subventions des fonds de l’UE auprès des entreprises étrangères « perdantes » ? » » »

Pour faciliter la signature du CETA la semaine prochaine, les négociateurs pourraient remiser de manière pragmatique aux calendes grecques le Chapitre 8 et décider de consulter sur une approche compréhensive à élaborer impérativement de manière à réconcilier le règlement des différents prévus aux accords avec les ordres juridiques nationaux et dans l’attente d’un espace européen durable de garantie des investissements

En perspective, un chantier européen bien plus complexe en quête d’architecte, avec des nouveaux métiers et des emplois..

René Milas

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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