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Entre faisabilité et intox : les candidats Républicains à la primaire face à la question migratoire

Le deuxième débat de la primaire des Républicains s’est tenu jeudi 3 novembre. Il portait tout particulièrement sur les questions de sécurité, terrorisme, diplomatie, immigration et Union européenne.

A cette occasion, les sept candidats au scrutin des 20 et 27 novembre ont été appelés à débattre sur les enjeux migratoires ainsi que sur le sort des réfugiés et des migrants présents sur le territoire français. Le débat s’est en effet ouvert sur ce sujet en se centrant sur la jungle de Calais, détruite et évacuée fin octobre. L’article revient sur les annonces faites par les ténors du camp Républicain, rectifie certaines approximations et analyse les idées des candidats.

Le droit et la politique d’asile ont été au cœur du débat. Les candidats ont tout d’abord réitéré l’importance du droit d’asile. Nathalie Koscuisko-Morizet a insisté : « Le droit d’asile fait parti de notre identité. Quand on fuit la guerre, on a le droit d’être accueilli en France ». Pour sa part, François Fillion a décrit le droit d’asile comme « aussi ancien que la chrétienté en France ».

Parmi l’ensemble des candidats, Bruno Le Maire et Jean-François Copé ont pointé du doigt les défaillances de la procédure d’asile et appelé à une révision de celle-ci. Il a notamment été question d’imposer des délais plus courts dans la politique du droit d’asile. Nicolas Sarkozy et Bruno Le Maire ont tous deux proposé que la demande d’asile soit examinée dans un délai réduit à six mois, délai au-delà duquel la demande doit être rejetée, afin d’empêcher que les demandeurs d’asile ne s’installent sur le territoire.

Cependant, en comparaison avec l’Allemagne, la France a d’ores et déjà des délais plus courts pour les procédures d’asile. Officiellement, le délai de traitement moyen en Allemagne est de 6 à 7 mois aujourd‘hui, contre 5 mois en moyenne en France pour le premier traitement. Les délais sont plus longs pour les recours, mais la situation est la même en Allemagne. Aujourd’hui, si l’Ofpra rejette une demande d’asile, le demandeur est autorisé à formuler un appel auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Durant l’examen du recours, le demandeur peut demeurer en France. En cas de rejet de la demande à la CNDA, le demandeur peut déposer un dernier recours en cassation auprès du Conseil d’Etat.

En ce qui concerne les recours auprès de la CNDA, le délai de traitement des demandes d’asile a été modifié par la loi n° 2015-925 du 29 Juillet 2015. Le recours devant la CNDA est passé à 5 semaines pour la procédure dite accélérée et 5 mois pour la procédure dite normale (art. 17 de la loi). Cette réforme du droit d’asile avait été largement critiquée pour symboliser la suppression du droit d’asile en France. Il avait en plus été dit qu’il était « matériellement impossible » pour les demandeurs de rassembler les documents demandés, ainsi que préparer un dossier. Nicolas Sarkozy est allé plus loin en proposant une réforme du droit d’asile en « limitant l’instruction de la demande d’asile à une fois ». Cela reviendrait à interdire le droit à l’appel pour les demandeurs d’asile et à supprimer l’instance des recours d’asile, la CNDA. Le droit d’appel est un droit fondamental et le supprimer est contraire au droit européen. En outre, supprimer la Cour de recours pour les demandeurs d’asile serait anticonstitutionnel et irrespectueuse des valeurs de la France.

Par ailleurs, contrairement aux idées reçues, la France n’est pas vraiment généreuse en matière d’asile. En 2014, sur 52 053 décisions rendues par l’Ofrpa, seules 16 % étaient positives et il en est de même pour la CNDA, qui prononce en moyenne seulement 15% de réponse favorables.

Dans le même sens, Bruno Le Maire a proposé qu’en cas de première décision de refus d’asile auprès de l’Ofpra, le demandeur soit expulsé et fasse sa demande d’appel « depuis son pays d’origine ». Cette proposition marque un changement radical par rapport à la politique menée en France en matière d’asile et demanderait une révision radicale de la politique d’asile. Actuellement, une demande d’asile donne droit aux demandeurs à une autorisation temporaire de séjour sur le territoire français. Le candidat voit cette proposition comme un moyen de venir à bout du problème des demandeurs déboutés du droit d’asile qui ne sont jamais reconduits dans leur pays. En effet, il avait été estimé qu’en 2012, que seules 20 000 mesures avaient été prononcées pour 36 000 rejets définitifs auprès de la CNDA. L’expulsion des demandeurs d’asile dès le rejet de la première décision devant l’Ofpra, proposé par Bruno Le Maire soulève de nombreuses interrogations. Le caractère instable des pays d’origine des demandeurs réduirait considérablement leur capacité à exercer leur droit d’appel et reviendrait donc à la proposition de Nicolas Sarkozy visant à limiter l’instruction de la demande d’asile à une fois. Il convient également de s’interroger sur la faisabilité de cette mesure, qui nécessiterait une coopération avec des pays en conflit ou instables ainsi qu’un déploiement de personnel administratif spécialisé en droit d’asile français à l’étranger ou encore la création d’entités propres dans chaque pays d’origine des demandeurs. Un migrant peut demander l’asile en France si sa vie est menacée dans son pays d’origine pour des motifs d’ordre politiques ou encore religieux. Expulser et renvoyer un demandeur dans son pays d’origine dont la vie est potentiellement menacée apparaît donc enfin comme moralement problématique.

Les candidats Les Républicains se sont tous entendus sur la nécessité d’une renégociation des accords du Touquet, conclus en 2003 lorsque Nicolas Sarkozy était encore Ministre de l’Intérieur. Le traité avait alors été signé entre la France et le Royaume Uni lors de la fermeture du centre d’urgence de la Croix-Rouge de Sangatte, afin de limiter le passage au Royaume Uni des immigrants clandestins en instituant la frontière britannique sur le sol français. Jean-François Copé affirmait à ce sujet jeudi soir : « Calais c’est le résultat d’un traité signé avec les Britanniques en 2003, il faut absolument le renégocier ». Il est repris par Bruno Le Maire et François Fillion, qui soulignaient tout deux le besoin de renégocier ces accords afin de déplacer la frontière britannique de la France vers la Grande-Bretagne. Dans le même sens, Nathalie Koscuisko-Morizet déclarait « la frontière britannique n’avait pas à être en France », de même que Alain Juppé qui dénonçait « les accords du Touquet qui nous obligent à garder chez nous des personnes dont la Grande-Bretagne ne veut pas chez elle ». Quant à Nicolas Sarkozy, blâmé par ses concurrents d’avoir lui même négocié le traité, il annonçait vouloir ouvrir un « hot spot » en Grande-Bretagne afin que « les Britanniques décident eux même qui ils veulent accueillir », affirmant que « ce n’est pas à nous de le faire ».

Nicolas Sarkozy, en effet accusé d’être à l’origine des accords du Touquet par ses anciens collaborateurs, s’est défendu d’avoir, lorsqu’il était membre du gouvernement Raffarin, « fait évacuer 4 000 personnes de Sangatte vers la Grande-Bretagne ». Comme rappelé dans l’Obs, la fermeture du camp de Sangatte en 2002 s’est faite à l’occasion du transfert vers la France des contrôles aux frontières entre les deux pays, qui avait été négociés contre l’évacuation de seulement 1 000 migrants vers le Royaume-Uni. De plus, il est important de souligner que ce démantèlement n’avait en aucun cas apporté une solution durable à la présence de migrants dans la région de Calais : il s’était au contraire soldé par la création de plusieurs camps éclatés, ainsi que la naissance de la première jungle de Calais. Alors Président, Nicolas Sarkozy avait tenté un premier démantèlement de cette dernière en 2009 sans succès.

En évoquant la récente évacuation de la jungle de Calais, François Fillion a quant a lui conclu qu’une « immense majorité de personnes à Calais ou à Paris ne sont en réalité pas des demandeurs d’asile ». Il a cependant été démontré à de nombreuses reprises que la plupart des migrants de Calais étaient de nationalités irakiennes, afghanes, syriennes, soudanaises ou encore érythréennes. Eurostat a en effet constaté que les trois principales nationalités des primo-demandeurs d’asile dans les Etats membres de l’UE en 2015, étaient les Syriens (362 800 demandeurs) , les Afghans (178 200), les Irakiens (121 500).

Concernant la France plus spécifiquement, Eurostat indique que les primo-demandeurs d’asile en France sont en majorité des personnes originaires du Soudan (5 315 demandeurs soit 8%) ; de Syrie (4 625 soit 7%) ; et du Kosovo (3 825 soit 5%).

L’ensemble des pays cités est reconnu par les instances concernées, c’est à dire le Ministère des Affaires Etrangères ainsi que l’Ofpra (Office français de la protection des refugiés et des apatrides) comme des pays instables et dangereux pour leurs citoyens. Ces migrants sont donc majoritairement aptes à demander le droit d’asile en France. L’Ofpra avait en effet estimé que parmi les 6 400 migrants répertoriés et installés dans la Jungle de Calais, 70% d’entre eux devraient se voir accorder l’asile. Comme développé dans un précédent article, les migrants de Calais ne souhaitaient en fait pas demander l’asile en France en raison du Règlement de Dublin. En effet, sous ce mécanisme qui régit la politique migratoire européenne, les migrants fuyant la guerre ou la misère doivent déposer une demande d’asile dans le premier pays au sein duquel ils pénètrent sur le continent européen. De ce fait, une unique demande d’asile peut être effectuée par le migrant au sein de l’UE. Ce Règlement est largement critiqué par la société civile ainsi que de nombreux parlementaires tant européens que nationaux car il fait porter le poids de la responsabilité de la crise migratoire par les pays d’entrée tels que la Grèce et l’Italie. En conséquence du Règlement de Dublin, les migrants de Calais refusent d’être enregistrés en France afin de ne pas être « dublinés » et donc d’avoir une chance de déposer une première demande d’asile auprès du gouvernement britannique dans le cas où ils parviennent à se rendre au Royaume-Uni.

De ce fait, contrairement à la déclaration de François Fillion lors du débat, la plupart des migrants de Calais est donc bien constituée de demandeurs d’asile et non de migrants économiques.

François Copé quant à lui, lorsqu’il fut sollicité par les journalistes Ruth Elkrief et Laurence Ferrari sur la question des migrants, déclarait « Nous sommes devenus le hot spot d’Europe », laissant entendre ainsi que la France accueille plus de migrants que d’autres pays européens. La véracité de cette déclaration est plus que douteuse au vue de la situation d’États tels que l’Italie et la Grèce qui sont au bord de l’implosion face à l’afflux ininterrompu de migrants depuis presque deux ans. En effet, des points d’arrivées tels que l’ile de Lampedusa et Lesbos constituent les véritables « hot spot » de la crise migratoire. La France n’est pas un des pays européens qui concentrent le plus de migrants. Eurostat a en effet estimé qu’en 2015, le plus grand nombre de demandeurs d’asile était en Allemagne avec 441 800 demandeurs, soit 35% du total des demandeurs d’asile actuellement présents en Europe. Elle est suivie de la Hongrie, avec 174 400 demandeurs et de la Suède avec 156 100. La France ne se trouve qu’en sixième position, avec 70 600 demandeurs, soit 6% de l’ensemble des candidats à l ‘asile dans les Etats membres de l’UE. Elle se trouve également en treizième position du nombre de primo-demandeurs par habitant en proportion de la population, avec 1 063 demandeurs d’asile par million d’habitants, loin derrière la Suède (16 016) ; la Hongrie (17 699) ; ou encore l’Allemagne (5 441).

La France a en réalité été critiquée à de nombreuses reprises par ses partenaires européens pour ne pas accueillir suffisamment de migrants en comparaison aux Grecs et aux Italiens sur qui repose presque exclusivement la responsabilité d’accueillir ces derniers en provenance des côtes turques et libyennes. Les îles Grecques dénombrent à elles seules près de 16 000 migrants. L’ancien secrétaire général de l’UMP ignore donc que les Etats membres et la Commission européenne ont trouvé un accord l’année passée concernant ces « hot spots ». Afin de désengorger ces points-clés, l’accord prévoyait la relocalisation de 66 000 réfugiés à partir de la Grèce et de l’Italie au sein de l’UE. L’accord n’étant toujours pas appliqué, le ministre grec à la politique migratoire, Yannis Mouzalas, a exprimé sa « colère » envers le non-respect de ses partenaires européens de leurs obligations en matière de relocalisation. Ainsi, les affirmations de Jean-François Copé sur la situation de la France face à la crise migratoire sont inexactes et injustes en particulier face à des gouvernements démunis comme en Grèce et en Italie.

En matière de migration, certains candidats ont également mentionné l’aide au développement. François Fillon a en effet élargi le débat de la migration en proposant une « aide au développement conditionnée à des accords » avec les pays d’origine des migrants afin de lutter contre les flux migratoires. Cette mesure est cependant déjà développée et proposée par l’UE. Le 26 octobre, les parlementaires européens ont approuvés une augmentation de €500 de l’aide au développement afin d’assister les pays tiers à aborder la question de la crise migratoire. Dans un accord signé le 20 octobre dernier à Bruxelles, l’UE prévoit également déjà de conditionner son aide dans la lutte contre la migration illégale, en améliorant la surveillance des frontières de cinq pays africains (le Nigeria, le Niger, L’Ethiopie, le Sénégal et le Mali). Le mois dernier, François Hollande avait confirmé la mise en place de ce programme : « Il y aura également la mise à disposition des fonds prévus au sommet de la Valette pour les pays africains ». Ce programme qui devrait se voir attribuer un budget de 2 milliards d’euros, vise à réduire l’arrivée de migrants en situation irrégulière en créant simultanément des moyens d’incitation tels que le commerce et le développement. Développé sur la base de l’accord UE-Turquie, ce type de pactes migratoires pourraient être étendus à d’autres pays, notamment l’Afghanistan, le Bangladesh ou encore le Pakistan.

Plus largement, les ténors des Républicains semblent avoir oublié que la France fait partie de l’UE et n’agit pas unilatéralement face à la crise migratoire. Alain Juppé a en effet déclaré son intention de rétablir les frontières nationales si l’Union ne parvenait plus à protéger efficacement les frontières extérieures de l’espace Schengen. Nicolas Sarkozy et François Fillion se sont également exprimés sur leur intention de réviser les traités de Schengen, tout en maintenant les contrôles aux frontières. François Fillion a notamment soulevé le besoin de suspendre toute participation à Schengen d’un Etat qui n’arriverait pas à contrôler les frontières extérieures de Schengen. Jean-Frédéric Poisson a lui accusé le cadre européen de priver la France de sa souveraineté et a appelé à sortir de la tutelle de la Cour européenne des droits de l’homme. Comme noté par plusieurs commentateurs, les candidats ont pour la plupart, à l’exception peut être de Nathalie Koscuisko-Morizet qui souhaite refonder Schengen autour d’une « véritable politique commune » , ont appelé à plus de souveraineté nationale et manifesté une quasi ignorance de la construction européenne plutôt inquiétante. Jeudi, les sept candidats se retrouveront pour le troisième et ultime débat avant le premier tour de la primaire qui aura lieu le 20 Novembre prochain.

Kim Chardon

En savoir plus principales sources d’information

   -.Auffret S., (29.09.2015), « Combien d’expulsions d’immigrés clandestins en France ? », Le Monde, URL : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/09/29/combien-d-expulsions-d-immigres-clandestins-en-france_4776652_4355770.html

     -. Billard S., (04.11.2016), « Sarkozy, Fillon, Copé… 3 intox sur la question des migrants », URL : http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/presidentielle-primaire-droite/20161104.OBS0719/sarkozy-fillon-cope-3-intox-sur-la-question-des-migrants.html

     -. Barbière C., (04.11.2016), « L’Europe grande absente de la primaire à la droite », EurActiv, URL : http://www.euractiv.fr/section/elections/news/leurope-grande-absente-de-la-primaire-a-droite/

     -. Eurostat, (04.03.2016), « Demandes d’asile dans les Etats membres de l’UE », URL : http://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/7203842/3-04032016-AP-FR.pdf/078f4e14-8bb7-45d2-bdbf-8bb3881270b2

     -. Goueset C., (25.01.2016), « Migrants : pourquoi Dublin menace de faire imploser Schengen », URL : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/migrants-pourquoi-les-regles-d-accueil-des-refugies-en-europe-menacent-schengen_1756237.html

     -. Laurent S., (22.06.2015), « Cinq questions sur le droit d’asile », Le Monde, URL : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/06/22/cinq-questions-sur-le-droit-d-asile_4659408_4355770.html

     . Le Monde, (24.06.2016), « Tout savoir sur le traité du Touquet », URL : http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/06/24/tout-savoir-sur-le-traite-du-touquet_4957436_3224.html

     -. Le Figaro, (02.11.2016), « Immigration et intégration : les réponses des candidats à la primaire à vos questions », URL : http://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/primaires-droite/2016/11/04/35004-20161104ARTFIG00243-les-reponses-des-candidats-a-la-primaire-a-vos-questions-sur-l-immigration-et-l-integration.php

     -. Quéré J., (04.11.2016), « Débat de la primaire : la droite française a-t-elle oublié l’Europe ? », EurActiv, URL : http://www.euractiv.fr/section/all/opinion/debat-de-la-primaire-la-droite-francaise-a-t-elle-oublie-leurope/

     -. Sénat, (2003-2004), « La Frontière Franco-Britannique, une frontière extérieure de l’espace Schengen », URL : http://www.senat.fr/rap/l03-008/l03-0080.html

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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